Pendant plus d’un siècle, jusqu’aux années 1970, l’Assistance publique a placé des centaines de milliers d’enfants abandonnés ou orphelins dans le Morvan. Ils étaient si nombreux qu’on les désignait par leur ville d'origine : Les Petits Paris.
L'histoire des pupilles du Morvan est méconnue, elle a longtemps été honteuse. Dans ce documentaire, Frédérique Lantieri nous emmène à la rencontre des "Petits Paris".
Depuis un décret napoléonien, les enfants abandonnés étaient obligatoirement placés à la campagne, chez des cultivateurs ou des artisans. Si d’autres régions ont accueillies des pupilles de l’Assistance publique, aucune n’en a reçue autant et aussi longtemps. Dans le Morvan, on parle même "d’industrie nourricière" !
Pas un village, pas un hameau, pas une maison qui n’ait pu compter sur la pension versée par l’Assistance et sur le travail des Petits Paris.
De tout temps les Morvandiaux n'ont pas hésité à se déplacer pour acquérir des revenus complémentaires à ceux de leurs terres. Au début du 16ᵉ siècle, c’est la grande époque des flotteurs de bois qui apportent le bois de chauffage à Paris par voie d’eau et des galvachers (voituriers ou charretiers paysans). Des activités qui relient le Morvan à la ville de Paris.
Le Morvan, terre nourricière
A cette époque, les grandes bourgeoises parisiennes, ne "s’abaissent" pas à allaiter leur nourrisson. Elles accueillent donc à leur domicile des nourrices issues du Morvan, cette région bien connue des parisiens avec qui ils font des affaires. Au sein des familles morvandelles, il y a toute une génération absente (les mères nourrices à Paris, les pères sur les routes ou au flottage). L’accueil des enfants de l’Assistance apporte donc une main-d’œuvre nécessaire pour faire tourner les fermes désertées par les parents.
C’est une histoire qui s’est vécue de manière extrêmement massive mais aussi totalement silencieuse.
Cette histoire singulière, personne ne l’a jamais racontée. Ni les anciens Petits Paris, ni les familles nourricières. Trop honteuse pour tous.
Pour recruter ces familles nourricières, l’Assistance publique ouvre des agences locales à Avallon, Quarré-les-Tombes, Saulieu… Les directeurs de ces bureaux choisissent les familles nourricières et les contrôlent régulièrement.
Ils organisent des tournées d’inspection quatre fois par an dans chaque maison pour vérifier l’hygiène, la nourriture, la présence à l’école… Mais difficile pour eux de repérer les abus et la maltraitance puisqu'ils annoncent leur venue !
"Ils étaient bien reçus, les enfants étaient bien vêtus…tout allait très bien. Mais quand ils avaient tourné le dos, ce n’était pas ça ! " se souvient Michel Millet, ancien instituteur.
Car certains de ces inspecteurs tirent profit de ces visites en se faisant "graisser la patte" par des familles qui les soudoient avec de la nourriture issue de la ferme (pain, volaille, beurre…)
Raymond, ancien pupille, a une vraie aversion pour ces directeurs de l’Assistance publique qui, selon lui, n’avaient aucune considération pour ces enfants placés et se souvient encore que l’un d’entre eux lui crachait dessus.
Dès l’âge de 13 ans, le pupille doit travailler, car l’Assistance publique ne verse plus de pension aux familles, cependant elle continue de décider de tout et notamment de leur métier.
Les directeurs d’agence organisent des sortes de foires, de marchés aux domestiques pour placer leurs pupilles. On les appelle alors les "louées".
Une des caractéristiques du Morvan, c’est que la moitié des enfants élevés dans une famille jusqu’à l’âge de 13 ans se plaçait ensuite dans cette même famille… Ça permettait à ces enfants de se faire « des racines » indique la scientifique Marie-Laure Las Vergnas.
La stigmatisation des pupilles de l’Assistance
À cette époque, les enfants de l’Assistance publique sont tous habillés de la même façon : la même blouse, les mêmes galoches. L’institution envoie aux enfants un trousseau pour l’hiver et un pour l’été. Une sorte de costume unique, identifiable par tous.
Pour les garçons, il est composé d’un short, qu’ils portent été comme hiver, pas de sous-vêtement, et une sorte de cape avec une grande capuche. Un "capuchon" que portent également les filles.
Je rêvais d’avoir un manteau, juste pour pouvoir mettre les bras dedans.
Les pupilles possèdent également une petite chaine avec une médaille sur laquelle est inscrit un numéro de matricule. Mireille se souvient encore du sien : 4976.
Elle assimile cela aux matricules apposés sur le bétail "on n’est personne, on est dans le troupeau".
Cette chaîne, Marcel, ancien pupille se souvient qu’à l’âge de 12 ans des agents de l’Assistance publique sont venus la lui retirer. Ils lui ont "coupé son identité", un vrai choc pour lui et qui reste à jamais un traumatisme.
Des fratries éparpillées
Les enfants placés par l’Assistance publique sont rarement installés avec leurs frères et sœurs au sein de la même famille.
C’est le cas de Raymond, arrivé dans sa famille d’accueil à l’âge de deux ans et demi.
Il lui faut attendre ses huit ans pour apprendre qu'il a des frères qui sont eux placés dans une autre famille… à moins d’un kilomètre de chez lui !
Il en est de même pour Mireille.
Un jour, elle reçoit un colis venant de l’Assistance contenant un petit sac à main rouge. Ce colis ne comporte pas de message et la jeune fille ne trouve aucune explication à ce "cadeau".
Elle découvre l’existence d’une sœur lors d’une visite d’une nourrice au domicile de sa mère nourricière. Cette dame est accompagnée d’une petite fille, Odette. Cette petite fille a également reçu un colis contenant un sac à main rouge.
Mireille apprend ce jour-là que non seulement elle a une sœur, mais aussi un frère, placé dans une autre famille. Sa sidération est à son comble lorsqu’on l'informe également qu’elle a un père et que c’est cet homme qui a fait parvenir ce cadeau à ses deux filles.
La vie des Petits Paris dans le Morvan
Si la plupart des enfants placés sont traités correctement, d’autres sont exploités.
Raymond fait partie des enfants qui n’ont pas eu la chance de "bien tomber".
Ses parents nourriciers, alors âgés d’une soixantaine d’années, il les appelait "Pépère et Mémère". Il n’a jamais prononcé le mot maman de sa vie et "les bisous c’étaient paquet d’orties et les triques…"
Des souvenirs douloureux qu’il peine à partager sans que l’émotion remonte à la surface. Il se souvient avec douleur de la méchanceté de sa mère nourricière.
J’étais l’esclave de la ferme.
Le père d’Annick est placé à l’âge de quinze jours dans une famille nourricière aimante.
Adulte, il devient le facteur du coin. Pendant les vacances, la jeune fille accompagne son père dans sa tournée. Parfois, il ne veut pas qu’elle rentre avec lui dans les fermes parce que ce qu’elle y aurait vu l’aurait traumatisé : des enfants attachés au pied d’une table, les insultes, les coups. À travers les vitres, elle regarde tout de même et en garde des images glaçantes. Elle se souvient également d’une camarade de l’école, pupille également, qui avait les doigts abimés…rongés par les rats de la grange dans laquelle elle dormait.
Michel estime qu’il a eu de la chance.
Il n’a jamais quitté le hameau près de Quarré-les-Tombes où il a débarqué, petit Parisien de cinq ans. Ce qui l’a sauvé, c’est la nature, les travaux des champs qu’il faisait tout jeune avec "le grand-père". Aujourd’hui, il élève des moutons à côté des maisons de ceux qu’il appelle son frère et sa sœur.
Les frères et sœurs de lait
Il est devenu évident que la famille au cœur du Morvan ce n’est pas la famille de sang. Ces pupilles deviennent des "frères et sœurs de lait". Cette relation de fratrie va au-delà du sang.
Alain, fils de famille nourricière, regarde avec nostalgie des photos de l’époque.
Sa famille a accueilli plus d’une vingtaine d’enfants. Des enfants qui sont restés six mois, d’autres quinze ans. À l’époque, il a beaucoup de peine lorsque les enfants placés dans sa famille s'en vont : "Ça laisse des séquelles".
Il a toujours considéré ces pupilles comme des frères et sœurs et il reste en contact avec la plupart d’entre eux.
Après des décennies de silence et de honte, la grande histoire des Petits Paris commence à s’écrire enfin et les dossiers des origines sont exhumés.
Marie-Laure Las Vergnas, scientifique, se rend aux Archives de Paris où elle examine les registres où sont recensés tous les enfants placés dans le Morvan.
Les informations qu’elle récolte sont envoyées dans une base de données afin de reconstituer tous ces mouvements entre Paris et la Bourgogne. Cette base de données permet à tous ceux qui le désirent de savoir d’où ils viennent et peut-être de comprendre pourquoi ils ont été abandonnés.
Le film de Frédérique Lantieri nous offre les témoignages poignants et bouleversants de la vie de ces Petits Paris.
Le Morvan des "Petits Paris", un film de Frédérique Lantieri
Une coproduction France Télévisions / Nomade Productions / Wallraff
►À retrouver en replay sur notre page des documentaires "La France en Vrai"