L'affaire fait du bruit sur les réseaux sociaux. Eureden, le groupe agroalimentaire breton a décidé de ne plus financer le festival Lieux Mouvants. Est-ce parce qu'Inès Léraud y est venue parler d' "Algues vertes, l'histoire interdite" ? Une BD qui pointe du doigt les pratiques de l'entreprise.
Tout est parti d'un message posté sur les réseaux sociaux. Un message aux allures de SOS.
Selon une "habitante du 22", Eureden, le groupe alimentaire breton né de la fusion entre Triskalia et D'Aucy, aurait décidé de ne plus financer l'association organisatrice du festival Lieux Mouvants, au motif de "son mécontentement que le festival ait accueilli Inès Léraud", la journaliste auteure de la bande dessinée "Algues vertes, l'histoire interdite" paru en 2019.
Un message, qui a rapidement été supprimé, mais dont voici une copie d'écran :
Pour Inès Léraud, c'est une forme de censure : "Triskalia a renoncé à son partenariat à cause de ma présence sur le festival en 2019. Je trouve ça scandaleux !" réagit la journaliste bretonne qui a enquêté durant près de trois ans sur le phénomène des algues vertes.
C'est précisément pour présenter le résultat, son livre "Algues vertes, l'histoire interdite", qu'elle avait répondu à l'invitation du créateur du festival Lieux Mouvants, Jean Schalit, en août 2019. Une intervention que certains ont pu trouver ambiguë : "Il y avait beaucoup de monde dans la chapelle Saint-Antoine" se souvient Inès Léraud. Cela avait été un moment fort. A la fin, lors des questions du public, certains avaient pointé du doigt que Morgane Large et moi dénonçions les pratiques de Triskalia, alors que l'entreprise subventionnait le festival..." Jean Schalit avait répondu, argumenté, défendu sa liberté. "Et, moi j'avais dit, devant l'auditoire, que si jamais ce festival perdait des subventions à cause de notre intervention, nous le dirions publiquement !"
Jean Schalit n'est plus là. L'écrivain et homme de presse est décédé en octobre dernier. Mais Inès Léraud tient parole et publie à son tour sur les réseaux sociaux :
De source interne, Triskalia-Eureden, le 1er groupe agroalimentaire breton, vient de supprimer discrètement les 10 000 euros de subvention qu'il versait au festival "Lieux mouvants" au motif que celui-ci m'a invitée à présenter ma BD "Algues vertes, l'histoire interdite".
— Inès Léraud (@ileraud) March 17, 2021
Pour quel motif ?
Y a-t-il un lien direct entre l'arrêt de cette subvention et l'intervention d'Inès Léraud en août 2019 dans le cadre du festival ? Pour Eureden, que nous avons sollicité, aucun.
"Eureden a été partenaire pendant plusieurs années de l'association "Lieux Mouvants" par le biais des magasins "Point Vert - Magasin Vert" souligne la communication du groupe né de la fusion entre Triskalia et D'Aucy.
Nous vous confirmons que ce partenariat n'a pas été renouvelé en 2021, mais contrairement à ce qui peut être dit sur les réseaux sociaux, ce choix est nullement lié à une participation de la journaliste Inès Léraud à cet événement."
Mais alors pourquoi cesser cette année, un partenariat établi depuis 2013 entre Triskalia et Lieux Mouvants ? A l'heure où nous terminons l'écriture de cet article, nous attendons toujours la réponse d'Eureden.
De son côté, la directrice adjointe et programmatrice du festival Lieux Mouvants temporise : "Il y a sûrement des corrélations, mais ce ne sont que des suppositions" explique Rosalie Tsai. "Pour le moment, nous sommes en train de renégocier le mécénat avec Triskalia. Il y a plusieurs circonstances : le décès de Jean, la fusion-absorption de Triskalia et D'Aucy... Il y a plusieurs choses qui entrent en jeu."
La nouvelle responsable ne s'en cache pas, elle marche sur des oeufs. Elle, qui prend la suite de Jean Schalit subitement disparu, qui plus est dans un contexte de crise, tient à ménager ses partenaires historiques : "Je ne veux pas leur jeter la pierre, ils nous ont aidé dès le début, et s'il n'y avait pas eu Triskalia, on n'aurait pas pu faire un festival comme celui-là ! Il y avait une bonne écoute, un bon relais, je ne fais pas une croix sur ce partenariat."
10.000 euros en moins
Concrètement, ces 10.000 euros en moins risquent de peser sur le budget en cours d'élaboration. "Pour l'instant je n'ai que très peu de visibilité sur mon prévisionnel. J'en saurai plus quand les budgets seront votés en commission" complète Rosalie Tsai.
Le festival est en effet subventionné par différentes municipalités, communautés de communes, conseils départementaux ainsi que le Conseil régional et la DRAC. Cela pèse pour moitié dans un budget annuel de près de 300.000 euros, mais le mécénat a son rôle à jouer. "Avec une billetterie à 6 euros l'entrée, c'est clair que les soutiens financiers sont importants, rappelle la directrice adjointe.
"10.000 euros, c'est beaucoup pour ce festival en milieu rural ! réagit, elle, Inès Léraud. D'autant plus dans ce contexte de crise sanitaire où pour des raisons économiques, d'autres partenaires risquent peut-être de ne pas pouvoir financer Lieux Mouvants cette année..."
Programmation en cours
Expositions, spectacles, débats, créations de plasticiens, rencontres, musique et danse... Depuis plusieurs années maintenant le festival Lieux Mouvants propose en Centre Bretagne chaque week-end de l'été des rencontres riches en émotions et réflexions. "Pour alimenter deux mois de programmation, il me faudra peut-être faire des choix. Au lieu d'avoir cinq plasticiens, peut-être que je devrais par exemple, n'en planifier que trois, ou bien réduire la voilure côté amplitude ? Pour l'instant, rétorque Rosalie Tsai, ce n'est pas la question, c'est à moi de trouver subventions et mécènes !"
Un festival dont la prochaine édition est pour l'instant prévue du 3 juillet au 29 août 2021. Trois premiers grands rendez-vous sont déjà planifiés : François Morel, l'acteur, chroniqueur radio et chanteur pour une biographie bretonne et musicale. Le pianiste Jean-François Zygel et le joueur de viole de Gambe Valentin Tournet devraient eux rivaliser autour de Bach. Quant à Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus, ils rendront un hommage "vivaldien" à Jean Schalit.