Les ports bretons vivent au rythme des marées mais aussi à celui des dragages. Continuellement, les gestionnaires des infrastructures doivent nettoyer les fonds pour garantir l'accès des bateaux. Or la matière prélevée pose problème. Que faire de toute cette vase ? Eléments de réponse dans le Finistère et dans le Morbihan.
Sous un ciel gris et lourd, le port de Morlaix se refait une beauté. Un curetage en règle qui retire de ses fonds, tous les deux ans, environ 17.000 mètres cube de vase. En amont, le ballet des pelleteuses garantit aux plaisanciers morlaisiens 3 mètres de tirant d’eau. En aval, une berge de dragage est à l’œuvre. Ici il faudra 6 mètres.
L’envasement des ports est inéluctable
Un travail de fourmi que l’on comparerait volontiers à un tonneau des danaïdes inversé, tonneaux percés qu'il faut remplir. Ports remplis de vase qu’il faut vider.
"Tous les ports sont soumis au dragage", explique Pierre Legendre, chef du service mer et littoral à Morlaix communauté. "La particularité du port de Morlaix est qu’il est au confluent de deux rivières. En fonction de la pluviométrie, des sédiments terrestres vont se déposer et conduire à son envasement."
Une situation que connaissent de nombreux ports bretons du fait de leur géographie de ports d’estuaire. La Rance s’envase du fait de son barrage, le port du Légué s’ensable du fait de sa position en fond de baie.
Evacuer et stocker les boues
Exfiltrés par un tuyau de plus de 2 kilomètres, les sédiments du port de Morlaix sont stockés sur une plateforme classée pour la gestion des déchets (classement ICPE). Là, les boues sont déshydratées et l’eau extraite ramenée vers le port. Il s’agit de réduire les volumes de matière mais également d’envisager la réutilisation des sédiments.
"Nous avons fait le choix depuis 2010, de stocker les sédiments à terre. Mais les sites seront combles au bout d’un moment et le but n’est pas d’en trouver de nouveaux mais plutôt de trouver des filières de valorisation, un exutoire pour ces sédiments" reconnaît Marc Rousic, élu à Morlaix Communauté.
Car depuis le milieu des années 1990, le clapage en mer, c’est-à-dire l’immersion des boues séchées de dragage au large, est soumis à déclaration et autorisation. En Bretagne, il existe de nombreux points de clapage au large des côtes.
La pratique est répandue et interroge quant à ses effets sur l’environnement (qualité des eaux, ressource halieutique, aires marines protégées). Selon l’association Bretagne Vivante, "au niveau national, les volumes dragués sont très majoritairement immergés."
Une situation qui ne devrait pas durer puisque la loi sur l’économie bleue interdira, à partir du 1er janvier 2025, le rejet en mer de sédiments de dragages pollués. Mais qu’est-ce qu’un sédiment pollué ? La définition de la pollution et de son taux restent encore à déterminer.
L’étape indispensable des tests
En attendant la définition réglementaire, de nombreux tests sont effectués par les gestionnaires de ports avant le dragage, pendant le stockage et au moment de l’utilisation des sédiments.
Réalisés par des laboratoires indépendants ou par le CEREMA (centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement au statut d’établissement public), ces tests permettent de déterminer la nature physique et chimique des sédiments.
Christelle Naudat, responsable activité et évaluation environnementale des déchets et économie circulaire au CEREMA, relie une colonne de sédiments à une réserve d’eau déminéralisée. "C’est un essai de caractérisation environnementale pour connaître la composition chimique de ces matériaux et voir le relargage des polluants dans le milieu naturel quand on va les utiliser par la suite."
"Ils peuvent être de nature plus sableuse ou plus argileuse, avoir des polluants aux hydrocarbures ou pas, comporter des matières organiques ou pas" explique Régis Soenen directeur de l’antenne Ouest du CEREMA à St Brieuc.
Le CEREMA va aussi aider les gestionnaires de ports à déterminer si ces sédiments peuvent être valorisés. "Nous regardons aussi les débouchés existants. Il faut que l’économie suive, c’est-à-dire que le volume extrait doit être en quantité suffisante en qualité satisfaisante et que des débouchés existent à proximité. Envoyer des sédiments à plusieurs centaines de kilomètres du port où ils ont été extraits, n’est pas une solution" explique Régis Soenen.
Sortir du statut de déchet
Avant d’être valorisés, les sédiments doivent être séchés et traités. 12 à 18 mois à l’air libre pour les débarrasser de leur eau et les rincer naturellement grâce aux intempéries. Les sédiments sont déshydratés et leur teneur en sel diminuée.
Sur la lagune du Tohannic, Simon Réauté, le responsable d’exploitation Solvalor qui travaille avec la compagnie des ports du Morbihan, égrène les utilisations des sédiments lors de leur deuxième vie.
"Nous travaillons sur différentes filières de valorisation en technique routière avec la réalisation de merlons, en agriculture avec des plans d’épandage pour amender la terre ou encore pour recréer du béton afin de réaliser du mobilier urbain, des tétrapodes brise-lames et des éco-récifs corps-mort pour les ports."
Pour sortir de la catégorie des déchets, les sédiments doivent remplir trois critères : répondre à un besoin, prouver leur innocuité et venir en remplacement d’un autre matériau.
Des meubles en sédiments
A Brest, l’entreprise Gwilen utilise les sédiments extraits du port Quiberon. La jeune société parie sur ce matériau inépuisable et sur l’économie circulaire "graet e Breizh" (fait en Bretagne). Gwilen travaille depuis une année avec la compagnie des ports du Morbihan, qui gère l’extraction et le stockage de 17 ports du département.
Yann Santerre, à l’origine de la société, vient chercher quelques mètres cubes de sédiments sur la plateforme de stockage du Tohannic, à Vannes. Une goutte d’eau à l’échelle des 70 000 mètres cubes stockés sur les lagunes vannetaises.
Après un dernier séchage en étuve et un traitement au secret industriel bien gardé, les sédiments se retrouvent sous forme de poudre. Mélangés à de l’eau et à des colorants, malaxés, ils deviennent une sorte de béton novateur.
"Nous nous intéressons à la partie argileuse des sédiments, plus compliquée à valoriser" détaille Yann Santerre. "Nous avons dû trouver un procédé pour solidifier la matière et nous devons répondre à des normes pour les produits du bâtiments."
Car même si le procédé industriel de la jeune entreprise n’est pas encore utilisé dans le BTP, le matériau sert à fabriquer des carreaux de décoration, des aménagements intérieurs, des comptoirs et doit répondre à des normes.
Déjà soutenue par la région Bretagne et la Banque publique d’Investissements dans sa recherche et développement, Gwilen participera en 2024 à un atelier pilote au sein de l‘incubateur du centre scientifique et technique du bâtiment. Un an et demi de travail prévu pour tenter de passer à une échelle industrielle. On lui a donné la boue, il en fera peut-être de l'or.