C’est lorsqu’il était rennais qu’il fut couronné par le Goncourt en 2017. Eric Vuillard fidèle aux sujets historiques qu’il aime publie « Une sortie honorable » (Actes Sud), l’occasion de redécouvrir, sous un angle sans concessions, les dernières années du conflit en Indochine. Rencontre au Musée des Beaux Arts de Rennes.
Pourquoi la Guerre d’Indochine vous a-t-elle inspirée ?
Je ne décrète jamais que tel ou tel sujet m’intéresse a priori. Comme tout le monde, je lis un peu tous azimuts, toute sorte de choses et un beau jour, soit à travers la lecture, soit à travers des images, un film, quelque chose vient troubler l’idée que je me faisais, que j’avais d’un événement . Là, c’est un petit guide de voyage au Tonkin de 1923 qu’on m’a offert et en feuilletant ce petit guide, je suis tombé sur un lexique qui permet de connaître quelques mots de vietnamien. On s’adressait à un pousse-pousse pour lui dire « relève ta capote, baisse ta capote, à la plantation, au commissariat, à la banque".
On avait donc d’abord toute une géographie du pouvoir et puis on avait un ton, c’est comme s’il y avait un point d’exclamation après chacun des mots. Il s’y déployait en somme une grammaire de la servitude. C’est à partir de ce petit guide que j’ai eu le sentiment qu’il était possible de relire, de revoir la colonisation à nouveaux frais, en l’occurrence celle du Vietnam.
Ce récit est construit à partir de différents épisodes mais également de nombreux portraits… Des hommes politiques, de généraux, de banquiers… avec à chaque fois, une plume acide, il y a chez vous à la fois du Daumier, pour le côté caricatural mais aussi du Balzac de la Comédie Humaine.
Ce que fait la littérature depuis deux siècles, depuis l’épanouissement qu’elle a connu après la Révolution française, c’est en partie d’essayer de nous dessiller, de lever le rideau sur les tabous de la vie sociale.
Lorsque je parle du Général Navarre, lorsque j’évoque les militaires pendant la guerre d’Indochine, d’une certaine façon en dépit de l’acidité de mes traits, je dois être en de ça de la réalité. Je pense être modéré en fin de compte. Il faudrait se tenir dans l‘ombre du Général Navarre lui-même pour pouvoir le refléter d’une façon qui soit et qui serait peut-être insoutenable.
Ce terme de « sortie honorable » est le reflet de l’hypocrisie de ces acteurs dont les rôles sont bien réglés ?
C’est une expression que j’ai tiré hors de l’eau, en quelque sorte qui est ce qu’on appellerait aujourd’hui un élément de langage. Ce sont des expressions qui visent à dissimuler des contradictions irréductibles et la contradiction c’est que, au fond, les hommes politiques souhaiteraient s’en aller d’Indochine mais s’en aller sans en donner l’impression. Vouloir reconquérir le Vietnam avant de le quitter, vouloir continuer la guerre pour le rendre indépendant. On voit que tout ça est antinomique et donc impossible. Je crois que d’une certaine façon la colonisation nous condamne systématiquement à la recherche vaine d’une sortie honorable.
Est-ce que les scènes que vous décrivez pourraient être les mêmes aujourd’hui ?
Quand j’ai terminé le livre au même moment, c’était la chute de Kaboul et don je me souviens que tous les médias au fond ont parlé de la chute de Saïgon, ça a eut un écho immédiat. Ce passé nous est revenu puisque des scènes rappelaient tout à fait ça. Les scènes où on voyait les gens s’accrocher aux ailes d’un avion, c’est exactement les mêmes scènes. Dans la mesure où l’extension de notre puissance dans le monde fait qu’à un moment ou à un autre, les peuples ne s’accoutument jamais d’être assujettis. Il y a un moment où le regroupement de leurs forces sous des formes plus ou moins aimables met dehors les puissances occidentales et dans ce cas la sortie ne peut pas être honorable.
Livre fétiche
Eric Vuillard a choisi le livre « Femmes anglaises » d’Edith Sitwell (Les Promeneurs).
4ème de couverture
Vincent Canchon, finistérien de cœur, propose son premier roman « Ce qu’a tu le vent d’ouest » publié chez Gallimard dans la collection L’arpenteur.
Tiroir du libraire
C’est Mélanie Chesnais de la Droguerie de Marine, librairie indépendante du quartier St Servan à Saint-Malo qui partage un de ses coups de cœurs : Les strates de Pénélope Bagieu (Gallimard)
« Pénélope Bagieu est connue pour sa série "Les Culottées" qui rend hommage aux grandes femmes célèbres qu’elle admire. Cette fois, c’est à sa propre enfance et jeunesse qu’elle s’attaque puisque c’est une bande dessinée autobiographique dans laquelle elle va raconter de façon non chronologique des moments qui ont marqué sa vie de jeune femme. C’est très drôle et en même temps, on est très ému. Il y a des tons très différents, c’est très sensible, très pudique. Et la forme est très belle également, avec un trait noir et blanc, très classe, très vivant. L’objet lui-même, comme un petit carnet de moleskine avec un petit élastique autour, nous renvoie aux journaux intimes qu’on avait quand on était adolescents. »
Tiroir des jeunes lecteurs
A l’occasion de la parution du dernier rapport du GIEC, voici une sélection spéciale « environnement ».
- 10 idées reçues sur le climat, Myriam Dahman, Charlotte Fleur Cristofari, Maureen Poignonnec, Glénat Jeunesse
La bretonne Maureen Poignonec a fait sur les illustrations de ce livre un travail exceptionnel de pédagogie. C’est plein d’humour et d’impertinence, très documenté. Bref c’est à mettre entre toutes les mains !
- Un pays grand comme le monde, François Morel, Ronan Badel, Actes Sud Junior
Voilà un petit album illustré par le breton Ronan Badel avec les textes de François Morel. Beaucoup d’ironie et d’humour dans cette histoire. Constatant que le climat se détraque, les enfants ont décident de reprendre les choses en main alors que leurs aînés n’ont rien fait… Et ça décoiffe !
- Polar Vert, Thierry Colombié, Editions Milan
Voilà l’écologie proposée en version polar pour les ados. Polar Vert se déroule en Bretagne. Le premier tome mettait en scène le scandale écologique des algues vertes, le second qui vient juste de sortir « Anguilles sous roches » s’intéresse au trafic de civelles. Une série littéraire pour sensibiliser à la préservation de la biodiversité. C’est à lire à partir de 14 ans.
Tiroirs des rendez-vous avec Livre et lecture en Bretagne
- Festival du livre de Bécherel (35) du 16 au 18 avril
Commençons par le plus ancien, avec la fête du livre de Bécherel en Ille et Vilaine. 33ème édition à vivre en famille dans le parc, les places, les jardins, les ruelles et les librairies du village. Avec de nombreuses rencontres d’auteurs, d’artistes sur le thème « l’écrire et le dire ». Et c’est gratuit.
- Festival de BD de Perros-Guirec (22) les 16 et 17 avril.
Les amateurs de BD pourront se retrouver aussi à Perros-Guirec dans les Côtes d’Armor. Les invités d’honneur de cette 28ème édition sont Jean Solé, figure de Fluide glacial et son fils Julien. Vous retrouverez aussi notamment Pascal Jousselin, Sylvain Vallée, Jean-Claude Fournier ou Pascal Bresson.