Les arbres qui chantent : la forêt du Haut-Jura fournit des arbres dont on fait des violons

Le film "Les arbres qui chantent" dévoile le parcours d'un violon né dans les forêts du Haut-Jura et écouté dans le monde entier. Mais, pour que d'autres grands violons voient le jour, il faut protéger la forêt jurassienne du réchauffement climatique.

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Dans un premier temps, on le regarde dans les yeux, on va le considérer debout, dans la forêt. Qu’est-ce ce qu’il nous dit ? Qu’est-ce qu’il nous montre, Qu’est-ce qu’on ressent quand on le regarde ? Pour le choisir, on se fie à des critères objectifs mais aussi à son intuition.

 Bernard Michaud, scieur en bois de lutherie

Difficile d’imaginer que ces mots, prononcés par Bernard Michaud, servent à décrire un épicéa et non un humain. Depuis plus de 30 ans, cet amoureux des arbres arpente les forêts du Haut-Jura à la recherche de spécimens rares, les épicéas de résonance utilisés dans la fabrication de violons et de violoncelles. Il est une des rares personnes capable d'identifier ces arbres remarquables dont il parle avec le plus grand respect.

Le documentaire de Laurent Sorcelle "Les arbres qui chantent" nous parle de musique et d’environnement. Car, pour pouvoir écouter un violoniste virtuose, il faut un violon, fait par un luthier à partir du bois d’arbres aux propriétés acoustiques rares. Aujourd’hui, ils sont menacés par le réchauffement climatique.

► La musique, un moyen  pour toucher la raison

S’il faut deux mois pour fabriquer un violon, il faudra 200 ans pour qu’un épicéa arrive à maturité et pour un érable, ce sera 300 ans. Un arbre coupé en 2000, sera vendu en 2005 et travaillé par le luthier pour devenir un violon en 2010. Un temps long qui paradoxalement nous oblige à agir rapidement.

À travers la musique,  Laurent Sorcelle s’adresse à nos émotions pour atteindre notre raison et si possible faire bouger les choses.

 Avec ce film, j’ai voulu m’adresser à tous et aux amoureux de la musique en particulier pour les amener à s’interroger sur le problème de la forêt.

 Laurent Sorcelle, réalisateur

L’idée de ce documentaire a germé à la suite du passage de la tempête Adrian, en Italie, en 2018.  Ce jour-là, dans la forêt de Paneveggio, surnommée "la forêt des violons", en très peu de temps 14 millions d’arbres séculaires, dont des épicéas rouges recherchés pour la fabrication de violons, se sont retrouvés à terre. Cette essence d’épicéa était déjà utilisée au 17e siècle par le célèbre luthier Antonio Stradivari. Une véritable hécatombe pour l’environnement et le monde de la musique, d’autant que les forêts produisant des arbres au fort potentiel acoustique sont rares en Europe. Elles se trouvent en Italie, en Allemagne et aussi en France.

Je n’avais jamais autant ressenti ce lien originel, filial entre l’arbre et la musique.  À la suite de la destruction de cette forêt, je me suis alors demandé comment on allait  pouvoir fabriquer les violons si les forêts étaient ainsi détruites.  

Laurent Sorcelle, réalisateur

Laurent Sorcelle part alors à la recherche de ces forêts exceptionnelles. Sa quête le mène en Franche-Comté, dans le Haut-Jura à la rencontre de Bernard Michaud, scieur en bois de lutherie spécialiste de ces grands crus. Comme pour le vin et ses terroirs, les forêts produisant les "grands crus d’épicéas" sont exceptionnelles. Dans le Haut-Jura, elles ont pour nom Mont Noir, massifs du Risoux ou forêt du Massacre. 

► De la forêt à l'instrument, histoire d'une rencontre entre l'homme et le bois

Le documentaire "Les arbres qui chantent"accompagne le parcours d’un violon  qui fait vibrer les salles de concert du monde entier, celui de Philippe Aïche, premier violon solo de l’Orchestre de Paris. Cet instrument est né dans la forêt du Mont Noir où Bernard Michaud a récolté l’arbre dont il est fait, puis est passé dans les mains de Bruno Dreux, le luthier qui l’a façonné. Trois hommes pour une chaine de passions et de savoir-faire au service de la musique !

Tout débute au cœur de la forêt du Mont Noir, à plus de 1 000 mètres d’altitude.

Les conditions de vie des arbres d’ici sont quasi-monastiques. Cela donne des structures de bois très homogènes.

Bernard Michaud, scieur en bois de lutherie

C’est là que Bernard Michaud, Bruno Dreux et Philippe Aïche se sont donné rendez-vous. Ils sont à la recherche de l’épicéa qui a servi à fabriquer la table d’harmonie du violon de Philippe Aïche. Cet instrument, bien que contemporain, est capable de rivaliser avec ses illustres prédécesseurs, ceux fabriqués par Antonio Stradivari ou Giuseppe Guarneri, au 16e et 17e siècle.

L’arbre recherché est nommé "WR", comme pour les chiens on attribue aux arbres une lettre par hiver. Il a été coupé en novembre 2004 et pour lui rendre hommage Philippe Aïche prend son violon et joue. Le "WR" revient chanter pour ses "frères d’arbres" dans sa forêt d’origine.

 C’est une sorte de renaissance de l’arbre. Après avoir grandi pendant 150 ans, l’arbre a une nouvelle vie avec un instrument qui, peut-être, passera encore 500 ans à servir la musique. C’est vachement émouvant !  

Bruno Dreux, luthier

Bernard Michaud s’est très vite rendu compte du fort potentiel des épicéas du Jura pour la lutherie. Au début des années 1990, il lui arrivait d’en débiter pour des Allemands qui les emmenaient pour les transformer. À cette époque, avec deux amis luthiers, ils s’unissent et mettent en commun leurs savoir-faire pour valoriser les propriétés acoustiques du bois jurassien. Ce bûcheron crée alors son entreprise "le Bois de Lutherie" à Fertans, dans le Doubs. Chaque année, Bernard Michaud abat des épicéas destinés à la fabrication des tables d’harmonie de violons, la partie supérieure de l’instrument. A chaque fois, pour lui c’est un véritable plaisir de lire à travers les arbres et deviner l’instrument qui en naîtra.

Puis il les met à sécher aux côtés des débits d’érables qui eux serviront à la fabrication du coffre, du manche et du fond de l’instrument.  Pour l’érable, ce qui est recherché c’est le caractère ondé du bois. Cette caractéristique qui concerne sur un arbre sur 800 ou 1 000, on la retrouve sublimée sous le vernis du luthier.

► Le luthier, un passeur entre l’arbre et l’instrument

C’est dans l’atelier de Bernard que Bruno Dreux, luthier installé à Artenay dans le Loiret, vient chercher son bois. En le choisissant, il a déjà en tête l’instrument qu’il va travailler. Ce choix est essentiel, il donnera sa personnalité au violon.

 La table d’harmonie agit comme un ressort. Quand le violoniste va jouer, il va l’enfoncer. Il va y avoir ensuite un retour et la table va alors swinguer. Il y a dans la chair du bois la capacité à remonter et ça dans le bois du Jura, on l’a.  

Bruno Dreux, luthier

Bruno aime les bois de caractères comme ceux provenant des épicéas du Jura. Il les préfère de loin à leurs cousins italiens, même s’ils ont servi ses glorieux prédécesseurs.

Pour moi le bois italien est un bois qui subit, il a du mal à remonter. C’est culotté ce que je dis car Stradivarius y arrivait très bien. 

Bruno Dreux, luthier

Bruno Dreux est l’un des luthiers les plus réputés de France. Malgré tout, il sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Pour que l’instrumentiste prenne son violon, il doit absolument répondre à sa demande.

À mon avis pour être un bon luthier, il faut avoir de l’intuition et comprendre la demande des musiciens. La rencontre avec le musicien est très importante car il faut que je capte ses désirs, choisir quel bois utiliser et l’architecture du violon.  

Bruno Dreux, luthier

Au départ, Philippe Aïche lui avait commandé la réplique d’un stradivarius, "le Milanolo". Mais après avoir essayé un original prestigieux, un Guadagnini datant du 18e siècle, il change d’avis. Il fait la rencontre de l’instrument de sa vie et passe commande. Bruno Dreux n’avait encore jamais fait ce type de violon. Pour la table d’harmonie, il décide d’utiliser le fameux "WR" récolté par Bernard Michaux.

D’expérience, il sait que la relation entre le violon et son instrumentiste est fusionnelle, l’enjeu était donc important. En l’essayant, Philippe Aïche est conquis. Un pari gagné pour ces trois hommes, Bruno le luthier, Bernard le scieur de bois de lutherie et Philippe le violoniste, dont l’instrument rivalise avec ceux de l’âge d’or italien, 600 à 1 200 fois plus cher.

► Sauver la forêt pour continuer à écouter de la musique

Comme toutes les autres, les forêts réputées pour leur bois de résonance sont touchées par le dérèglement climatique. La forêt du Haut-Jura n’y échappe pas et les arbres multi-centenaires, aux qualités acoustiques exceptionnelles, se raréfient. Les épisodes de chaleur et de sécheresse sont de plus en plus fréquents et importants, les insectes prolifèrent et les arbres souffrent et meurent.

Bernard Michaud se mobilise pour préserver la ressource en bois. En plus de son travail, il va à la rencontre des acteurs de la filière bois pour les sensibiliser à un mode de gestion qui permettrait d’éviter cette catastrophe écologique et musicale. Bernard est un adepte d’une sylviculture durable qui préserve la forêt. C’est un fervent adepte de la futaie jardinée.

Dans le Haut-Jura, les forestiers pratiquent la futaie jardinée. Sur une parcelle, les forestiers essaient de garder des arbres anciens, des moyens, des jeunes et des très jeunes. On a une mixité de classes d’âges et d’essence de sorte que le sol forestier est à l’abri. Et tout ça, c’est l’art du forestier.

Bernard Michaud, scieur de bois de lutherie

Avec ce mode de culture traditionnel, on privilégie la qualité à la quantité. Les adultes abritent et protègent les plus jeunes pour qu’ils puissent se développer. Comme chez les humains, il faut se servir des anciens, ne pas les couper trop tôt, pour qu’ils transmettent leurs richesses biologiques aux plus jeunes et que les arbres du Haut-Jura continuent à chanter.

 

"Les arbres qui chantent", écrit et réalisé par Laurent Sorcelle

Une coproduction : France Télévisions /  Armoni Productions / Aller-Retour Productions

Diffusé jeudi 19 mai à 22h45 et rediffusé lundi 23 mai à 9h50.

A revoir en replay pendant un mois sur le site de france.tv

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