Depuis deux ans, Jean-Philippe Roubes, habitant de Lons-le-Saunier, développe un projet original : produire poissons et légumes sur une même exploitation, basée à Messia-sur-Sorne (Jura), grâce aux techniques novatrices de l'aquaponie. Un défi insolite, qui se veut aussi écologique.
Aquaponie. Un terme dont le sens échappe sans doute à beaucoup d'entre nous. Contraction des mots "aquaculture" (l'élevage de poissons) et "hydroponie" (culture des plantes enrichies par l'apport des nutriments présents dans l'eau), l'aquaponie représente un système de production alimentaire dans lequel poissons et plantes sont cultivés dans la même exploitation.
Le concept peut paraître compliqué à saisir. Autant laisser les professionnels en parler. "C'est plutôt simple" explique Jean-Philippe Roubes, habitant de Lons-le-Saunier (Jura). "L'eau dans laquelle sont élevés les poissons est utilisée pour la culture des légumes. Après le passage dans un biofiltre, on y trouve en effet beaucoup de nutriments. Puis l'eau non consommée par les légumes retourne dans les bassins piscicoles, "nettoyée" et prête au réemploi".
Un projet mûri depuis de longues années
Cette culture "vertueuse" et "écologique", Jean-Philippe Roubes, 45 ans, l'étudie depuis plus de six ans. Et l'a exportée en Franche-Comté, plus précisément à Messia-sur-Sorne (Jura), où il construit depuis 2021 la première ferme aquaponique de la région, prête à l'emploi dans quelques semaines. "Un défi un peu fou" pour cet ancien ingénieur chez Renault, qui, avec sa femme Aurélie, a tout plaqué pour revenir en terres franc-comtoises en 2021.
"On a fait le grand saut" sourit Jean-Philippe. "J'ai été ingénieur pendant 20 ans et on a pas mal bourlingué pour suivre mes mutations, entre la France et l'Angleterre, en habitant toujours dans des grandes villes". En 2021, la compagne du natif de Seine-et-Marne décide de quitter son métier d'infirmière et de reprendre la boutique familiale, la librairie Guivelle, à Lons-le-Saunier. Toute la famille s'embarque donc dans un aller-simple pour la Franche-Comté.
"Pour une fois, c'est moi qui ai suivi ma femme. Ça nous permettait de quitter les grandes métropoles et d'avoir une stabilité pour nos enfants" confie-t-il. "Et puis je pouvais me lancer dans un nouveau projet, qui avait beaucoup de sens à mes yeux, monter une ferme aquaponique".
Depuis tout jeune et un cours sur la géopolitique de l'eau, j'avais dans un coin de ma tête l'idée de faire un métier en rapport avec l'eau et la pisciculture. Puis j'ai découvert l'aquaponie, cette manière de produire de la nourriture saine tout en limitant la consommation d'eau et l'usage de pesticides. Je trouvais ça fascinant.
Jean-Philippe Roubes,exploitant d'une ferme aquaponique à Messia-sur-Sorne
Commence alors un long apprentissage. Livres sur l'aquaponie, vidéos sur Internet, etc. Jean-Philippe dévore toutes les ressources sur le sujet... jusqu'aux premières expérimentations. "J'avais acheté un petit aquarium, grâce auquel j'ai fait pousser quelques boutures, du basilic et des tomates. Mais il fallait concrétiser cette idée. En 2020, ça a été le déclic".
Le quarantenaire s'inscrit à une formation en ligne, au centre de formation professionnel agricole de Valdoie (Territoire de Belfort), spécialisé dans les salmonidés. "Une expérience magnifique. J'ai pu discuter avec des passionnés, apprendre de multiples compétences et échanger avec de nombreux agriculteurs et éleveurs sur le sujet" se souvient l'ancien ingénieur.
Un projet d'agriculture "vertueuse"
Sûr de son projet et rassuré par les premiers retours, il crée son entreprise dès son arrivée dans le Jura, en 2021. "Je l'ai nommée Païdeia, qui veut dire "l'enseignement", "l'instruction" en grec" explique le principal intéressé. "Cette idée de progrès, d'agriculture plus vertueuse se retrouve dans ce nom, et traduit aussi un désir de faire connaître l'aquaponie et ses bienfaits".
Un discours qui convainc. Le Jurassien d'adoption obtient très vite les subventions nécessaires. "J'ai pu élaborer mon business plan. Il ne manquait que le terrain, ce qui est quand même le plus important". Le début des difficultés. "Une collectivité avec laquelle je m'étais mise d'accord m'a lâché. Je me suis retrouvé sans rien. C'était beaucoup de stress" se remémore-t-il, amer. "Puis l'Espace communautaire Lons agglomération (Ecla, ndlr) me proposait des surfaces, mais cela ne répondait pas à mes critères.
J'ai eu peur, je l'avoue. J'étais Parisien, je ne venais pas du milieu agricole. Inconsciemment, les gens ont eu peur que je sois ce cliché du "citadin qui arrive avec un projet révolutionnaire". Mais je me suis accroché et je crois vraiment qu'ici, l'aquaponie a de beaux jours devant elle.
Jean-Philippe Roubes,exploitant d'une ferme aquaponique à Messia-sur-Sorne
Après avoir "remué ciel et terre", le terrain tant souhaité et enfin trouvé à Messia-sur-Sorne. "On a vu grand" s'amuse Jean-Philippe. On a 4 hectares et notre ferme aquaponique s'étend sur 1 850 m2". Commencent alors des travaux d'envergures : l'installation de 18 bassins piscicoles de 15 m³ pour accueillir les truites, de gouttières "NFT", dans lesquels les plants de légumes sont placés afin d'être immergés, ou encore des tables de semis et, tout le système de circulation d'eau. "Il ne me manque que l'installation d'un compteur électrique pour commencer à tourner. Si tout va bien, on lance les premiers essais dans quelques semaines".
Quand vous entendez des pisciculteurs locaux qui vous disent que ça fait cinq ans qu'ils ne produisent plus normalement à cause de la sécheresse, ça fait réfléchir. Ici, on va utiliser seulement 5 m³ d'eau par jour. Et zéro pesticide. Voilà les gros avantages. Malheureusement, c'est un système très demandeur en électricité. Je vais essayer de travailler sur ce souci.
Jean-Philippe Roubes,exploitant d'une ferme aquaponique à Messia-sur-Sorne
L'objectif est clair : produire cinq tonnes de truites et jusqu'à 12 tonnes de légumes par saison. "Il y aura des légume-feuilles, qui réagissent bien aux nitrates : salades, aromates, etc. Et on fera aussi des légume-fruits : courgettes, tomates, fraises". Jean-Philippe aimerait que ses produits soient écoulés "en vente directe à la ferme, ou chez des restaurateurs et supermarchés du coin. L'important, c'est que cela reste local, et que je puisse en vivre bien tendu".
Car le néo-fermier est conscient d'une chose, son défi aquaponique "est une vraie aventure" avec des difficultés et des incertitudes. "Ici, je ne peux pas bénéficier des retours d'expériences d'anciens agriculteurs. D'un côté, on part dans l'inconnu. Et c'est aussi un lourd investissement financier. Je vous avoue que paradoxalement, je dormais plus quand j'étais chez Renault". Mais pas de regrets, "j'avais besoin de ce nouveau projet de vie" assure Jean-Philippe. "C'est aussi un cheminement écologique dont je veux faire bénéficier mes enfants".
SI tout se passe bien et si les tests sont concluants, les premiers semis devraient être plantés cet hiver, "pour une première récolte ce printemps" espère l'ex-ingénieur. En attendant, le quarantenaire ne chôme pas... et monte déjà de nouveaux projets. Sur son grand terrain, il a décidé d'accueillir les ruches d'un apiculteur, reste ouvert pour prêter ses parcelles non utilisées à "des projets de maraîchages et d'élevages en plein air", ou pour accueillir des stagiaires, afin de les former à l'aquaponie.
Une pratique qui reste bien sûr au centre de son activité. "Là aussi, je bouillonne d'idées. Pourquoi pas introduire de nouveaux poissons, comme des sandres" conclut Jean-Philippe. "Mais il faut que je me réfrène. On attend de voir comment tout ça va marcher". Réponse dans quelques mois, lorsque les premiers produits Païdeia seront disponibles à la vente.