Que faire de la vase qui s'accumule dans la Rance ? Extraits du fleuve il y a un an et demi, des sédiments ont commencé à être épandus sur des terres agricoles. La matière présente des avantages mais l'opération est coûteuse, et limitée.
Le bal des tracteurs a débuté le lundi 14 septembre. Après un an et demi de "repos" dans les lagunes du centre de transit de la Hisse, à Saint-Samson-sur-Rance, dans les Côtes d'Armor, une partie des sédiments extraits de la Rance, est transvasée dans une quinzaine de bennes qui s'enchaînent. Direction : les terres agricoles.
Au total, ce sont 25.000 m3 de sédiments (sur les 87.000 répartis sur toutes les lagunes du site costarmoricain) qui vont être épandus, à titre expérimental.
Théoriquement, il faut en effet attendre deux ans et cinq mois avant de toucher à ces sédiments, mais l'EPTB, l'établissement public territorial du bassin de la Rance, veut avancer. "On fait une expérimentation, explique Yves Chesnais, le président de l'EPTB de la Rance, qui assure depuis le 1er janvier la gestion du site de transit. "On a réduit la durée de décantation, pour voir comment les sédiments réagissent dans le temps."
La matière, qui "sèche" dans les lagunes depuis un an et demi a déjà bien changé. Extraite de la Rance au niveau du piège de Lyvet durant l'hiver 2018-2019, la vase était à l'époque considérée comme un déchet.
En décantant sur un système d'éclusettes, l'eau salée s'est progressivement évacuée, la matière a été valorisée : "C'est une matière qui présente de très bonnes qualités calciques et structurelles, précise Ronan Baudet, chargé depuis le début d'année des études opérationnelles au sein de l'EPTB de la Rance. "Ce n'est pas un engrais, mais un amendement intéressant pour les agriculteurs qui n'ont pas à ajouter de chaux sur leurs terres agricoles pour baisser leur acidité."
25.000 m3 sur 48 ha
Avant d'être épandus, les sédiments ont été contrôlés, le taux de chlorure notamment ne doit pas dépasser la réglementation. Déjà opéré à deux reprises en 2014 et 2019 par l'association Coeur Emeraude, ce type d'épandage présente des intérêts pour les agriculteurs. "Etant éloigné des bords de Rance, moi, je ne pouvais pas profiter sur mes terres des apports du fleuve, raconte Alain Letissier, agriculteur à Plouër-sur-Rance. Aujourd'hui, la mécanisation nous permet d'en profiter !"
Un épendage d'autant plus intéressant que la matière est fournie gratuitement. Une dizaine d'agriculteurs des alentours s'est portée volontaire. Durant cinq semaines, 48 hectares vont ainsi être amendés, au frais de la collectivité, dans un rayon de 8 kilomètres. "C'est sûr que ce n'est pas négligeable ! reconnaît Alain Letissier. Par contre, la première année, même si c'est du « clé en main », il y a un peu de boulot à faire derrière, sur les terres qu'il faut charrier... Avec la chaux, c'est beaucoup plus facile !"
350.000 euros l'opération épandage
L'expérimentation n'est pas anodine : 14 euros le m3 ! La multiplication est rapide. Coût total de l'opération : 350.000 euros ! "C'est un procédé onéreux, confirme Yves Chesnais. L'épandage, c'est une des solutions mais cela coûte cher à la collectivité !"
L'élu de Saint-Jouan-des-Guérêts ne s'en cache pas, il aimerait que les industries s'emparent de cette matière première à valoriser : "Cela peut être un bon fertilisant ! La vase pourrait aussi être transformée en tuiles, ou panneaux utiles dans le bâtiment..."
Une "goutte d'eau"
L’Établissement public territorial du bassin de la Rance (EPTB) s’est vu confier fin 2018 la charge de mettre en œuvre un plan expérimental de désenvasement du fleuve. Le plan quinquenal prévoit l'extraction de 50.000 m3 de vase tous les ans. Comment l'extraire et comment la valoriser ? Plusieurs pistes sont à l'étude pour financer le dragage et se débarrasser de cette vase qui s'accumule chaque année dans le fleuve, depuis la construction du barrage et de l'usine marémotrice de la Rance en 1966.
En attendant, l'expérimentation d'épandage a déjà permis de libérer un peu d'espace dans le centre de transit des sédiments de Saint-Samson-sur-Rance où la matière ne doit pas, théoriquement, être stockée plus de trois ans... 25.000 m3 de moins, une "goutte d'eau" estiment certains face à l'océan que représente le défi du désenvasement de la Rance.