Lancés en 2020 sous le gouvernement d'Edouard Philippe, comment vont les "1000 cafés" aujourd'hui ? En Bourgogne, le bilan est variable : si certains gérants ont réussi leur pari, d'autres ont dû jeter l'éponge.
Ils avaient pour objectif de relancer la vie quotidienne dans les communes de moins de 3500 habitants. Les "1000 cafés", une opération lancée en 2020 et soutenue par le gouvernement, a permis en trois ans de rouvrir environ 200 cafés dans toute la France. En plus de la dimension bar-restauration, ces lieux accueillent souvent plusieurs autres services : épicerie, dépôt de pain, poste, tabac, presse, retrait d'argent... Mais depuis, l'initiative fonctionne-t-elle vraiment ? En Bourgogne, les résultats sont inégaux.
Un nouveau lieu de rendez-vous des habitants
Il vient de fêter son premier anniversaire. Le café Re-naissance a ouvert en février 2022 à Sommecaise (Yonne), au cœur de la Puisaye. Jusqu'alors, ses 370 habitants devaient parcourir 8 kilomètres pour trouver le premier dépôt de pain à la Ferté-Loupière, et 12 km pour accéder aux autres services, à Charny-Orée-de-Puisaye ou Aillant-sur-Tholon.
Désormais, les habitants peuvent se rendre au café de Sommecaise, tenu par Karine Gaigée. Une gérante originaire de la région, qui propose une multitude de services : café, restauration, bar, épicerie, produits locaux, presse, timbres, retrait d'argent, tabac... "Et je vais bientôt avoir la Française des jeux", précise-t-elle.
Pour elle, un peu plus d'un an après l'ouverture, le bilan est positif. "Le café est rentable, j'atteins mes objectifs journaliers." Surtout, le café est devenu un point de rendez-vous, avec de nouveaux habitués.
"On a recrée du lien social et intergénérationnel : toutes les tranches d'âge se parlent. Les anciens, les ouvriers, les jeunes..."
Karine Gaigée
Seul point noir pour la gérante : "Je n'arrive pas à me développer davantage parce que je manque de main-d'œuvre." Elle ne dispose en effet que d'une serveuse pour l'accompagner. Pas de quoi, pour autant, décourager cette gérante qui se décrit comme "hyperactive" et qui a exercé "un peu tous les métiers du monde" avant d'arriver ici. Mais ce n'est pas le cas de tous les gérants de "1000 cafés".
"Je pars à contrecœur, mais je suis au bord du burn-out"
En effet, les journées à rallonge et le fait de travailler seul en ont poussé certains à jeter l'éponge. "J'arrête", nous confie la gérante d'un "1000 café" installé depuis quelques années en Bourgogne. Elle ne veut pas que l'on donne le nom de son établissement, "car la nouvelle n'a pas encore été officiellement passée aux habitants". Mais elle accepte de nous raconter les raisons de son abandon.
"Ça demande beaucoup trop d'implication pour une rémunération trop faible"
une gérante d'un des "1000 cafés"
"Le salaire, c'est un forfait. Je suis payée pareil que je fasse 35 heures ou 80." C'est en effet le mode de rémunération qui a été choisi par l'association SOS 1000 cafés, qui porte ce projet. Théoriquement, lorsque le café dégage des profits, ces bénéfices sont reversés sous forme de prime d'intéressement aux gérants. "Mais vu le contexte, avec le covid et la hausse des coûts, on ne peut pas être à l'équilibre", déplore la gérante démissionnaire.
Elle assure pourtant qu'elle ne part pas fâchée. "C'est un très beau projet, mais j'ai été victime de mon succès. Je pars à contrecœur, mais je suis au bord du burn-out et j'ai une famille." Le départ de la patronne ne scellera pas pour autant l'avenir du lieu : un couple s'est porté candidat et reprendra les rênes du café d'ici deux mois.
"Psychologiquement, ça fait un peu mal"
Parfois, l'histoire se termine moins bien. À Bassou, au nord d'Auxerre, le départ de la gérante du café "O délices de Bassou" a fait l'objet d'une querelle qui a même dépassé les frontières de ce village d'un peu plus de 800 habitants.
Mi-février, un message posté sur Facebook informait de la fermeture temporaire du café, le temps de trouver un ou des nouveaux gérants. Le CDD de la gérante actuelle, qui n'avait pas d'expérience dans le domaine de la gestion d'entreprise, est arrivé à son terme. Mais alors qu'il devait se terminer fin mars, des membres de SOS 1000 cafés sont venus, un mois et demi plus tôt, signifier à Karine Nemer que le café devrait fermer ses portes immédiatement. "Je trouve ça un peu brutal, psychologiquement, ça fait un peu mal", nous confie la désormais ex-gérante, qui reproche le "manque de tact" avec lequel elle s'est vu notifier la fin de son contrat.
Soutenue par une partie des habitants et par des sympathisants qui habitent en-dehors du village, Karine Nemer a reçue une vague de soutiens sur les réseaux sociaux... Et des messages de colère envers 1000 cafés et la mairie de Bassou. "Comment la municipalité peut-elle valider une telle décision ? Alors que Karine a donné son maximum et a su faire largement ses preuves. C’est absolument écœurant, et désolant", peut-on lire par exemple sur Facebook.
"Le risque était que le café ferme définitivement"
Pourtant, ce n'est pas la mairie de Bassou qui a la main sur ce dossier, mais bien le groupe SOS 1000 cafés. Laure Lézat, responsable du développement et de la communication des 1000 cafés, justifie le choix qui a été fait. "Karine avait des qualités humaines indéniables, mais des lacunes en gestion et en développement d'activité. Les chiffres n'étaient pas viables, nous n'avons pas voulu renouveler son CDD car le risque était que le café ferme définitivement."
Et de fait, "le café est en déficit", confirme la maire de Bassou, Dorothée Moreau. Qui rappelle aux mécontents que l'argent investi ne sort pas de nulle part : "ce sont des deniers publics".
"La commune paie l'électricité, fournit un logement sur place. Le loyer est de 100 euros par mois. Le groupe SOS 1000 cafés a apporté 45 000 euros pour ouvrir le café, a payé la Licence IV [qui permet de vendre de l'alcool, ndlr], les stocks, les transferts de Poste."
Dorothée Moreau
Si la maire de Bassou n'a pas eu son mot à dire sur le non-renouvellement du contrat de la gérante, elle ne désapprouve pas le choix de SOS 1000 cafés de fermer plutôt que de creuser le déficit. "Les anciens gérants nous avaient laissé 6000 euros de dettes", rappelle l'élue. Une ardoise non négligeable sur les 800 000 euros de budget annuel dont dispose la commune.
Le groupe SOS, une association privée à but non lucratif, explique de son côté qu'il fonctionne grâce au soutien financier du ministère de la cohésion des territoires, mais aussi avec de l'argent apporté par des partenaires privés ("des acteurs du développement territorial et du milieu du commerce et de la restauration", précise le groupe. Dans certains cas, la Région apporte aussi un financement.
Deux gérants au lieu d'un, "c'est plus facile à tenir sur la durée"
À Bassou, le processus de recrutement de nouveaux gérants a été lancé. Une vingtaine de candidatures sont à l'étude. "L'objectif est de rouvrir le café aux beaux jours", indique Laure Lézat, de SOS 1000 cafés. D'ici là, le service de la Poste rouvrira lundi 13 mars et un dépôt de pain devrait être réinstallé prochainement. Entre temps, une réunion publique a été organisée le 1er mars pour apaiser les esprits.
Mais entre Bassou, et les autres cafés dont les gérants partent volontairement ou non, faut-il s'inquiéter de ces nombreux changements de personnel ? "C'est sûr que c'est un métier difficile, mais le "turnover" est valable dans tout le secteur de l'hôtellerie-restauration", nuance Laure Lézat. C'est toute la difficulté de la tâche : les gérants doivent être des couteaux suisses.
"Il faut être derrière le comptoir, accueillir les clients, négocier des tarifs, assumer des horaires assez longs à la fois en semaine et le week-end."
Laure Lézat
Si bien que certains gérants, malgré toute leur envie et leur bonne volonté, se heurtent parfois à une réalité plus difficile qu'elle ne leur semblait au premier abord. Travailler seul peut devenir intenable. D'ailleurs, "on voit que lorsque ce sont des couples qui prennent la gérance, c'est quand même plus facile de tenir dans la durée", indique Laure Lézat.
Combien de cafés ouverts en Bourgogne ?
Dans la région, l'association SOS 1000 cafés indique qu'il y a actuellement 13 cafés ouverts ou en cours d'ouverture : deux en Côte-d'Or, cinq dans la Nièvre, trois en Saône-et-Loire et trois dans l'Yonne. En Franche-Comté, il n'y en a qu'un seul, à Froideconche en Haute-Saône.
Dans la région, le premier café a ouvert en juillet 2020 à Saint-Emiland (Saône-et-Loire). "Malgré la pandémie", explique l'association SOS 1000 cafés, "la gérante a bénéficié d'une forte mobilisation des habitants de la commune" et a réussi à surmonter les confinements. Le café centralise aujourd'hui de la restauration, des animations, le dépôt de pain, une épicerie, la presse, la Française des jeux et le gaz.
Dans la Nièvre, trois cafés sont en cours d'ouverture : à la Chapelle-Saint-André, à Guillon-Terre-Plaine et Saint-Andelin. Celui de Guillon-Terre-Plaine vient d'être sélectionné, pour une ouverture en 2024. Celui de la Chapelle-Saint-André "consolide actuellement les modalités immobilières" avec des travaux à réaliser avant le recrutement du ou des gérants.
À Saint-Andelin, c'est le projet le plus avancé : deux commerçants sont déjà désignés pour ouvrir un café multiservices (épicerie, presse, jeux, bar-restauration). Mais "la gestion du projet et la hausse des coûts suscitent des difficultés qui font l'objet d'un accompagnement", précise SOS 1000 cafés, qui est en ce moment à la recherche de financements.