"Un coin à morilles, c'est sacré" : des cueilleurs disent tout de leur passion pour le savoureux mais discret champignon

Elles se ramassent dans toute la France, mais la Franche-Comté est l'une des régions où on les trouve le plus. Les morilles comptent beaucoup de fidèles cueilleurs dans nos montagnes. Ce champignon, délicieux mais rare, demande des trésors de patience et de savoir-faire. Des "morilleurs" ont accepté de partager leur passion.

Attention, la morille est un champignon au goût délicat, mais qui est toxique lorsqu'elle est mangée crue. Pour les manger fraiches, il faut les cuire au moins 15 minutes. Si elles sont séchées, il faut attendre qu'elles aient ramolli, et tout de même prendre la précaution de les cuire avant de les déguster.

Ils ne donnent pas leur nom de famille, et jamais trop de précisions sur les lieux où ils vont se promener. Il faut dire qu'ils ont l'habitude d'entretenir un certain flou autour de certains aspects de leur passion. Si tous les cueilleurs de champignons cultivent une part de secret, les morilleurs sont probablement les plus cachotiers d'entre tous. Mais c'est avec beaucoup de chaleur et de gentillesse que plusieurs d'entre eux ont accepté de nous parler de leur passion dévorante pour ce champignon, délicieux mais particulièrement rare et imprévisible.

"C'est très capricieux comme champignon"

"Petit, on m'emmenait aux champignons, alors à 24 ans, je continue". De mars à juin, Alan, jeune travailleur frontalier, arpente les bois du Haut-Jura dès qu'il le peut. "C'est une passion, mon papa et mon papi me l'ont transmise"

Ses débuts de morilleuse, Denise ne s'en souvient même plus : "comment j'ai commencé ? Alors là, vous me posez une colle" rigole la Franc-Comtoise. "Mes parents n'allaient pas aux morilles, alors je ne sais pas ce qui a pu me motiver à aller aux morilles comme ça". La retraitée, qui préfère ne pas dire où elle vit, ramasse le précieux champignon "depuis 1985". Au printemps, elle part à la recherche de morilles au moins une fois par jour.

Car la cueillette des morilles demande de la patience et de la persévérance. Ce champignon au goût de noisette et de viande, est "très capricieux" explique Alan. " On ne sait jamais si elles ont poussé ou non" confirme Denise. La morille pousse dans les bois, en particulier dans les régions où les chocs thermiques se succèdent au printemps. Mais, "même un grand morilleur, on est toujours dans le doute".

"Un coin à morilles, c'est sacré"

Pour cueillir des morilles, deux stratégies cohabitent : chercher dans les recoins des bois les plus propices au précieux champignon, et retourner sur les lieux où l'on en a déjà trouvé. Les bons morilleurs usent des deux tactiques.

"Il faut beaucoup de coins" confie Alan. "Il y a des coins qui donnent régulièrement, d'autres qui donnent moins". Le "coin", c'est le trésor du morilleur. Denise veille sur les siens : "un coin à morilles, c'est sacré quand même" confie-t-elle.

Je m'habille tout en noir ou en vert, et puis j'ai toujours une capuche ou un bonnet pour ne pas qu'on m'aperçoive

Denise, retraitée et morilleuse  

"On y va tôt le matin pour être le premier" décrit la Franc-Comtoise. "Si j'arrive sur un coin, qu'il y a déjà quelqu'un, je me cache, comme ça je regarde où il va"… et où il regarde exactement. Et la retraitée prend bien soin d'éviter le regard des autres : "je pars à pied comme ça, on ne trouve pas ma voiture".

Alan, lui, a un atout : "J'ai été bûcheron, j'étais beaucoup dans la forêt, alors je connais bien" reconnaît le Jurassien. Il mise sur une zone de cueillette très large, et en altitude. Car c'est là que pousse la plus prestigieuse des morilles : la morille noire, morille elata de son nom latin.

"La morille noire, pour nous, c'est plus sacré que les morilles jaunes ou grises" explique Denise, " elles sont réputées meilleures que les autres, mais elles sont plus difficiles à trouver".

C’est bien camouflé, fut avoir un bon œil et faut connaître son secteur de recherche par cœur

Alan, jeune morilleur

"Les blondes, ça pousse un peu dans les champs, sous les frênes, c'est un peu plus facile à trouver" précise Alan. "La noire, il faut connaître les chemins des bois par cœur, et puis on a vite fait de passer à côté et de ne pas les voir, c'est bien camouflé dans les cailloux, les herbes sèches, faut avoir l'habitude". Cette année, Alan a déjà cueilli plus de 600 morilles noires. Un score dont il n'est pas peu fier.

Mais la connaissance du terrain ne suffit pas. "C'est bizarre" remarque Alan, "il y a des endroits où on en trouvait beaucoup il y a longtemps, et ça ne donne plus beaucoup, et des places où j'en trouvais une vingtaine et là, j'en avais 160 au même endroit". Denise aussi a vu un changement : "Il y a des endroits où j’en trouvais des paquets il y a 10 ans, et je trouve plus… Il faut que je me fasse des nouveaux coins".

Petite difficulté : la morilleuse se cantonne aux bois de son village. "Le problème, c'est que je me perds en forêt". Absorbée dans sa quête de morilles noires, "je regarde par terre, et puis quand je lève la tête, je me dis 'je suis où ?' et le téléphone ne passe pas".

La quête de nouveaux "coins à morilles" peut créer des situations cocasses. "Des fois, on rigole bien" reconnaît Denise. "Un jour, j'étais dans un coin, et je me dis 'ah voilà le gaulois', c'est son surnom, alors je me cache derrière un arbre". "Heureusement que je ne suis pas trop grosse" rit la retraitée. "Il vient vers moi, je l'entends qui trébuche dans une espèce de crevasse et qui jure. Je me retiens de rire, pis je l'entends qui vient vers la gauche, alors je tourne de l'autre côté de l'arbre… enfin, c'était trop rigolo" raconte-t-elle, avant d'ajouter, "mais des fois, on s'engueule".

J'avais trouvé un coin de morilles au bord d'une route, mais la voisine, elle s'en est doutée. Un jour, j'y vais, je la trouve là. Je lui demande ce qu'elle fait, elle me dit 'j'ai perdu une pièce de deux euros, je la cherche'. J'ai pensé 't'es en train de fouiller mes morilles', mais j'ai rien dit. Alors je fais des détours quand je vais dans ce coin-là.

Denise, morilleuse jurassienne

"Une fois, j'y suis allée à 5h du soir, une voisine me voit, elle me dit 'ah ! Qu'est-ce-que tu viens faire ?' " se souvient Denise. "Je dis 'je me promène !', elle m'a dit 't'es une sacrée menteuse ! Tu viens voir les morilles', elle n'était pas contente du tout". La retraitée a une raison de faire toutes ces "cachotteries" : des champignons qu'elle n'a pas encore ramassés. "J'en ai une quinzaine, des cachées dans différents coins, sous des feuilles, des brindilles. J'attends quatre ou cinq jours, et j'y retourne après".

La sauce aux morilles, ça se mérite

On pourrait tout de même se demander ce qui pousse ces morilleurs à arpenter avec autant d'ardeur les bois de leur région. Le plaisir de la recherche, bien sûr, mais pas que. "Quand je vais me promener, j'aime bien avoir un but" confie Denise.

Et il y a bien sûr la récompense de la cueillette : la dégustation. "Ah c'est la passion de le faire, mais aussi de le cuisiner" reconnaît la retraitée. "C'est des repas de famille, à Noël, à Pâques" raconte Alan, "On est une grande famille, alors il faut beaucoup de champignons".

Pour ramasser de quoi faire de belles sauces aux morilles pour toute l'année, les deux passionnés parcourront les forêts jurassiennes jusqu'à la fin du mois de mai, et peut-être même un peu en juin.

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