Ces maires ne seront pas candidats à leur succession lors des élections municipales des 15 et 22 mars prochains. Exigences de leurs administrés, perte de pouvoir dans les mairies, lassitude ou besoin de repos, dans la Nièvre et en Saone-et-Loire, ils témoignent de leur vie de maire au quotidien.
C’est un symbole qu’elle replie avec application. Françoise Botti range son écharpe tricolore dans une petite boite en carton. Dès son élection comme maire de Chevagny-les-Chevrières (Saône-et-Loire), il y a 6 ans, sa décision était prise. Elle ne se représentera pas au terme de son mandat.
« Je crois que ce qui va beaucoup me manquer, c’est d’être à l’initiative, d’être moteur pour cette vie communale, confie l’élue de 55 ans. J’ai réalisé tout ce que j’avais prévu, maintenant il faut accepter de laisser cela à quelqu’un d’autre. » Les 16 et 22 mars prochain, les 600 habitants du village choisiront sa ou son successeur.
Le coq, les cloches, la bétonnière et les menaces
A Prémery, dans la Nièvre, c’est jour de conseil municipal. L’avant dernier pour Monsieur le maire ! Jean Marceau a 78 ans. Il reconnaît aussi une certaine lassitude. "Le maire, c’est toujours celui à qui l’on pose la question, explique-t-il. Des vaches qui dérangent, des chiens qui aboient, le coq qui réveille tout le monde, les cloches de l’église qui sonnent trop tôt ou trop tard. Il y a même parfois des petites menaces. Avant que je sois maire, je n’avais pas conscience de ce que cela représentait… On vient même à mes permanences pour me demander comment nettoyer sa bétonnière!", s'amuse-t-il.
"Il faut etre multifonction et réactif" - Françoise Botti, maire de Chevagny-les-Chevrières
Pour arpenter les rues de Chevagny-lès Chevrières, Françoise Botti a renoncé à porter des talons. « Il faut de l’énergie!» pour jongler entre tous les besoins de sa commune. Tenir une permanence en mairie pour remplacer une secrétaire de mairie. Assurer la distribution des repas à la cantine quand un agent est absent. « On le fait aussi quand on a des absences à la garderie. Le soir, on accueille des enfants jusqu’à 18h30. L’évolution de cette école me tient à cœur donc c’est quelque chose que je fais naturellement. »
Une action chronophage, souvent rythmée par des attentes multiples des administrés. "On met quand même un peu nos vies privées de côté quand on est maire. » A 78 ans, et à quelques semaines de la fin de son mandat, Jean Marceau pense à la nouvelle vie qui l’attend. « Une fois libérer, j’accorderai plus d’importance à ma famille. » Ces dernières années, il reconnait qu'il n'a pas beaucoup pu voir ses enfants, installés hors de la région.
De son coté, Françoise Botti a tenu à préserver sa vie personnelle. « La fonction de maire, c’est comme un travail. On a des obligations mais on n’est pas esclave de ce rôle. Dès le départ, j’ai su dire "non" de façon juste et justifiée. Je pense que cela contribue aussi au respect de la fonction de maire que j’assure » constate l'élue. « On a souvent des nouvelles d’elle par le journal alors on se dit que tout va bien » nuance quand même Jeannine, sa maman. Les parents ne cachent pas leur fierté d'avoir vu leur fille diriger la commune.
"Cela m’empêche parfois de dormir" - Jean Marceau, maire de Prémery
« J’arrive à déconnecter, mais souvent je repense à un dossier une fois rentré à la maison. Je repasse des coups de fil. Cela m’empêche parfois de dormir» reconnait Jean Marceau. A Prémery, Jean Marceau tient à ce qu’aucun papier ou cannette ne jonche les trottoirs alors il fait parfois le nettoyage. Il est appelé pour faire remplacer une enceinte de la salle de projection qu’il a faite construire. Alors qu'un chantier est en cours sur la voirie, il s’inquiète aussi des risques en cas d’accident. « Il y a de nombreux véhicules qui passent ici. Si une citerne se retournait, ce serait un problème majeur", dit-il soucieux.
Parfois, il faut aussi gérer les drames. « Je reçois des coups de téléphone, des urgences la nuit, directement à la maison. Quand vous allez à 3 heures du matin réveiller une famille pour annoncer le décès d’un enfant, ce n’est pas drôle.»
Le maire, homme à tout faire
"C’est un travail à temps plein car on attend de nous d’avoir réponse à tout", pensent les deux élus bourguignons. Les petites communes de moins de 3 500 habitants n’ont généralement pas les équipes suffisantes pour déléguer les tâches. Seuls un ou deux employés communaux, une secrétaire de mairie et des adjoints qui continuent d’avoir une vie professionnelle. Le maire devient très vite le chef d’orchestre, le couteau suisse, voire la personne à tout faire.
"On se sent démunis, dépossédés de nos champs d’actions, et les habitants s’en rendent compte"
Souvent, l’engagement personnel est total. Les attentes des électeurs se multiplient. Mais les moyens manquent, notamment depuis le renforcement des communautés de communes. Ce jour-là, direction une autre commune pour Jean Marceau. C’est à Saint-Saulge, à une vingtaine de kilomètres de sa mairie que se tient la réunion de sa « com-com ». Entre de multiples rendez-vous, il a réussi à dégager 2 heures pour y assister. Désormais, c’est à ce niveau que se décide une grande partie de l’avenir du territoire. Non sans une petite amertume. "On se sent démunis, dépossédés de nos champs d’actions, et les habitants s’en rendent compte", analyse Jean Marceau dans la Nièvre.
Plus d'exigences, moins de moyens
« Ces dernières années, on a connu de grands changements » confirme Françoise Botti. Elle regrette la diminution de ses moyens financiers. "En 6 ans, la dotation globale de fonctionnement qui est versée par l’Etat est passée de 84 000 euros à 23 000 euros. On est très pénalisés, impossible dans les petits villages d’avoir les moyens suffisants, et pourtant, nous sommes obligés de rester des porteurs de projets".
"La politique au sens noble"
Pourtant, l’un comme l’autre tirent un bilan positif de leur action. Ils s’estiment peu atteints par la hausse des incivilités ou la crise des gilets jaunes. "Nous avons simplement été impactés par les décisions nationales qui réduisent nos actions, mais notre rôle n’a pas changé", veut croire Françoise Botti. "C’était de la politique au sens noble du terme, au service du citoyen et de la démocratie", complète Jean Marceau.Dans quelques jours, les deux édiles confiront les clés de leur mairie à quelqu’un d’autre. "Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de mélancolie à un certain moment. Cela risque bien d’arriver, admet Jean Marceau. Mais je vais retrouver la liberté qui était accaparée par mes fonctions. C’est un changement de vie."