Ce lundi 19 septembre 2022, jour des funérailles d'Elisabeth II, plusieurs mairies en France ont mis leurs drapeaux en berne, pour rendre hommage à la défunte souveraine. Mais certains édiles ont purement et simplement refusé de le faire, jugeant cet hommage incompatible avec les principes de la République française.
A Digna, commune du Jura de quelque 350 habitants, le vent fait virevolter le drapeau tricolore, qui esquisse quelques ombres mouvantes sur les murs clairs de la mairie. Pourtant, en ce jour de funérailles de Sa Majesté, la consigne a été donnée aux édiles de mettre en berne les drapeaux sur les bâtiments publics. En effet, le 8 septembre, jour du décès de la souveraine, la Première ministre Elisabeth Borne a envoyé une circulaire en ce sens.
Circulaire 6371-SG 08092022 Mise en Berne Des Drapeaux Deces de Sa Majeste Elisabeth II by France 3 Franche-Comté on Scribd
Hors de question pour Jean-Christophe Gay, maire de Digna. « La mise en berne des drapeaux, c’est une valeur, une reconnaissance par rapport aux enfants de la France, soutient-il. Je pense particulièrement à Jacqueline Teyssier, une déportée d’Auschwitz, qui a reçu la Légion d’honneur, la médaille de Paris, et pour laquelle on n'a rien fait. [Jacqueline Teyssier est décédée le 20 mars 2022, à Roche-lez-Beaupré, ndlr].
La mise en berne des drapeaux français pour une souveraine britannique, un acte disproportionné pour cet édile. Mais il l’assure : le fait de ne pas respecter cette consigne gouvernementale « n’enlève rien à l’amitié franco-britannique, à la reconnaissance adressée à l’Angleterre. »
Même le rappel que lui a adressé la préfecture à la veille des obsèques d'Elisabeth II ne l’a pas fait changer d’avis. Ses convictions personnelles sont plus fortes, affirme-t-il.
Mise en berne du drapeau national : la Constitution « ne dit rien »
Risque-t-il d’être sanctionné ? Non, nous assurent les juristes et constitutionnalistes que nous avons joints par téléphone. Aucune loi n’encadre la mise en berne du drapeau national. « Cette décision relève de la tradition républicaine. Elle a valeur de recommandation, elle n’est assortie d’aucune sanction. Il n’y a pas d’obligation juridiquement parlant », explique Maître David Levy, avocat au barreau de Paris et constitutionnaliste. En clair, les maires sont libres de respecter ou non cette demande. « La Constitution ne dit rien sur le déploiement du drapeau. Elle en définit seulement l’apparence », corrobore Guillaume Tusseau, professeur des Universités à Sciences Po Paris. Effectivement, la loi fondamentale du 4 octobre 1958 dispose que « l’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge ». Rien de plus.
Cette décision a valeur de recommandation, elle n’est assortie d’aucune sanction. Il n’y a pas d’obligation juridiquement parlant.
Me David Lévy, avocat au barreau de Paris et constitutionnaliste
Seul le décret du 13 septembre 1989 relatif aux honneurs militaires impose une mise en berne des drapeaux dans deux cas précis. Le premier, la mort des présidents de la République. Seuls les bâtiments militaires ont l’obligation de mettre leurs drapeaux en berne. Les bâtiments publics, comme les écoles, les mairies, n’y sont pas tenus par la loi. Second cas : les journées de deuil national, comme ce fut le cas lors des attentats du 13 novembre 2015. Depuis le début de la Ve République, des telles journées n’ont été instaurées qu’à 9 reprises. « C’est une décision avant tout politique », précise l’avocat David Levy.
Elisabeth II, « une figure pour tout le monde »
Dans le Jura, plusieurs communes ont tenu à rendre hommage à la Reine Elisabeth II. A Cousance, Gizia ou encore Mesnois, le drapeau tricolore est resté figé le long de la hampe. « Il est important de montrer notre soutien au peuple anglais, affirme Sandrine Gauthier-Pacoud, maire de Mesnois et présidente de l’Association des Maires du Jura. La reine d’Angleterre était la cheffe du Commonwealth, la souveraine du Royaume-Uni, la cheffe des armées, c’est elle qui nomme le Premier ministre anglais […]. Elle représente l’Angleterre auprès de tous les pays. » Autant de fonctions, de rôles, et un règne long de 70 ans qui font de la souveraine un personne historique auquel il fallait rendre hommage, selon la maire. Rappelons qu’en 7 décennies, la Reine Elisabeth II a connu pas moins de 10 présidents français et a nommé 15 Premiers ministres.
Mettre le drapeau de berne, c’est rendre hommage pour certains édiles à la représentante de l’Eglise anglicane. Incompatible selon eux avec la République française, laïque. Un argument qui ne tient pas pour le constitutionnaliste David Lévy. « Le souverain britannique n’est pas connu pour sa fonction de chef d’Eglise. On le connait d’abord en tant que représentant du pouvoir, de la royauté britannique ».
A une quarantaine de kilomètres de là, à Cousance, là aussi, les drapeaux ont été mis en berne. Pour le plus grand plaisir de Jam, un Anglais vivant dans le Jura depuis 2013. S’il se réjouit de voir sa commune rendre hommage à Sa Majesté, il regrette que ce ne soit pas le cas partout. « C’est un peu dommage, la Reine était une figure pour tout le monde, y compris pour votre Président. » Jam lui a rendu hommage à sa façon, « en pensant à elle », à celle qui « a fait un bon boulot » et qui a « tenu sa promesse de rester fidèle au peuple ».
Sur notre page Facebook aussi, le sujet vous a beaucoup fait réagir. « Je ne vois pas pourquoi en France, on mettrait les drapeaux en berne pour la Reine d’Angleterre même si j’ai beaucoup de respect pour elle », s’interroge Josette. « Inversons la situation, quand un Président de la République décède chez nous, met-on le drapeau en berne au Royaume-Uni », questionne Edith. « Ayons le respect et la reconnaissance pour les Anglais et le peuple britannique. […] La France, ce pays égocentrique », rétorque Nyko.
La dernière fois qu’un Président français avait émis le souhait que les drapeaux soient mis en berne, c’était en 2013. François Hollande voulait honorer la mémoire de Nelson Mandela, premier président noir de la République d’Afrique du Sud, décédé en décembre 2013, à l’âge de 95 ans.
Un peu plus tôt, en 2005, les drapeaux en berne et le deuil officiel de l’Etat après la mort du pape Jean-Paul II avaient été vivement critiqués par bon nombre d’élus, associations, syndicats, sur fond de séparation des Eglises et de l’Etat. Le ministère de l’Intérieur avait alors mis en avant le caractère « républicain » de cet hommage.