« Soul », le dernier film Pixar, très attendu pour Noël, ne sortira que sur la plateforme Disney+. Le Syndicat des Cinémas de l’Ouest dénonce une très mauvaise stratégie d'exclusivité. Manquant de films à projeter, les cinémas réclament une sortie en salle.
Quand le groupe Walt Disney décide de zapper les sorties en salle de cinéma, c’est toute la filière de distribution des films qui souffre. Après "Mulan" cet été, c’est maintenant "Soul", le dernier Pixar qui ne sortira que sur la plateforme Disney+ du groupe.
Une diffusion exclusive, en ligne, dans tous les pays où la plateforme est disponible. Disney+ est disponible en France, alors... Exit les cinémas français, circulez, y’a rien à voir, émoticone « étoile ».
Pixar's Soul will be streaming exclusively on #DisneyPlus on December 25. ✨ #PixarSoul pic.twitter.com/UQdV8EJUcf
— Disney (@Disney) October 8, 2020
« With great power, comes great responsability… »*
Dans une lettre ouverte adressée à Disney France, le Syndicat des Cinémas de l’Ouest bouscule gentiment les représentants français du géant américain The Walt Disney Company. « Avec le pouvoir, viennent de grandes responsabilités »*, une citation tirée de la série « Spiderman », franchise... Sony, concurrent direct de Disney. Prends-ça Mickey!
« Les films Disney, en 2019, c’est 49 millions d’entrées en France, 23% du marché!… c’est colossal. Un tel poids sur le marché doit inciter Walt Disney à plus de responsabilité envers nous, les salles de cinémas, qui avons largement contribué à ce succès » - Yves Sutter, président du Syndicat des Cinémas de l’Ouest
Le Syndicat des Cinémas de l’Ouest, c’est 270 salles dans la région grand ouest, du Multiplex à la petite salle à écran unique. Son président rennais, Yves Sutter, est également directeur de Cinéville, gérant 15 cinémas, et 116 salles. Il explique : « Le fond du problème se situe sur le sol américain. Les salles de cinéma sont majoritairement fermées, alors les producteurs et distributeurs décalent les sorties de films, comme le dernier James Bond par exemple. On peut tout à fait le comprendre.[...] Mais, après ce qui s’est déjà passé avec « Mulan », Walt Disney semble opérer une stratégie très différente. »
The Walt Disney Company ne procède pas à un report de la sortie de Soul, mais annonce le diffuser sur la plateforme Disney + dans les territoires où celle-ci est disponible. À défaut seulement, une sortie au cinéma sera possible pour les autres territoires. Cette stratégie témoigne d’un profond mépris des salles de cinémas, pourtant ouvertes dans la majorité des pays, notamment en Europe ; elle est d’autant plus provocante que votre société s’appuie malgré tout sur la salle de cinéma et ses festivals pour faire la promotion de ses films (Festival de Cannes, Festival Lumière à Lyon, etc., pour ne citer qu’eux en France !).
Création de valeur, notoriété, et chronologie des médias
De fait, les cinémas français doivent faire face à une raréfaction de l’offre. Moins de films à sortir, c’est moins de spectateurs dans les salles. Mais depuis le 22 juin, date de réouverture des salles en France, les films présentés ont fait « de bons chiffres ». Yves Sutter explique « On le voit très bien avec « Tenet » de Christopher Nolan par exemple, le film a réalisé 2,5 millions d’entrées, un chiffre très près de ce qu’on fait les précédents films du réalisateur. [...] Le public est là, il vient au cinéma, et il faut lui donner des films à voir. »Une sortie en salle, c’est de la création de notoriété, du bouche à oreille. C’est cette création de valeur qui amènera le public, qu’il ait vu le film en salle ou non, à acheter le DVD ou le louer en VOD quatre mois plus tard, à le regarder sur une chaine payante huit mois plus tard, ou participer d’un record d’audience sur une chaine en clair une vingtaine de mois après la sortie en salle.
C'est une chronologie des médias qu'il faut respecter, c'est la sortie en salle qui fait la carrière d'un film. C'est profitable pour toute la chaîne, de la production à la diffusion.
Voir plus loin
Le scénario que semble écrire The Walt Disney Company est mortifère aux yeux des directeurs de salles. « Il ne faudrait pas que, du fait de ce genre de choix stratégique, ce soit toute la filière qui s’effondre. Il va bien falloir retrouver un marché viable après la pandémie » nous dit Yves Sutter ce matin.Nous sommes conscients du peu de poids que représente notre syndicat et les 270 salles qu’il représente à l’échelle des enjeux mondiaux de The Walt Disney Company, mais il nous semble néanmoins nécessaire de vous rappeler que les films familiaux et populaires de votre catalogue ont besoin de tous les cinémas, en France et dans les pays voisins, dans les grandes métropoles et dans les plus petites villes, pour toucher tous les publics et réaliser les recettes à la hauteur de l’universalité des films Disney.
Le pot de fer contre le pot de terre
Quelle histoire pourrait bien tirer un scénariste Disney de cette affaire, entre le petit et le géant, l'ogre et le petit poucet? Pour l'heure, le groupe s'occupe surtout de ses sous. La firme a annoncé ce 12 octobre une restructuration massive de son offre, en donnant la priorité des ses contenus à ses plateformes de streaming.
Etant donné le succès incroyable de Disney+ et nos objectifs de de développer le business directement avec le consommateur, nous positionnons stratégiquement notre Compagnie afin de soutenir plus efficacement notre stratégie de croissance et augmenter notre valeur boursière. Gérer la création de contenu distinctement de la distribution nous permettra d’être plus efficace et agile pour créer le contenu que les consommateurs désirent le plus, livré de la façon dont ils préfèrent le consommer.
Tout est dit. Oubliez le Donald maladroit, pensez plutôt à un Picsou "agile", un peu énervé par le succès d'un Netflix chanceux et débonnaire. Où l'on repense aussi à "Wall-E", et ses humains de l'espace avachis devant des écrans individuels.
Devant ce scénario devenu plausible, c'est toute la filière cinéma qui s'inquiète.