CAP boulangerie-pâtisserie, bac professionnel en maintenance des matériels. Des formations en lycée professionnel qui attirent beaucoup les collégiens... sans pouvoir toujours leur ouvrir les portes. En Ille-et-Vilaine, 630 élèves sont ainsi sur « liste supplémentaire » pour entrer en seconde professionnelle ou en CAP en lycée professionnel.
Abderrahmen vient de terminer son année de troisième et rêve de devenir boulanger. Depuis plusieurs mois, il s'est renseigné et a réalisé un stage d'observation d'une semaine dans une boulangerie. "Son patron l'a beaucoup apprécié", assure sa maman, Martine Zaïed.
Son fils participe aux portes ouvertes de plusieurs lycées et fait une demande d'inscription à celui de Louis Guilloux à Rennes puis dans trois autres établissements.
Mais le 27 juin dernier c'est la douche froide : le jeune homme est finalement sur liste d'attente dans deux lycées.
630 collégiens sur liste d'attente
"On ne sait pas quoi faire, se désole Martine. Son professeur nous demande d'attendre jusqu'à septembre. Mais ce n'est pas normal, ça concerne beaucoup d'élèves, pas seulement mon fils. "
Dans le collège d'Abderrahmen, classé en réseau d'éducation prioritaire, 33 élèves de troisième n'ont pas eu d'affectation en lycée professionnel. En Ille-et-Vilaine, c'est plus de 630 élèves qui sont, eux aussi, aujourd'hui dans l'incertitude.
"Quel avenir va-t-on pouvoir proposer à ces élèves ?, s'interroge Julien Roullier, professeur principal dans ce collège. Ils vont passer un été angoissant avec la perspective d'un redoublement en septembre si des places ne se libèrent pas."
Une situation dénoncée par le Syndicat National des Enseignements de Second degré (SNES-FSU) Bretagne.
La situation n'est pas nouvelle : en 2022, près de 1 000 collégiens bretons étaient sans affectation, eux aussi, à cette période de l'année, dont 500 en Ille-et-Vilaine. Cette année, ce département en compte déjà 630.
Une affectation en lycée professionnel sous algorithme
À l’origine de l'affectation des collégiens dans les lycées professionnels, Affelnet, un algorithme fonctionnant un peu comme celui de Parcoursup, responsable de l'affectation des bacheliers dans l'enseignement supérieur.
"Les élèves de seconde qui vont en seconde générale et technologique n'ont pas ce problème, ils ont d'office une place dans leur lycée de secteur", précise Florence David, membre du syndicat SNES-FSU et psychologue de l'éducation nationale, spécialiste de l'éducation, du développement et de l'orientation.
"Mais pour la voie professionnelle, ce sont les résultats scolaires qui comptent pour l’affectation ainsi que le nombre de places dans la formation, le nombre de demande, la hiérarchisation des vœux."
Florence DavidMembre du syndicat SNES-FSU
Malheureusement pour Abderrahmen, le bac pro boulangerie-pâtisserie du lycée Louis Guilloux qu'il souhaitait intégrer reçoit deux fois plus de demandes que le nombre de places proposées.
Plus inaccessible encore, dans ce même lycée, le CAP pâtisserie, lui, n'ouvre que tous les deux ans. L'an dernier, il a reçu 53 demandes pour 12 places seulement.
Des filières attractives, mais des places limitées
"Dans le bassin rennais, on a 30 places pour 96 demandes en maintenance des matériels, recense Florence David. Dans le soin et le service à la personne au lycée de Bréquigny, c'est 45 places pour 60 demandes. Dans les lycées de Tinténiac et de Guer, en bac professionnel transport routier de marchandises, on a le double de demandes par rapport au nombre de places."
Cette dernière filière est pourtant en tension dans la région. "Il nous manque entre 3 000 et 3 500 conducteurs routiers", assure Anthony Rouxel délégué régional de la Fédération nationale des transports routiers. En 2020, la Bretagne offrait tout de même 350 places en formation de conducteurs routiers, du CAP au bac pro.
"Chaque année, on est consulté par la région pour être le plus en phase avec les besoins de notre branche, assure Anthony Rouxel. Un CAP livraisons de marchandise a ainsi ouvert au lycée de Tinténiac l'année dernière."
Mais ces formations sont souvent plus coûteuses que les filières d'enseignement général.
"On ne peut pas créer une formation en trois mois, il faut des professeurs qualifiés, du matériel. Les lycées professionnels ont des plateaux techniques financés par les régions qui coûtent parfois très chers comme en cuisine ou dans les formations de conducteurs routiers."
Florence DavidMembre du syndicat SNES-FSU
Et de rappeler que les lycées professionnels n'ont pas vocation à "seulement former des travailleurs pour des emplois en tension à un instant donné. À l’origine, ils permettent une montée en qualification pour aussi freiner la ségrégation sociale. L'orientation, ce n'est pas que de l'insertion ou de l'adéquation formation/emploi."
Redoubler, changer de filière ou s'éloigner
Pour les collégiens recalés, trois solutions : redoubler, choisir une autre filière ou partir à l'autre bout du département, voire de la région.
"Le rectorat ne voit l'académie que globalement, dénonce Ronan Oillic, secrétaire FSU Bretagne. Il estime que s'il y a des places vacantes dans d'autres départements ou dans d'autres filières, il n'y a pas besoin d'ouvrir des places."
Difficile pour certains collégiens de se motiver dans une filière qu'ils n'ont pas choisie ou de s'éloigner de leur domicile. Certains établissements disposent bien d'un internat mais là encore :
" Pour les parents, l’internat c’est un coût. Et à 14 ou 15 ans, tous les jeunes ne sont pas assez matures pour y aller à l’internat. On voit bien qu’il y a un gap entre la vision du rectorat et celle des familles."
Ronan OillicSecrétaire FSU Bretagne
Face à ces incertitudes, le rectorat assure qu'une phase d'affectation mi-septembre devrait permettre de trouver une solution pour la plupart des élèves en attente.
"Un état des lieux hebdomadaire est remonté au directeur académique d'Ille-et-Vilaine de juillet à la fin septembre, afin de s’assurer que chaque élève bénéficie d’une solution de scolarisation : 2nde professionnelle, 1ère année de CAP, 2nde générale et technologique, maintien en 3ème, apprentissage ou dispositif de la Mission de lutte contre le décrochage scolaire."
Rectorat de l'Académie de Rennes
Autre écueil, les places en CAP proposés en lycée professionnel ou en centre de formation d'apprentis sont souvent prises par les élèves des filières d'enseignement adaptés (Segpa) qui sont prioritaires.