Vaches avec des infections à répétition, veaux mal formés, porcelets stressés : un rapport remis au ministre de l'Agriculture constate des perturbations inexpliquées sur les animaux. Les éleveurs concernés espèrent que cette énième étude fera enfin bouger les choses.
Depuis tout petit, Stéphane Le Béchec rêvait d’être agriculteur. Il a acheté sa ferme en 2015 et s’est installé le 1er janvier 2016. Le 2 janvier, le vétérinaire était déjà là. Le 3, sa première vache mourait. En huit ans, il en a perdu 280. La dernière a succombé juste avant Noël 2023.
"Les vaches étaient comme ankylosées"
"Ce rapport met en évidence le fait que Stéphane Le Béchec n’est pas complètement fou," dit-il, entre rires et larmes.
De ses prairies, on aperçoit antennes relais et lignes électriques. "Ici, se souvient-il, les vaches ne se couchaient jamais. Elles étaient comme ankylosées, paralysées. Ici, on ne voyait jamais un oiseau, jamais un insecte."
"On a tout de suite vu que ça n’allait pas, on ne comprenait pas. Pourquoi les vaches ne reconnaissent pas leurs veaux ? Pourquoi les veaux ne trouvent pas les mamelles de leurs mères ?"
Petit à petit, les animaux dépérissaient, faisaient des hémorragies, des AVC, des crises cardiaques. Dans sa ferme, les poules ne donnaient pas d’œufs…
Des perturbations "inexpliquées"
L’ancien éleveur a lu avec attention le rapport établi par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). "Des perturbations dans certains élevages situés à proximité d’équipements de production et de transport électriques sont signalées depuis les années 1990 par les éleveurs, notent ses deux auteurs, sans que, parfois, aucune solution n’ait été trouvée pour y remédier. Avec le développement des communications téléphoniques, de tels signalements concernent aussi désormais les antennes relais."
Les experts relèvent que "70% des 100.000 km de lignes à haute tension (à plus de 63.000 volts) exploitées passent en milieu rural" et qu’en 2022, la France comptait 9.500 éoliennes et des centaines d’antennes relais. Des chiffres qui ne vont faire que croître, précise l’étude.
Les vaches 5 à 10 fois plus sensibles que les hommes
"Or, souligne le rapport, les seuils de perception des courants électriques des animaux sont très différents d’une espèce à l’autre. Celui des bovins est jusqu’à 10.000 fois moindre que celui des volailles et 5 à 10 fois plus faible que celui de l’être humain."
Les auteurs listent une série de comportements anormaux des animaux : évitement de certains endroits, agitation, peur, problèmes de reproduction, problèmes sanitaires, mortalité…
Des animaux en souffrance
Les ennuis de Patrick Cailleau, éleveur à Plémy dans les Côtes-d’Armor, ont commencé en 2007. La production de lait de ses vaches a commencé à baisser de manière inquiétante et leur santé se dégradait. Elles faisaient des mammites (des infections de la mamelle) à répétition. Une année, 17 de ses vaches ont péri.
Il a fait venir des tas d’experts sur sa ferme, des experts en alimentation, en eau… Et puis un jour, un géobiologue a remarqué quelque chose de bizarre. Sous une éolienne installée à proximité, passe une veine d’eau qui poursuit sa course sous la stabulation.
"Quand on a des bêtes malades, quand on perd des vaches, on pense à tout, mais pas à l’électricité, se désole-t-il. Et pourtant, les animaux dorment sur le sol, même s’il y a de la paille, si le sol est plein d’électricité, et bien, ils ne vont pas bien !"
Le rapport du CGAAER cite une étude de Rézoolution, société de conseils en élevage porcin de Noyal-Pontivy qui a montré que "l’exposition à des courants parasites de moins de 0,5 volt peut modifier le comportement des porcelets." Les porcelets soumis à des courants électriques étaient moins détendus, plus stressés et plus agressifs.
Des éleveurs qui n'ont que leurs yeux pour pleurer
"C’est un rapport de plus qui conforte les autres rapports, s’agace un instant Stéphane Le Béchec. Des rapports, il y en a déjà eu 7 ou 8. Celui-là fait le point sur les recherches, mais il n’y a toujours pas de prise en charge pour les agriculteurs qui ont tout perdu ! Beaucoup d’éleveurs, qui étaient concernés par ces problèmes, n’ont aujourd’hui plus d’animaux et n’ont que leurs yeux pour pleurer."
Le rapport s’étonne d'ailleurs qu’il soit "demandé aux éleveurs de démontrer scientifiquement l’origine des perturbations que leurs animaux subissent alors qu’ils n’en ont pas forcément les moyens, y compris financiers, d’autant que la science elle-même s’interroge toujours."
L’agriculteur confirme : "c’est à nous de fournir des preuves que nous sommes impactés, mais moi, je suis éleveur, pas électricien. L’électricité, les ondes, les courants, c’est pas mon domaine."
Une prise de conscience ?
Stéphane Le Béchec espère que cette nouvelle étude va aider le monde agricole à prendre conscience du problème. "On va désormais être obligé d’ouvrir les yeux, de voir que cela existe."
"Chez certains, c’est l’omerta, témoigne Patrick Cailleau. Ils ne veulent pas dire qu’il y a un problème chez eux au cas où un jour, ils voudraient vendre."
Il envisage de déménager ses vaches dans une autre exploitation, à quelques kilomètres, pour voir ce que ça donne… Si le lait revient, si les vaches vont mieux… Une nouvelle tentative pour s’en sortir.
La recherche désarmée
"La recherche est désarmée, note le rapport qui suggère que l’état des connaissances soit amélioré notamment sur "l’exposition des animaux d’élevage aux champs électromagnétiques et sur les effets de ces derniers sur leur santé."
Le rapport est désormais sur le bureau du ministre.