Vendredi 27 septembre, l'Assemblée nationale a voté, en première lecture, en faveur du recours aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples lesbiens et femmes seules. Nous avons rencontré des femmes et des familles franc-comtoises, concernées par la mesure. Reportage.
Si les débats et les manifestations des anti-PMA ont été moins denses que lors de l’adoption législatif du mariage pour les personnes du même sexe en 2013, les détracteurs de cette mesure d’égalité sociale existent et continuent à manifester, comme le 6 octobre à Paris, ou environ 70 000 personnes ont défilé dans les rues de la capitale. Pourtant selon un sondage IFOP, 6 Français sur 10 sont favorables à son extension pour toutes les femmes.
Le but de cette loi est d’ouvrir un nouveau droit à toute une partie de la population française, mais aussi de reconnaître définitivement les nombreux enfants nés de ce procédé, la plupart du temps réalisé en Belgique ou en Espagne, par insémination ou fécondation in vitro avec don de sperme.
"3.000 à 5.000 couples français partent chaque année vers l'étranger" pour une PMA, principalement en Belgique, en Espagne et en Grande-Bretagne, selon le Docteur Géraldine Porcu-Buisson interrogé par le magazine Le Point. Ce chiffre est évidemment invérifiable.
En Belgique, la PMA depuis 12 ans
En Belgique, les femmes peuvent opter pour la PMA depuis 12 ans déjà. Au fil des années, le nombre de procréations médicalement assistées n’a cessé d’augmenter, porté par les couples étrangers désireux d’en bénéficier. “À l’époque, la loi belge était passée sans que le débat public ne s’enflamme, parce qu’elle intervenait notamment après plusieurs autres lois sur les droits des personnes homosexuelles” comme le rappelle le journal La Croix.
Les couples de lesbiennes françaises sont nombreux à opter pour cette solution, jusqu’à présent illégale dans leur pays. Pourtant, le parcours est loin d’être simple. La première mission des futures mamans : trouver un gynécologue qui accepte de les suivre en France, pour une PMA dans un centre situé à l’étranger. Jusqu'en 2016, les gynécologues français risquaient une condamnation s'ils accordaient un suivi aux femmes candidates à la PMA à l'étranger. Ils encouraient alors une peine de 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende.
"Tu ne peux pas y aller à l'aveugle"
Marine et Célia, deux jeunes Franc-Comtoises résidant en Haute-Saône, sont devenues mamans en octobre 2019. Le petit Maël* a été conçu grâce à une PMA réalisée en Belgique, en janvier 2019.
"Je n'avais pas de gynécologue au début. On m'en a recommandé un mais c'était quand même un stress. Tu ne peux pas y aller à l'aveugle. On se pose toujours les mêmes questions : tu arrives là-bas et tu dis quoi ? On ne sait pas trop comment agir. On arrive avec nos protocoles et on ne peut pas les modifier, c'est au gynécologue de s'adapter" expliquent les deux jeunes mamans. En effet, chaque clinique possède ses propres protocoles d'examens avant une insémination ou une FIV. Pour obtenir une PMA, il faut bien évidemment les respecter à la lettre.
La grande différence avec la conception d'un enfant pour un couple hétérosexuel et un couple homosexuel réside dans la nécessité de planifier les choses. Les examens, les rendez-vous, l'ovulation... Tout est calculé pour un enfant né d'une PMA.
"On a eu le premier rendez-vous début novembre, insémination deux mois plus tard et paf enceinte !" s’amuse Marine, encore aujourd’hui étonnée d’avoir réussi à concevoir le petit Maël aussi vite. L'insémination a eu lieu au Centre de Procréation Médicalement Assistée du Chirec, à Bruxelles. La première consultation a coûté 80 euros, l'insémination 500 euros. "Nous avons été très bien suivies par l'équipe soignante, vraiment, tout s'est super bien passé" insiste Marine. "La Belgique est d'ailleurs un modèle en la matière. Des Français hétérosexuels préfèrent eux-aussi se rendre là-bas pour leur PMA plutôt qu'en France" précise quant à elle Célia.
La naissance de leur fils a été possible grâce au sperme d'un donneur anonyme. Contrairement à certains slogans anti-PMA, les deux jeunes femmes n'ont jamais eu l'intention de cacher à leur fils ses origines. Les deux mamans trouvent dommage que l'identité du donneur ne puisse être dévoilée. "On voulait qu'il puisse savoir qui il est, qu'il ait une image, un visage, qu'il puisse le rencontrer s'il le souhaite à ses 18 ans. Nous n'avons pas peur qu'il s'éloigne de nous, pas du tout. On sait qu'il nous aime" confient Marine et Célia. Malheureusement, Maël ne pourra jamais avoir accès au nom de son géniteur.
Le petit Maël aura la chance d'avoir une petite soeur ou un petit frère dans les années qui viennent. Cette fois, ce sera Célia la porteuse et les deux mamans ont déjà prévu le coup : "On a acheté les mêmes paillettes. Elles sont conservées 5 ans au centre. Le donneur sera donc le même !" .
Dans le projet de loi bioéthique français tout juste adopté, l'accès aux origines est garanti. La réforme prévoit un système garantissant aux enfants nés d'une technique de procréation médicalement assistée un accès à leurs origines. Les donneurs de gamètes devront accepter qu'à 18 ans, ces enfants nés de leur don puissent avoir accès aux informations du donneur (âge, caractéristiques physiques, voire identité). Il s'agit notamment de pouvoir garantir l'accès aux informations génétiques du donneur, afin d'être averti d'un risque de maladie. Pour donner ses gamètes désormais en France, il est donc obligatoire d'accepter cette transmission d'informations, comme le rappelle France Info.
Pour certaines, un parcours du combattant
Évidemment l’exemple de Célia et Marine n’est pas forcément la norme. De nombreuses femmes peinent à tomber enceintes en ayant recours à la PMA à l’étranger. Certaines y laissent beaucoup d’argent, d’énergie et d’espoirs déçus.
Laura* et Chloé*, installées dans le Pays de Montbéliard, attendent leur premier enfant. C’est Chloé, la plus âgée des deux futures mères, qui porte le bébé. Le petit Lucas* doit pointer le bout de son nez début novembre à la plus grande joie des deux jeunes femmes qui attendent ce moment depuis plusieurs années déjà. Ces dernières voient enfin le bout du tunnel après de nombreux essais infructueux et pas mal de désillusions. Chloé, 37 ans, a quelques soucis de santé qui ont considérablement compliqué les choses.
"À cause du diabète gestationnel, nous rencontrons des difficultés car il y a beaucoup de liquide amniotique et devons faire un décollement puis déclenchement. Avec les premières inséminations, on était déçues... puis ensuite la fausse couche. Dur dur de se dire qu'il faut tout recommencer quand on subit des échecs" nous a confié Laura.
"En mode battantes"
Il faut une énorme dose de volonté pour continuer à y croire, malgré les obstacles. Les deux Franc-Comtoises n'ont jamais pensé à abandonner et ont enclenché le "mode battantes". En plus de dépenser de l'énergie, Laura* et Chloé* ont dépensé une somme d'argent importante pour les différents actes médicaux. "Il faut compter 200€ pour l'acte, puis 400€ de sperme et après il faut ajouter les frais de transports : 800€. Au total on en a eu autour de 5000€" nous ont-elles expliqué. Pour les deux jeunes femmes, il a fallu économiser et réduire les dépenses, notamment freiner les loisirs, et ce bien avant l'arrivée du bébé.
Avec l'adoption de la PMA par l'Assemblée nationale, une révolution s'apprête à être mise en place pour les couples de femmes en France. Elles n'auront tout simplement plus à dépenser des sommes d'argent importantes pour pouvoir procréer. En effet, la loi prévoit un remboursement total des coûts engagés par la sécurité sociale, pour les femmes de moins de 43 ans avec un remboursement limité à quatre fécondations in vitro et six inséminations intra-utérines.
D'autres couples ont décidé d'attendre que la PMA soit définitivement mise en place en France. C'est le cas de Mélodie, 29 ans et Marine 25 ans. "Aller à l’étranger est une idée que nous avons eu mais "payer notre enfant" n’était pas concevable. Les frais sont beaucoup trop importants pour nous" nous a expliqué Mélodie, déjà maman de deux enfants, nés d'une première union.
Pour elle, l'amour d'un enfant dépasse les considérations liées à une filiation classique. "Je ne fais aucune différence et ne ferai aucune différence pour ce futur enfant, je garderai la même directive pour l’élever. C’est surtout les regards des autres qui fait qu’on se sent différente" conclut-elle.
La PMA adoptée, mais les procédures restent longues
La PMA a été adoptée par l'Assemblée nationale en France, le 27 septembre dernier. Pourtant les démarches administratives, notamment dans la reconnaissance de l'enfant par la deuxième mère, restent longues et usantes. Pour exemple, Maël a un an et n'est toujours pas officiellement le fils de Célia, malgré les efforts des mamans. "Si par malheur il arrivait quelque chose à Marine avant que je puisse l'adopter, que deviendrait notre fils ? C'est long, d'autant que nous sommes rattachés au tribunal de Vesoul. Tout prend plus de temps que dans une grande ville" se désole la jeune Franc-Comtoise.
En effet, pour adopter Maël, Célia a dû se marier avec Marine, la mère biologique, durant la grossesse. Une attestation de mariage est obligatoire pour demander l'adoption. Sans compter la lettre du notaire de 400 euros, dont le prix varie en fonction des cabinets, les attestations des proches qui stipulent que les deux mamans s'occupent bien de leur fils ou encore l'audience devant le tribunal qui doit venir conclure le processus d'adoption. Dans les mois à venir, cette longue route semée d'embûches pourrait se dégager un peu. Une belle victoire pour tous ces couples.
* Les prénoms ont été modifiés. Malgré l'évolution des mentalités, nos interlocutrices ont formulé le souhait de ne pas dévoiler leur véritable identité ou celle de leur enfant, notamment par crainte des stigmatisations dans le cadre de leur travail.