Coronavirus : les médecins libéraux tirent la sonnette d'alarme

La restriction des déplacements pour raisons médicales a fait fuir beaucoup de patients des cabinets médicaux, par peur de l'amende ou de la contamination. Pour les médecins libéraux, cette décision pourrait avoir de graves conséquences. Ils demandent continuité des soins et protections.


"Les patients ont la trouille de venir !" Le docteur Ivane Audo, médecin généraliste à Lanester (56) ne décolère pas. Dès le lendemain de l'intervention télévisée d'Édouard Philippe qui a annoncé lundi soir, le durcissement des conditions de confinement, "tous les patients qui sont passés au cabinet, avaient peur de se faire choper par la patrouille, parce qu'ils n'avaient pas leur dérogation !"

Le Premier Ministre a en effet décidé que les sorties pour raisons médicales seront désormais réservées aux urgences et aux convocations formulées par un personnel soignant. Résultat : les cabinets en ville se vident. "Les gens ont peur de se prendre une amende, mais aussi peur de déranger, certains préfèrent ne pas se faire soigner... Or il y a danger !" alerte la généraliste.

 

Bombe à retardement


Car s'il est beaucoup question de Covid-19 en ce moment, la vie continue malgré tout, notamment pour les personnes dont la santé est à surveiller. "Nous sommes organisés pour une prise en charge des patients, rassure le docteur Ivane Audo. Nous faisons en sorte dans nos cabinets que les patients ne se croisent pas, on nettoie très souvent, et on peut faire des télé-consultations. Vous pouvez venir si vous avez une pathologie qui ne peut pas attendre !"

En se focalisant sur l'épidémie de coronavirus, le gouvernement a selon beaucoup de professionnels de santé "mal communiqué". "C'est une très bonne chose de confiner les Français, mais il existe d'autres pathologies qui sont à suivre, explique le docteur Nikan Mohhtadi, le président de l’URPS Médecins Libéraux de Bretagne.
 

Selon l'Union régionale des professionnels de santé et médecins libéraux de la région Bretagne, qui représentent près de 5.500 médecins libéraux bretons, généralistes comme spécialistes, le décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 risque en effet d'engendrer de nombreuses complications dans quelques mois :

 On va se retrouver avec un deuxième choc, une sorte d'effet boomerang. Une deuxième crise sanitaire pour tous ces patients qui ne souffriront pas du Covid, mais de pathologies plus classiques qui seront devenues pour le coup aiguës, parce qu'on ne les a pas pris en charge.


"Si on ne s'occupe que des Covid, si on vide nos cabinets libéraux, je peux vous assurer qu'il va y avoir une perte de chances [ndlr : de guérison] dans quelques mois pour la population en générale", complète Nicole Cochelin, dermatologue à Montfort-sur-Meu.

Si les pédiatres arrêtent le calendrier de vaccination, vous aurez des épidémies au mois d'août ! Si on arrête de dépister tous les glaucomes pendant trois quatre mois, on va avoir une perte de chances  pour la vue de nos concitoyens... Il est hors de question que la médecine privée ne prenne plus en charge la population qui n'est pas Covid ; c'est dangereux pour tout le monde !


Les soixante élus de l'URPS médecins libéraux de Bretagne ont donc décidé de communiquer : "Les cabinets médicaux restent ouverts ou joignables, pour assurer la continuité des soins et le suivi des patients dont les soins ne peuvent pas être reportés." 

"Nous sommes là ! On sait faire !"


Alors que les hôpitaux sont en ce moment très sollicités, les médecins libéraux lancent un cri du coeur : "Nous sommes là !" Les effectifs qui travaillent en libéral ont été désignés dans le cadre de la phase 3 de l'épidémie comme étant en première ligne, mais ils sont pour l'instant en Bretagne, relativement peu sollicités : "On a demandé aux libéraux de vider leurs lits dans les cliniques, ce qu'ils ont fait. Nous sommes prêts, il y a des lits de réanimation disponibles dans les cliniques... Mais on a ce sentiment que la médecine ne peut être confiée qu'aux hôpitaux..." regrette Nicole Cochelin, élue de l'URPS médecins libéraux de Bretagne.

"À un moment, les hôpitaux ne pourront pas tout gérer ! poursuit Ivane Audo. Des centres dédiés aux malades présentant des symptômes de coronavirus commencent pour cela à se multiplier, dans tous les départements, comme à la Brest Arena, Combourg, ou encore dans le complexe sportif Marville de Saint-Malo.

Préfecture, ARS, CPAM, médecins libéraux... Tous les acteurs régionaux travaillent ensemble pour que l'accueil et la prise en charge des patients se fassent dans de bonnes conditions, mais les matériaux de protection manquent encore.

"Le problème c'est que l'ouverture de ces centres est conditionnée à la fourniture de matériel de protection : masques, lunettes, charlottes, sur-blouse, pyjama de bloc, gel hydroalcoolique, sur-chaussures... liste Ivane Audo. Autant de choses dont nous manquons cruellement !"


 
"Donnez-nous de quoi nous protéger !"


Depuis quelques semaines déjà, le monde libéral active ses réseaux pour se procurer des protections. Pharmaciens, entreprises pharmaceutiques,..."C'est le système D, ce n'est pas sérieux ! On monte au front, mais nous ne sommes pas épaulés" confie, fatigué, un médecin de ville. "Le problème, c'est que pour l'instant, tout est bloqué à la douane et réquisitionné par l'État" complète Ivane Audo.

"Aujourd'hui, on donne la priorité aux hospitaliers, ce qui est légitime car ils sont en contact avec des patients relativement lourds, précise le docteur Nikan Mohtadi. Mais pour les libéraux, la prise en charge est pour le moins "épique" regrette le Quimpérois.

"Le manque de matériel de protection, nous pose problème. On sait que ce coronavirus est très contagieux, on nous dit "faites attention", et en même temps, on ne peut pas rester à rien faire : nous sommes en plein paradoxe ! déplore le président régional de l'URPS MLB. On veut y aller, on veut faire notre boulot, mais donnez-nous de quoi nous protéger !"

Dans son dernier communiqué, l'URPS Médecins Libéraux de Bretagne finit en menaçant : "L’épidémie n’est pas encore à son pic chez nous en Bretagne. Mais dans les prochains jours, si tous les soignants n’ont pas les protections nécessaires à ce type de prise en charge, nous les engageons, et en informons l’Etat, à se mettre en retrait et à renvoyer les patients vers les hôpitaux, au risque d’une saturation."  Une menace à contre-cœur, dans l'espoir d'être enfin entendus.

 
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