Les bombardements, la peur, les corps sans vie... Les images de la guerre en Ukraine replongent Serge Aubrée et Monique Fauchon-Gérard dans de douloureux souvenirs. Ils étaient adolescents quand des pluies de bombes se sont abattues sur Brest pendant la Seconde Guerre Mondiale. A 97 et 100 ans, ils espéraient ne jamais revoir de combats en Europe.
Quand les premières bombes sont tombées sur Brest, en juillet 1940, Serge Aubrée avait 11 ans. Il en a 93 aujourd’hui et il prend un air un peu coupable pour avouer qu’au début, il trouvait ça "presque marrant."
"Dès que les explosions étaient finies, nous, les gosses, on sortait. Nous n’étions pas conscients du danger, et inconscients de la peur. On ramassait les éclats des bombes et on comparait : c'est moi qui ai le plus beau."
Evidemment, Serge a rapidement compris que la guerre n’était pas un jeu. Durant quatre ans, la ville de Brest sera la cible de 165 bombardements et 480 alertes.
Le bilan est terrible, plus de 500 morts civils et 550 blessés. Et en 1944, pendant le siège, du 7 août au 18 septembre, 30 000 bombes et 100 000 obus s’abattent sur la cité.
"Nous avons été bombardés, soupire Monique Fauchon-Gérard, nous avons tellement été bombardés que nous n’arrivions plus à nous déshabiller pour aller dormir, nous gardions nos vêtements."
Monique est alors lycéenne. Elle n’a jamais oublié.
Ce qui était curieux, c’est que c’étaient les animaux qui nous prévenaient quand les bombardiers approchaient. Ils le sentaient et gémissaient. Ils nous alertaient avant les sirènes.
Monique Fauchon - Gérard
Aujourd’hui, âgée de 100 ans, elle se souvient de voir ses parents trembler. "Pourtant, la plupart du temps, nous ne bougions pas, dit-elle calmement, nous restions dans notre appartement et, c’était un peu ridicule, mais pour se protéger, nous fermions les fenêtres !" sourit-elle. "On se sentait à l’abri et puis… advienne que pourra !"
Un pilonnage incessant
La vie à Brest était rythmée par les attaques aériennes. "Au départ, il n’y avait pas d’abri, se rappelle Serge, mais, comme j’étais encore un gosse, je n’avais pas peur. Dans chaque quartier, on savait quelles maisons étaient solides. Alors, on se retrouvait tous là-bas, et on attendait en se racontant des histoires."
Un jour, une bombe incendiaire est tombée sur l’immeuble où vivait la famille de Monique. 80 ans après, quand elle raconte, sa voix retrouve les accents de l’urgence. "Mon petit frère était très brave, je lui ai dit, il y a le feu, lève-toi. Et il a fallu lutter avec ma mère. Comme il y avait des sacs de sable pour protéger contre les tirs, nous nous sommes servis du sable pour éteindre les flammes."
Lorsque la guerre s’achève enfin, à Brest, 7 000 des 16 500 immeubles de la ville sont entièrement détruits, seuls 200 bâtiments sont encore debout.
Un traumatisme enfoui
Pendant 60 ans, Serge Aubrée a gardé le silence sur ce qu’il avait vécu lors de la guerre. "Il fallait reconstruire, tourner la page, passer à autre chose." Ce n’est qu’au moment des commémorations de 2004, que les souvenirs sont revenus petit à petit et ce n’est qu’à partir de cet instant qu’il a pu se dire qu’il pardonnait à l’Allemagne.
Quand la ville de Brest a organisé les premières visites de l’abri Sadi Carnot (l’abri dans lequel 371 brestois ont péri le 9 septembre 1944 ), Serge Aubrée s’est rendu sur place. "Soudain, dans l’abri, il y a eu une sirène. Ce n’était qu’un effet sonore, mais j’ai cru que tout recommençait. J’ai eu l’impression de revivre tout ça."
Tout était resté dans la tête du petit garçon, l’image de son père qui fait les cent pas dans l’appartement pour ne pas laisser voir sa peur, les allemands qui surveillent le port, sa jolie cousine Reine.
Les gens avaient les jetons comme ça n’est pas possible. Cela nous a rendu malheureux, je n’aime pas l’injustice, je trouve cela injuste.
Serge Aubrée
"Ca recommence"
Quand il voit les images de ce qui se passe en Ukraine, Serge n’a qu’un mot," c’est stupide ! On ne voulait pas que des choses comme cela se reproduisent."
"Après la Seconde Guerre Mondiale, on disait, Plus jamais ça, il y a eu trop de souffrances ", poursuit Monique. "On espérait, mais ça recommence, regrette la vieille dame. Et on réagit de la même façon qu’il y a 80 ans. Plus jamais ça, c’est impossible. Avec des gens comme Poutine, cela sera toujours pareil et cela recommencera toujours."
Monique ferme les yeux un instant, et les rouvre aussitôt, comme pour empêcher le cauchemar de se poursuivre.