Le parc national des forêts de Champagne-Bourgogne doit voir le jour en 2019. Comme pour chaque projet de parc, une équation difficile doit être résolue : il faut protéger la biodiversité sans la mettre sous cloche.
Écartelés entre les intérêts des chasseurs, agriculteurs ou défenseurs du vivant, les parcs nationaux mettent en lumière la difficile cohabitation entre la nature et les hommes.
"Les parcs nationaux ont longtemps été critiqués pour la mise sous cloche de territoire. Cet aspect-là est loin derrière nous", explique Christophe Viret, président du collège des directeurs de parcs nationaux qui doivent bientôt accueillir un onzième parc consacré aux forêts, celui de Champagne-Bourgogne.
Intérêt collectif contre intérêts individuels, les premiers parcs nationaux issus de la loi de 1960, comme la Vanoise ou les Cévennes, ont parfois été vilipendés par les populations locales qui dénonçaient des décisions imposées d'en haut à leur détriment.
Pour répondre aux critiques, la réforme de 2006 met l'accent sur le rôle des acteurs locaux, pour concilier conservation et développement du territoire.
"On essaie de marier des choses qui peuvent être considérées comme des contraires, c'est-à-dire la place de la biodiversité, notre rapport au sauvage, et les activités économiques", commente Christophe Viret.
Des activités économiques aussi diverses que l'élevage dans le Mercantour confronté au retour des loups, les stations de ski dans la Vanoise, ou les exploitations forestières dans le futur parc national des forêts de Champagne-Bourgogne, qui sera le onzième.
"Depuis huit ans, nous sommes préoccupés par ce parc", explique ainsi Joseph De Bucy, responsable du syndicat des propriétaires forestiers Fransylva de Côte d'Or. Annoncé en 2009, ce parc soutenu par Nicolas Hulot dans le cadre du plan biodiversité présenté dans les prochains jours, devrait concrètement voir le jour en 2019.
Son périmètre maximal de 250 000 hectares doit inclure une réserve intégrale de 3 100 hectares dévolue à la recherche scientifique et un coeur de plus de 55 000 hectares où s'appliqueront des règles spécifiques sur la sylviculture ou la chasse.
"Cela représentera 40 000 m3 de bois d'oeuvre en moins par an", soit plusieurs dizaines d'emplois dans les industries périphériques, dénonce Joseph de Bucy, qui soutient aussi le combat d'une vingtaine de propriétaires forestiers privés qui veulent être sortis du coeur du parc.
À l'inverse, l'ONG France Nature Environnement redoute "un parc au rabais", explique Jean-David Abel, pointant du doigt des niveaux de coupe "trop importants" dans le coeur et le maintien de pratiques comme la chasse à courre.
"Beurre et argent du beurre"
Certains parcs nationaux "veulent le beurre et l'argent du beurre, l'image et les moyens sans avoir aucune des contraintes", dénonce le vice-président de la fédération."L'économie locale est basée sur l'exploitation des ressources naturelles et il a été choisi en toute connaissance de cause", répond Hervé Parmentier, directeur du Groupement d'intérêt public chargé de mettre en place le parc, soulignant le potentiel de développement économique, notamment touristique.
Si les populations locales s'opposent, le risque est de voir la charte rejetée par les communes de l'aire d'adhésion, c'est-à-dire l'espace partageant la vision du projet sans que les règles du coeur ne s'y appliquent.
Ainsi en 2015, le parc de la Vanoise, créé en 1963, est réduit à peau de chagrin après le rejet de la charte nouvelle formule par 27 des 29 communes concernées.
Un cas toutefois exceptionnel. Sur les autres parcs, "le taux d'adhésion des communes frise les 80%", note Christophe Viret.
Malgré tout, "le consensus n'est pas possible dans la mesure où les intérêts sont antagonistes", résume Cécilia Claeys, sociologue à l'université Aix-Marseille, qui a notamment étudié le parc des Calanques. Créé en 2012 aux portes de Marseille, il a vu s'opposer écologistes déplorant son manque d'ambition et pêcheurs, plaisanciers, grimpeurs ou élus craignant une sanctuarisation du site.
"Quoi qu'on en dise, on est en France sur des territoires très habités, loin des grands grands espaces" américains où ont été créés les premiers parcs nationaux, souligne Christophe Viret. Alors il n'y a pas d'autre choix que de faire participer les acteurs locaux, pour qu'ils "s'approprient le label qui peut tirer ces territoires en termes de développement".