Ce jeudi 24 septembre, se tiendront, en ligne, les secondes rencontres sur la santé au travail en Bretagne. Une occasion de revenir sur l’expérience de télétravail traversée cette année. Quel bilan en tirer et comment aborder l’avenir du télétravail ?
Covid oblige, nous sommes nombreux à avoir dû quitter nos entreprises et à nous être retrouvés à la maison avec ordinateur, clavier, écran et souris du jour au lendemain. Installés où c’était possible, avec ou sans enfants à surveiller, les ressentis ont été divers et variés. Une chose est sûre, il y aura un avant et un après Covid dans le monde du travail.
Chefs d’entreprises, managers, syndicats et professionnels de la santé au travail vont devoir en tirer un bilan et l’intégrer dans le fonctionnement futur de leur structure. Deux professionnelles de la santé au travail ont répondu à nos questions : Hélène Gouesnard, psychologue à la CARSAT (Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail) et Emmanuelle Cadic-Gautier, médecin du travail à l’AST35.
Toutes deux le soulignent : ce n’est pas du télétravail que nous avons connu mais du travail à domicile. La différence est grande. Autant le télétravail est organisé, autant l’expérience que nous avons connue a été une réponse précipitée à la crise sanitaire. Installés à la va-vite, avec des enfants à gérer pour certains et une organisation du travail inadaptée.
Certains salariés ont beaucoup aimé télétravailler, pourquoi ?
Dr Emmanuelle Cadic-Gautier : Certains salariés ont beaucoup aimé l’autonomie apportée par le télétravail. Et puis, il n’y avait plus les problèmes de trajet, ils pouvaient aller chercher les enfants à l’école... Les salariés se sont rendus compte qu’ils étaient plus productifs en télétravail. Mais de toute manière, toutes les études montrent qu‘un salarié est plus productif en télétravail, et ça même avant le confinement.
Hélène Gouesnard : On est moins interrompu quand on est seul chez soi. Or, on sait que pour un travail qui demande de la concentration, le fait d’être interrompu double le temps nécessaire pour accomplir la tâche. En quelque sorte, le fait d’être dérangé augmente votre charge de travail.
Selon une étude de l’ARACT Bretagne (Action Régionale pour l'Amélioration des Conditions de Travail) : Les salariés pratiquant le télétravail avant le confinement sont 98% à souhaiter le continuer. Pour ceux qui l’ont découvert durant le confinement, ils sont 79% à vouloir proroger l’expérience.
Côté efficacité : 31% des salariés estiment avoir été plus efficaces en télétravail, 47% estiment avoir été moins efficaces et 21% n’ont pas observé de changement.
A contrario, d’autres n’ont pas bien vécu ce télétravail forcé, pour quelles raisons ?
Dr Emmanuelle Cadic-Gautier : Le lien social avec les collègues a été rompu. Pour les personnes vivant seules, c’est le seul lien. La solitude a été lourde. D’autres ne savent pas se gérer, ils ont trop travaillé et n’arrivaient plus à séparer la vie privée et la vie professionnelle.
Hélène Gouesnard : Il faut former les gens pour apprendre à cloisonner vie privée/vie professionnelle. Mais tout ça ne peut être basé que sur la confiance du responsable en ses salariés.
A quelles difficultés ont été confrontés les responsables d’équipes, les chefs d’entreprise durant cette période de confinement ?
Dr Emmanuelle Cadic-Gautier : C’est une période économique difficile, donc déjà c’est une préoccupation importante pour eux. L’avenir de l’entreprise est en jeu parfois. En plus ils ont eu l’aspect sanitaire à gérer. Par exemple, qu’est-ce que je fais si un de mes salariés est contact d’un contact. Le ministère de la santé est clair pour les cas contacts directs mais pas pour les contacts de contacts. Il y a aussi les salariés à risque… Et puis le management au quotidien à distance. Ils n’ont pas été formés pour cela. Les encadrants de proximité se sont retrouvés entre le marteau et l’enclume. Ils ont connu un stress aigu.
Hélène Gouesnard : Le télétravail va mettre en difficulté les managers de proximité. Il faut une écoute plus individuelle. Le rôle du manager par rapport au salarié est à redéfinir. Il ne faut pas que ça devienne du flicage, la confiance est la base. Mais ça s’apprend, il faut débattre du travail réalisé, du contenu même du travail.
Selon l’ARACT Bretagne (Action Régionale pour l'Amélioration des Conditions de Travail), 56% des managers déclarent avoir eu plus de travail que d’habitude et 53% se disent plus fatigués que d’habitude.
Dans quel état sont sortis les salariés de cette expérience de travail à domicile ?
Dr Emmanuelle Cadic-Gautier : Fatigués. Certaines femmes sont devenues femme de ménages, mère de famille, professeur des écoles en plus de leur travail. Ce côté multitâche reposait plus sur les femmes que sur les hommes.
Selon l’ARACT Bretagne : 50% des femmes et 40% des hommes se déclaraient plus fatigués qu’habituellement après le travail à domicile durant le confinement.
Certains étaient-ils réticents à retourner sur site ?
Hélène Gouesnard : Généralement, les salariés qui ne voulaient pas retourner sur site étaient réticents pour des questions de conflits ou de mauvaise ambiance antérieurs au Covid.
Que préconisez-vous pour le télétravail à l’avenir ?
Dr Emmanuelle Cadic-Gautier : Les temps de rencontre dans l’équipe pour des échanges sont importants. Donc pas de télétravail à 100%, il faut un mélange sur site et à domicile. En télétravail, les salariés ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que sur site : le travail doit être fait, mais le salarié a le droit à la déconnexion, il doit avoir le même temps de travail. Le télétravail ne doit pas être imposé, ça doit s’installer sur la base du volontariat. Tous les acteurs doivent se mettre autour d’une table et discuter d’une bonne organisation.
Hélène Gouesnard : Il faut faire des retours sur expérience, analyser ce qui s’est bien passé et ce qui n’a pas fonctionné. Les responsables doivent connaître les horaires de leurs équipes. J’ai peur qu’on revienne en arrière en matière de prévention sur la santé au travail.
Pour plus d'informations, le rapport de l'ARACT Bretagne :
Rapport de l'ARACT sur le télétravail pendant le confinement