Et si on parlait de « confimunauté » pour une bande de dix jeunes Bretons confinés dans une maison en Ille-et-vilaine depuis le 17 mars ? Presque deux mois ensemble à créer un lieu de tous les possibles. Témoignage de Bertrand James, musicien en pleine expérience communautaire.
"Confimunauté", un nouveau mot qui n’est pas encore dans le dictionnaire mais qui pourrait rentrer dans les mots croisés d’Arthur, l’un des co-locataires qui voue, depuis le début du confinement, une passion pour la création de grilles.
" Vraiment balaise ! " nous confie Bertrand James, porte-parole de cette communauté improvisée.
Allez hop tout le monde à la campagne !
En co-location depuis un an avec quatre amis dans une maison à la campagne, cet ancien batteur de session du Groupe Totorro, se retrouve en communauté le premier jour du confinement, avec "l’arrivée en panique de cinq autres personnes."
Avant l’annonce présidentielle du 16 mars, nous n’avions pas pris la pleine mesure de la situation. Et puis sachant que nous allions être bloqués pas mal de temps dans cette grande maison, on s’est dit autant faire colonie de vacances ! ".
"Il fallait agir vite et chercher d’ici mardi midi" Flora à Nantes, affolée au téléphone à l’idée de rester coincée dans son petit studio.
"C’est surréaliste et assez intéressant comme période ! Ayant un penchant collapsologue, j’ai l’impression de voir un petit preview, une petite bande annonce de ce qui pourrait se passer assez rapidement."
Les voici réunis, ces dix jeunes gens entre 25 et 30 ans, couples et amis pour un temps alors indéfini.
Dans la famille improvisée confinée : Johann et Clément constructeurs de décors évènementiels, Cannelle régisseuse de cinéma, ainsi que Louise en reconversion dans la décoration de plateau, Valentin, graphiste indépendant, Arthur cuisinier, Flora en télétravail dans une start-up de communication, Antoine, musicien professionnel, sans oublier Eléonore qui a fondé avec son frère Bertrand et Yuri Hu le Trio pop rennais La Battue.
La vie s’est bien organisée, elle s’est même réinventée ! Bertrand James
La vie quotidienne s’organise dans cette maison des années 70 de 250 mètres carré, ses six chambres, un jardin de 5 000 mètres carré.
Le tout pour un loyer de 400 euros pour chacun des cinq locataires y habitant à l'année. Silence bienvenu autour de la maison proche de la quatre voies, le monde qui tourne avec ses poids lourds s’est tu.
Quand je pense que j'allais jouer aux Vieilles Charrues le jour de mes trente ans ! Bertrand James
A l’exception de Flora en télétravail et la seule à donner des repères temporels : " Cool, c’est vendredi ! ", les autres amis confinés ont dû suspendre la plupart de leurs activités.
Restaurant fermé pour Arthur, évènements culturels annulés pour les autres. Grande déception pour Bertrand et Eléonore qui étaient sélectionnés aux Inouïs du Printemps de Bourges, et programmés aux Vieilles Charrues.
"On était sur une bonne dynamique, tout est ajourné, tout est à recommencer !" .
Dans l’incertitude du lendemain, Bertrand, intermittent du spectacle décide avec philosophie de vivre pleinement ce temps en suspens.
"Au début, je me reprochais de ne pas utiliser ce temps-là pour faire de la musique, avancer dans mon métier mais, en fait, je voulais profiter de cette expérience, participer à des projets communs dans la maison ".
J’ai l’impression que c’est une occasion unique pour se poser dans le présent aujourd’hui et qu’il faut en profiter ! Bertrand James
Toute l’équipe avec lui s’engage alors dans plusieurs chantiers. "On a fait une énorme liste de choses à faire dans la maison et on s’y est attelé en réglant tôt notre réveil le matin ".
Premier grand chantier, le potager en permaculture. Johann, ancien ingénieur en pompes à chaleur, passionné par ce modèle agricole biologique "potasse beaucoup de bouquins et guide le chantier ".
Ces jardiniers en herbe ou confirmés n’hésitent pas à faire des semis sous serre : pommes de terre, pois gourmands, salades, fêves, tomates.
"Ça déborde, on a peut-être eu la folie des grandeurs, erreurs de débutants !" souligne Bertrand.
Pendant trois semaines, l’équipe passe sa journée dehors sous le soleil.
Et comme à dix, on prévoit grand, ils se lancent aussi dans de multiples constructions, comme la fabrication d’une table en bois géante de 3m50, d’une cabane à insectes, d’une pergola et même d’un parcours accrobranche !
Du haut de leur perchoir, Bertrand et ses compagnons aiment contempler le ciel azur sans une trace d’avion.
Faire des activités aussi un peu perchées, la joyeuse équipe ne s’en prive pas, et de l’imagination, elle n’en manque pas.
Le quotidien ensemble se réinvente : chasse aux trésors, parodie de l’émission téléréalité d’"un dîner presque parfait" . "On a tous fait des repas à thème et une déco en fonction, comme Eléonore et Louise qui ont choisi le thème de l’espace. La salle à manger était recouverte de papier aluminium, on embarquait dans un vaisseau sur fond de jingle d’une compagnie aérospatiale imaginaire composée par ma sœur ".
Le fait d’être confinés nous donne paradoxalement beaucoup de liberté. Bertrand James
"On ne s'est jamais vraiment bridé mais là on nous donne l’occasion d’être tous ensemble pendant deux mois, comme si on était en résidence d’artiste !"
Tout est fait maison !
Eléonore a embarqué sa machine à coudre et habille la troupe.
Meubles, étagères, chacun partage son savoir-faire. "Plus jamais je n’achèterai de meubles, c'est vraiment le plaisir de concevoir et de faire, même si je ne suis pas encore complètement aguerri en matière de bricolage !"
Bertrand compose aussi en secret des petits jingles dans une pièce transformée en studio d'enregistrement, Louise raconte l'histoire de dix habitants confinés...
"Nous fabriquons plein de petites formes artistiques sans but, juste pour le plaisir, nous ne sommes pas dans les impératifs de la production !"
"Faire les courses pour dix jeunes trentenaires, ce n‘est pas rien ! ".
Une fois par semaine, une personne fait le plein de courses avec la cagnotte commune.
Quatre personnes étant végétariennes dans la maison, la règle consiste à ne pas acheter de viande avec l’argent commun. "C'est vrai que l’on peut se sentir jugé quand on achète une côte de boeuf !" souligne Bertrand.
Les précautions sanitaires s'imposent au retour du supermarché, lavage des mains et changement de vêtements. Impossible sinon pour le groupe confiné de suivre les gestes barrières.
" C’est comme une famille confinée avec des enfants, on ne va pas changer de couteau à beurre à chaque fois que l'on se sert à table ! "
"On s'est tous bien branché cuisine !". Bertrand James
Au départ Arthur, cuisinier de profession, mitonnait pour tous de bons petits plats dignes de son restaurant, mais il s’en est lassé à un moment donné !
"Alors on tourne naturellement vers 19h, la distribution des tâches roule plutôt bien."
L’autre contrainte, c’est le ménage, les niveaux d’exigence diffèrent. "Il y a des jours où la baraque est dégueu, alors on s’y met tous à dix et en une heure, c’est bouclé !"
Souvent dans les groupes, certains ont parfois l’impression d’en faire davantage, des mises au clair sont alors nécessaires.
D'où l' importance de prendre le temps de se parler, "ça se résout toujours dans la bienséance et dans la bienveillance. Quand des gens ont des trucs sur le cœur, il faut que ça sorte !".
Bertrand parle d’expérimentation sociale, pas toujours facile d’accorder les envies de tout le monde. Même si chacun a un espace privé, il faut exister dans un milieu partagé. "C’est une situation inédite de se retrouver à dix personnes dans un espace clos avec interdiction de sortir, si ce n’est une heure par jour avec une autorisation ! Là on creuse vraiment sa relation à l’autre !"
Ce jeune confiné en communauté s’interroge sur son rapport à l’autre, s’il n’est pas parfois trop virulent, s’il est suffisamment à l’écoute.
Au reproche, Bertrand préfère prendre du recul, tenter de comprendre l’autre : "Moi, j’ai ressenti ça, qu’en dis tu ?". Il se réfère aux principes de la communication non violente si chers aux communautés hippies des années 70 et prônés dans les Accords toltèques.
Les semaines s’écoulant, l’euphorie de la vie en collectivité s’estompe
Chacun a besoin de retrouver des moments de solitude. Les chantiers diminuent mais l’ambiance reste bonne. " Chacun est libre, des fois on bosse tous ensemble, d'autres on ne voit pas certaines personnes de la journée, mais on se donne régulièrement rendez-vous pour des activités communes. ».
Cette période inédite laissera une marque sur moi, c’est l’une des plus belles périodes de ma vie en fait ! Bertrand James
Pour Bertrand, ce confinement est propice à la réflexion " Ça fait 20 ans que je fais de la musique, mais depuis le confinement, je ne suis plus satisfait de ce que j’écris. Je me pose des questions sur le fait de continuer à être musicien".
"Ce n'est pas la précarité de mon statut d’intermittent qui me pose question, mais plutôt la futilité de cette industrie, cette espèce d’entre–soi. J’ai l’impression d’être déconnecté de la vie réelle de la plupart des gens."
Intermittent du spectacle depuis sept ans, Bertrand originaire des Côtes-d'Armor profite rarement de ces moments libres entre deux contrats en tant que musicien ou constructeur de décors évènementiels aux Vieilles Charrues.
"Quand je termine ces contrats, souvent de 14 heures par jour pendant trois semaines, je me mets toujours la pression, je suis toujours en train de me dire qu’il faut que je bosse ! "
"Au contraire, cet arrêt imposé par le confinement m’autorise à lâcher prise. Je me dis que je n’ai pas le choix, qu’il vaut mieux vivre cette situation imposée de façon positive, qu’il n’y pas de logique productiviste dans ce temps confiné !"
"Notre vie peut paraître facile. En même temps, c’est dur d’arriver à la place où l'on est !". Le régime d'intermittent peut s'arrêter du jour au lendemain, il ne faut pas avoir peur de la précarité.
Soulagé par l'annonce gouvernementale concernant le rallongement des droits, "un geste fort !'', Bertrand envisage avec moins de stress les mois à venir, et reprend goût à recomposer. "Je retrouve de l'inspiration ! " Mais l'année ne s'annonce pas toute blanche. Bertrand vient d'apprendre le report de leur prochain concert prévu en octobre à Dijon en mai 2021. "Le déconfinement culturel me semble encore très loin" .
Son souhait ? Poursuivre sa vie en communauté
"Nous sommes sans doute la première génération à s’imaginer encore en coloc à quarante piges".
Pour Bertrand, l'alternative économique, c’est l’habitat partagé. De plus en plus de personnes achètent de grandes maisons en commun ou plusieurs habitations mitoyennes. Son rêve ? Acheter un hameau, le retaper et vivre à plusieurs . "J’ai envie de cette vie communautaire, plus que que jamais depuis cette expérience."
Arthur pourra rajouter le mot DÉCONFINEMENT à ses grilles de mots croisés
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