Alors que des travaux de destruction et de construction d’un nouveau pont entre Fleurville (Saône-et-Loire) et Pont-de-Vaux (Ain) doivent commencer en septembre, plusieurs riverains pointent du doigt les ravages écologiques d’un tel projet.
Le pont de Fleurville (Saône-et-Loire) enjambe la Saône pour rejoindre la commune de Pont-de-Vaux dans le département voisin de l'Ain. Ce pont relie ces deux communes par la Route Départementale RD933a, mais comme il présente des fragilités, des restrictions d'usage ont été imposées depuis 2013 : circulation alternée par des feux, vitesse limitée, tonnage limité à 26 tonnes.
La reconstruction d'un pont neuf en amont permettrait une circulation à double sens, à une vitesse accrue (70km/h) et autoriser le transit de poids lourds jusqu'à 44 tonnes et de permettre les mobilités douces (vélo et piéton)
Un projet impactant l'environnement
Le projet de reconstruction de ce pont n’a pas fini de faire parler de lui. Alors que la Préfecture de l'Ain a donné son aval pour la destruction de l’ancien pont et la reconstruction d’un nouveau en amont de celui-ci par arrêté le 28 juin dernier, plusieurs riverains contestent ce projet et ont déposé un recours gracieux (le 18 août) auprès des services de l’État pour demander son annulation.
Ce qui est mis en cause, c'est le fort impact environnemental du projet choisi par les départements de l’Ain et de Saône-et-Loire, tous deux en charge du projet. En effet, d’après l’arrêté inter-préfectoral du 28 juin 2021 autorisant le début des travaux, « le bénéficiaire (de l’arrêté) est autorisé à détruire des spécimens d’espèces animales protégées, perturber intentionnellement des spécimens d’espèces animales protégées et de détruire, altérer ou dégrader des sites de reproduction ou d’aires de repos d’espèces animales protégées ».
En tout, ce ne sont pas moins de 72 espèces – mâles et femelles compris – qui sont menacées par la reconstruction d’un nouveau pont : pipistrelles, bergeronnettes, hérons ou encore mésanges charbonnières.
Espèces animales protégées - arrêté Préfectoral
Un avis défavorable émis par le commissaire-enquêteur
Une destruction du milieu naturel que l’association "Bien vivre à Replonges" n’est pas prête à accepter. « Le projet porte notamment atteinte à quatre espèces de chauve-souris en voie d’extinction », insiste Michel Mellon, membre de l’association. Selon lui, les deux départements porteurs du projet n’ont pas fait le bon choix, en privilégiant la destruction du pont actuel et une reconstruction complète d'un nouveau pont en amont de celui-ci.
Ce point de vue est partagé par le commissaire enquêteur, Gaston Martin, chargé de l’étude d’impact du projet. Son enquête, réalisée entre le 6 juillet et le 19 août 2020, émet « un avis défavorable à la réalisation de la solution retenue pour la reconstruction du pont de Fleurville-sur-Saône en amont de l’existant ». (Voir page 6 de l’avis du commissaire enquêteur)
Dans son dossier, le commissaire enquêteur s’appuie notamment sur l’avis de l’Autorité Environnementale qui a jugé que « l’option retenue, qui consiste à réaliser un nouvel ouvrage en amont immédiat de l’actuel, minimise la coupure de circulation pour les véhicules motorisés et correspond à un gain hydrologique, mais présente l’impact sur le milieu naturel le plus important et le coût le plus élevé. » (Voir page 3 de l’avis délibéré ci-dessous de l’Autorité environnementale sur la reconstruction du pont de Fleurville)
Avis de l'autorité environnementale
D'autres solutions sont possibles
Dans son rapport (étude d'impact du projet), le commissaire enquêteur ajoute qu’il « existe d’autres solutions de franchissement, moins coûteuses, moins impactantes pour l’environnement, tout aussi esthétiques qui remplissent les objectifs du Conseil Départemental de l’Ain ». M. Gaston Martin fait ici référence au projet de restauration du pont actuel. D’abord estimés à 15 millions d’euros (hors taxe), les travaux de construction d’un nouveau pont sont finalement revus à la hausse à hauteur de 18,6 millions d’euros. (Voir page 2 de la convention financière)
Dans son rapport, il préconise plutôt un projet « de réutilisation des appuis existants après le confortement de ceux-ci ». (Voir page 1 de l’annexe B du rapport du commissaire enquêteur)
Une proposition restée lettre morte. Pourtant, si le département de l’Ain était dès le départ favorable à une reconstruction complète du pont, le département de Saône-et-Loire préférait quant à lui la remise en état du pont actuel.
Les deux départements se sont finalement mis d’accord pour le projet de construction d’un nouvel édifice après des négociations où le département de l’Ain s’est engagé à prendre en charge 55% des dépenses contre seulement 45% pour le département de Saône-et-Loire. (Voir page 2 de la délibération du Conseil Départemental de Saône-et-Loire)
Délibération Conseil Départemental
Le département de l'Ain estime "qu'il est temps de faire les travaux"
Le vice-président du Département de l'Ain, délégué aux routes et à la mobilité, Guy Billoudet, rappelle, face au recours déposé par l'Association, que les deux CoDERST (Conseil départemental des risques sanitaires et technologiques) de la Saône-et-Loire et de l'Ain ont adopté le projet : "ces deux CODERST, ça représente toutes nos instances environnementales, il y a les services de la Dréal, et les services de l'environnement (Conseil National de la Protection de la Nature ndlr). Ce pont aurait dû être en service depuis Mars 2021. Quand on voit actuellement tous les détours que font les camions pour venir sur la ville de Pont-de-Vaux, on en est où par rapport à l'écologie et l'économie de CO2 ?"
L'autre argument mis en avant par l'élu est la sécurité : le pont actuel peut être fermé en cas de défaillance. M.Billoudet rappelle que : "si le choix d'un nouvel ouvrage a été fait, c'est avant tout pour des raisons de sécurité, l'actuel pont de Fleurville est sous surveillance, il peut être fermé du jour au lendemain. C'est pour l'intérêt général qu'un projet de nouveau pont a été décidé."
Concernant les autres propositions émises par l'association, l'élu de l'Ain émet des réserves : "J'entends les propositions de projet pour repartir de l'existant, mais est-ce que les piles actuelles pourront accepter un surpoids pour un nouveau tablier ? Aujourd'hui personne ne le sait, toutes les études, ça engendre des surcoûts encore plus importants, et sans garantie derrière. Les entreprises qui interviennent veulent des garanties avant de faire des travaux. "
Pour conclure sur le volet environnemental, M.Billoudet se veut rassurant :"le Département de l'Ain est maître-d'oeuvre sur ce dossier. Pour respecter la réglementation environnementale qui s'impose à nous, les textes nous disent que des travaux peuvent se faire au mois de septembre et octobre, après on ne peut plus rien faire. Il faut attendre août de l'année prochaine. La Dréal et le Conseil Départemental de la Nature ont émis des avis favorables. Tout a été étudié au maximum, pour qu'il y ait le moins de nuisances possibles, pour la faune et pour la flore, pour l'environnement également."
Modification de l'enquête publique
Le commissaire enquêteur accuse aussi les deux départements d’avoir modifié, sans en avoir été averti, l’enquête publique en « supprimant des éléments qui minimisaient l’intérêt du projet retenu » et en « omettant des éléments qui auraient pu être utiles à la réflexion du public ». (Voir page 4 de l’étude d’impact du commissaire enquêteur)
Avis Commissaire enquêteur sur étude d'impact
Pour se défendre, le département de l’Ain met en avant deux avantages à la construction d’un nouveau pont.
Tout d’abord, le département assure que le nouveau pont permettra des « conditions d’écoulement plus favorables, et donc des impacts positifs sur les vitesses d’écoulement et sur la ligne d’eau en amont du site ». (Voir page 10 de l’extrait du mémoire en réponse au procès-verbal)
Extrait mémoire en réponse au PV
Ils avancent aussi l’idée que le coût d’entretien en cas de restauration du pont déjà existant serait nettement plus élevé que celui pour un nouveau pont et que la restauration du pont actuel ne permettrait pas d’envisager une durée de vie de 100 ans pour l’ouvrage. « Il paraît raisonnablement impossible d’envisager une durée de vie égale à 100 ans pour un ouvrage reconstruit sur les mêmes appuis, comme on l’exigerait normativement de tout nouveau pont moyennant un entretien adapté et régulier. » (Voir page 10 de l’extrait du mémoire en réponse au procès-verbal ci-desssus)