Sanctions contre la Russie : dans le Jura, le vigneron Jean-François Ganevat rachète son domaine qu’il avait cédé à un Russe

La guerre en Ukraine a des conséquences jusque dans les vignobles. Le célèbre domaine viticole du Jura, vendu fin août 2021 par Jean-François Ganevat au Russe Alexander Pumpyansky, va finalement retourner dans le giron familial. Le vigneron s’est associé avec Benoit Pontenier, directeur du Prieuré Saint-Jean de Bébian (Languedoc), pour racheter ces deux domaines viticoles qui appartenaient au Russe.

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« On va s’endetter sur des dizaines d’années... » confie Benoit Pontenier au téléphone. Depuis onze ans, ce passionné de vin dirige Le Prieuré Saint Jean de Bébiandans le Languedoc, acquis par le Russe Alexander Pumpyansky en 2008. C’est aussi lui qui présidait le Domaine Ganevat depuis la vente d’août 2021 à l’homme d’affaires russe Alexander Pumpyansky.

Deux domaines viticoles qui auraient pu subir des pertes commerciales depuis la décision de gel des actifs européens de personnalités russes. « Alexander Pumpyansky a lâché tous ses actifs pour ne pas bloquer les activités » précise Benoit Pontenier. Une opération intervenue le 4 mars soit quelques jours seulement avant que des sanctions ne le visent.

Après ce nouveau changement de main de son domaine, Jean-François Ganevat n'a pas répondu à notre demande d'interview. Le vigneron, profondément marqué, a  réagi auprès de nos confrères de La Revue du Vin de France : "Je vais tout faire pour sauver le domaine" dit-il dans un premier article. Ce 16 mars, le vigneron confirme le souhait de racheter les domaines Ganevat et Saint-Jean-de-Bébian

Une réunion prémonitoire avec Vladimir Poutine

Alexander Pumpyansky vit avec sa famille en Suisse, à Genève depuis une vingtaine d’années. L’homme d’affaires est le fils de Dmitry Alexandrovich Pumpyansky, président russe du conseil d'administration de PJSC Pipe Metallurgical Company, un « fabricant russe de niveau mondial de tuyaux en acier pour l'industrie pétrolière et gazière » précise le document officiel du Conseil de l’Union européenne.

Le 24 février 2022, jour du début de l’offensive russe en Ukraine, Vladimir Poutine reçoit au Kremlin des représentants du monde des affaires. Parmi eux : Dmitry Pumpyansky. « Les dirigeants russes devront faire face à un isolement sans précédent » promet la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

Alexander Pumpyansky, «a voulu anticiper ces nouvelles sanctions, explique Benoit Pontenier. Le 4 mars, il a vendu tous ces actifs à un homme d’affaires. » Parmi toutes ces entreprises, il y a les deux domaines viticoles français.

Qui est Alexander Pumpyansky ?

Alexander Pumpyansky avait bien senti le vent des sanctions venir. Le Conseil de l’Union européenne a ajouté, le 9 mars 2022, son nom sur sa « liste noire » des personnalités russes dont les « fonds et ressources économiques » sont gelés.

Le Conseil de l’Union européenne estime que Alexander Pumpyansky est  « une personne physique liée à un homme d'affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l'annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l'Ukraine ».

Toujours d’après ce règlement, Alexander Pumpyansky « apporte un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l'annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l'Ukraine, et tire avantage de ce gouvernement » 

Pour Benoit Pontenier et Jean-François Ganevat, Alexander Pumpyansky est avant tout un grand passionné de vin. « C’est un grand monsieur, estime Benoit Pontenier. Il veut garantir la continuité du travail des domaines et le maintien de la vingtaine d’emplois sur les deux sites ».

"Par la force des choses"

Vendre mais à qui ? Rapidement, une solution s’impose : Benoit Pontenier et Jean-François Ganevat décident de monter une société ensemble pour pouvoir acheter les deux domaines viticoles au gestionnaire d'affaires qui a acheté le 4 mars les actifs d'Alexander Pumpyansky.

« Le téléphone a chauffé tout ce week-end » raconte Benoit Pontenier. « Nous allons prendre le contrôle des deux domaines car Alexander Pumpyansky voulait les céder aux personnes en qui il a confiance.» L'actuel propriétaire, celui qui a repris les actifs d'Alexander Pumpyansky, ne connaît pas le monde de la vigne et du vin. 

C’est ainsi que le célèbre domaine de Rotalier dans le Jura retourne dans la famille de Jean-François Ganevat et de sa soeur Anne, « par la force des choses » admet Benoit Pontenier. Un domaine unique en son genre dont les vins naturels sont appréciés et connus dans le monde entier.

Même si Benoit Pontenier assure avoir reçu le soutien de "beaucoup de clients", l'activité du domaine Ganevat pouvait être fragilisée si elle restait détenue par Alexander Pumpyansky.

"Amalgames stupides"

"Nous craignons les amalgames stupides", explique Benoit Pontenier en faisant allusion au boycott d'oeuvres de Tchaïkovski ou de Dostoïevski.

Sur twitter, la publication par une spécialiste de vins d'une annonce de l'importateur de vins new-yorkais Victor Schwartz confirme cette crainte. Dans cette lettre, il annonce "rompre les liens" avec le domaine Ganevat  malgré l'admiration qu'il a pour le travail de "Fan-fan (ndlr Jean-François) et Anne" . Il va même jusqu'à préciser qu'il donnera des bouteilles de ce domaine pour l'opération humanitaire initiée par le chef cuisinier José Andrés pour les réfugiés ukrainiens.

 

Une première vente faute de transmission familiale

En septembre 2021, le vigneron jurassien Jean-François Ganevat avait décidé de vendre son domaine à Alexander Pumpyansky. 

Une information qui avait été publiée par la Revue des vins de France. A cette époque, le vigneron déclarait à cette revue spécialisée :

« Les vignes, les bâtiments, le stock de vins sur plusieurs millésimes, le négoce, je cède la quasi-totalité de mes activités, y compris mon nom. Ma fille Florine, qui a 32 ans, ne s’intéresse pas à la vigne et mon petit garçon Antide n’a que 8 ans. Difficile de transmettre dans la famille. C’est sûr, c’est un tournant de ma vie, cela fait un pincement au cœur, mais c’est une belle opportunité ».

Jean-François Ganevat

Revue des vins de France

Avant l’annonce des sanctions européennes contre la Russie, Aaron Ayscough, journaliste spécialisé et auteur du blog « Not drinking poison » avait pu joindre Alexander Pumpyansky qui avait tenu à rassurer les clients de Ganevat.

J'adore ce qu'ils font, j'adore Fan-Fan (ndlr Jean-François), et je ferai tout ce que je peux pour perpétuer l'esprit du domaine - et pour éviter que les événements actuels n'aient un impact sur le domaine.

Alexander Pumpyansky

Not drinking Poison

Un vin du Jura exceptionnel

Dans le Jura, le domaine viticole Ganevat est connu pour la qualité de ses vins. Un domaine transmis de génération en génération. En 2018, La revue des vins de France le célébrait comme « le meilleur vigneron de France ».

« Les vins n'ont jamais été aussi bons que dans les derniers millésimes. Il y a quelque-chose en eux qui vibre à fleur de peau. Si le vigneron prend des risques, c'est bien à la recherche d'un idéal esthétique, au service de l'émotion. N'est-ce pas l'une des meilleures définitions d'un grand vin ? »

Jean-François Ganevat et Benoit Pontenier vont continuer à prendre des risques pour "sauver les domaines", mais cette fois-ci en s’endettant pour de longues années. On peut s'attendre à de nouveaux épisodes de cette histoire au long cours. C'est ce que pressent le blogueur averti Aaron Ayscough. En réaction à l'annonce du retour dans le giron familial de Ganevat, il écrit " Ganevat ne voulait surtout pas s'endetter en gérant son patrimoine pendant des années. et Pumpyansky entretient une relation très positive avec les deux hommes. Il semble donc probable qu'il s'agisse d'un arrangement concocté pour attendre que les sanctions soient levées jusqu'à ce que Pumpyansky puisse racheter."

 

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