Covid-19 : "J'ai l'impression d'être juste une épicière." Les pharmaciens au bord du burn-out

Des files d'attente sans fin, des tests à tour de bras, des logiciels en surchauffe et toujours les mêmes questions de patients déboussolés par des protocoles qui n'arrêtent pas de changer... Les pharmaciens, en première ligne depuis le début de la crise sanitaire, sont à bout de souffle. Témoignage d'une pharmacienne, arrêtée pour trois semaines.

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"C'est vraiment le tourbillon dans ma tête !" Emma (un prénom d'emprunt) est pharmacienne dans la périphérie rennaise. Depuis des mois, elle n'entend parler que de Covid-19 dans l'officine où elle exerce.

"Il faut être sur tous les fronts : entre les tests, les vaccins, les patients qui sont dans l'attente de conseils parce qu'ils ont peur ou qu'ils sont perdus dans toutes les réglementations. Ils nous demandent des tests, mais on a aussi tout le reste à faire : les ordonnances, les conseils au comptoir sur les pathologies de l'hiver ! C'est difficile de dire oui à tout le monde, on a envie, mais on n'a plus le temps..." 

Depuis deux ans, et le début de la crise sanitaire liée au coronavirus, la jeune pharmacienne tient bon, par conviction, pour ses patients. Tous les jours, la file d'attente s'allonge devant la pharmacie, le téléphone ne cesse de sonner : "Il sonne encore dans ma tête quand je vais me coucher..." Mais au retour des fêtes de fin d'année, le vase a débordé. 

"Je m'étais mis en tête que la période de Noël allait être difficile, avec les tests qu'il allait falloir enchaîner, mais qu'après ça irait mieux. Mais non, depuis début janvier, c'est encore pire !"

Emma, pharmacienne

Lundi dernier, Emma est rentrée en pleurs de sa journée de travail. Son médecin généraliste l'a arrêtée, trois semaines d'emblée.

Perte de sens

Emma est loin d'être la seule pharmacienne à bout de souffle. Sur les réseaux sociaux, les messages défilent"Les équipes sont en train de tomber comme des mouches ! A quel moment, le gouvernement va-t-il réaliser que nous ne sommes pas des surhommes ?"

"Avant on était patients, maintenant je n'y arrive plus ! (...) Avant j'y croyais, maintenant je n'y vois que de l'absurde..."
Le mal-être est général dans les officines, pharmaciens et préparateurs n'hésitent plus à témoigner.

C'est le cas de cette préparatrice en pharmacie de Toulouse, dont la lettre ouverte postée sur Facebook a recueilli ce lundi plus de 220 000 "j'aime".

Emma confirme. La thésarde docteure en pharmacie a le sentiment de ne pas exercer le métier pour lequel elle a tant étudié : "J'ai l'impression d'être juste une épicière d'autotests, de masques, de thermomètres. Le métier pour lequel j'ai fait sept ans d'études, je ne prends plus le temps de le faire !"

L'analyse, l'écoute du patient, le conseil, l'explication, la recherche d'interaction, la formation, la veille sur la sortie de nouveaux médicaments... "Tout ce qui fait le cœur de mon métier, je ne le fais plus, parce que la queue devant la pharmacie est trop longue."

L'ambiance au sein des officines aussi est de plus en plus crispante. 

"Les gens râlent, s'impatientent... Nous, ça nous met en stress et au final, on accélère, on accélère. J'ai l'impression de juste faire tomber les boîtes dans un sac, d'encaisser pour que ça aille au plus vite, pour servir tout le monde, et éviter un temps d'attente trop long... Je pourrais être caissière, ce serait pareil !"

Emma, pharmacienne

Le jeune fille est d'habitude joviale et empathique. Elle fait de son mieux pour écouter et conseiller les patients. Certains sont des habitués, atteints de maladies chroniques ou des personnes âgées isolées qui ont besoin de parler. Emma veut être là pour eux, mais elle se surprend parfois à leur répondre sèchement : "Le stress est des fois tellement élevé que je finis par répondre mal à mon patient, à être dure avec certains... Le soir, je me dis : 'mais qu'est-ce-que j'ai fait ? C'est pas moi !..."

Pression du gouvernement

Partout les professionnels se plaignent de ne pas faire "la base de leur métier". Les tests Covid sont chronophages. En plus des dépistages, il faut intégrer les résultats, via une plateforme Si-Dep en surchauffe. "Hier, la plateforme a planté. J'ai dû intégrer tous les résultats un par un, avec vérification précise des identités jusqu'à 23h", raconte une autre pharmacienne rennaise.

Résultat, les rayons de leur pharmacie n'ont parfois plus le temps d'être réapprovisionnés, les commandes ne sont plus toujours passées dans les temps... "Y a plein de choses qu'on n'a plus le temps de gérer !" témoignent beaucoup de pharmaciens qui ne prennent même plus le temps de déjeuner.

A côté de ça, les recommandations gouvernementales, elles, ne cessent de tomber. "En tant que professionnels de santé, on reçoit des mails de la DGS (ndlr : Direction Générale de la Santé). Des messages intitulés "nouvelle recommandation" qui tombent soit le dimanche après-midi, soit le vendredi à 21h ou le samedi à 22h..."

Priorisation de personnes pour les tests, élargissement de la campagne vaccinale, nouveau protocole sanitaire dans les écoles, ouverture du portail de commandes pour les vaccins... Autant de recommandations diverses et parfois contradictoires :

"La semaine dernière par exemple, les commandes de vaccins ont baissé de 27%. Normal, on ne peut pas à la fois faire des tests, et à la fois vacciner. Et bien Jérôme Salomon (ndlr : le directeur de la DGS) a bien stipulé dans son message qu'il ne fallait rien lâcher, que la vaccination restait la base pour sortir de cette pandémie... Ne relâchez pas vos efforts, d'accord, mais ça fait deux ans qu'on est en plein dans les efforts ! Vous nous demandez tellement de tests qu'on ne peut plus vacciner en même temps ! Et bien ça, c'est le petit mail qui tombe le dimanche soir à 20h..."

Impression de "déserter"

Après deux ans de crise sanitaire, certains professionnels ne s'en cachent pas : ils veulent changer de métier. "On est plusieurs à ressentir une forme d'acharnement sur les pharmaciens et les préparateurs, ça va lâcher !"

Emma elle, a du mal à assumer son arrêt de travail. "Je suis tellement désolée d'abandonner mes collègues dans cette période. Elles perdent un membre de l'équipe et ça leur rajoute du travail : j'abandonne mon équipe au front ! J'ai l'impression d'être un peu une déserteuse", souffle-t-elle émue. 

Quelle sera la situation dans deux semaines ? "Je rêve de revenir travailler sereine et de bien faire mon métier". En attendant, Emma tente de couper avec tout ce qui est en lien avec le Covid-19. Pas évident, alors que le nombre de contaminations ne cesse de battre des records. Elle se tient à distance, au sens propre et figuré, avec néanmoins toujours en tête "une grosse pensée pour mes collègues..."

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