A Brest, chaque lundi, les aidants familiaux se retrouvent autour d'un café-mémoire initié par France Alzheimer 29. C'est leur moment à eux, un instant de répit dans une vie centrée sur la maladie de leur conjoint. Ce mardi 6 octobre marque la journée nationale des aidants. Témoignage.
Un brouhaha de voix, des rires. Le café fume dans les tasses. Un accordéon et un piano jouent des vieilles chansons. Autour des tables, chacun est à la joie de se retrouver. Enfin. Ils ne se sont pas vus depuis des mois. Depuis que la Covid les a cloués chez eux. Seuls face à la maladie de leur conjoint. Ces hommes et ces femmes sont des aidants familiaux. Ce moment est le leur. Et ils ne l'auraient manqué pour rien au monde.
"La maladie, elle m'isole, moi aussi"
Dans ce restaurant brestois, fermé au public le lundi mais ouvert au café-mémoire de France Alzheimer 29, ils n'ont qu'une chose à faire : s'asseoir, se laisser servir. Et souffler.
Madeleine, 74 ans, a la bougeotte. Difficile de se mettre les pieds sous la table quand, tous les jours, du matin au soir, elle est debout et prend soin de Jean (les prénoms ont été modifiés). Il y a cinq ans, son mari a sombré dans une maladie neurodégénérative. "Il ne bougeait plus, dit-elle. Il ne parlait plus. Ca m'est tombé dessus, comme ça".
Cette femme, toute menue, "pleine d'énergie au début", "épuisée aujourd'hui", trouve dans ce café-mémoire un peu de répit. "J'avais hâte de les voir tous, sourit-elle. La maladie, elle m'isole, moi aussi. Elle éloigne. Si on ne la vit pas, on ne peut pas la comprendre". Dans sa vie d'avant, elle allait au cinéma ou marcher avec ses copines qu'elle ne voit plus. Elle avait le temps de lire. De voyager un peu."Tout ce que je partageais avec lui, cela n'existe plus. Je ne veux même plus m'en souvenir, c'est trop difficile, c'est du chagrin" confie-t-elle.
C'est une maladie atroce. C'est un cancer de l'âme, un cancer de tout qui bouscule toute votre vie
Madeleine ne se définit pas comme une aidante familiale. "Ce que je fais là, c'est par amour pour mon mari". Sa vie sociale ne tourne plus qu'autour de la maladie de Jean. Le café-mémoire, elle y vient aussi avec lui. Elle y croise d'autres femmes avec lesquelles parler soulage. "Ce rendez-vous hebdomadaire est important pour les aidants, constate Nathalie Fournier, psychologue à France Alzheimer 29. Ils peuvent 'vider leur sac', oser dire 'je n'en peux plus' sans se sentir jugés puisque chacun ici traverse les mêmes émotions. Ils s'aident beaucoup entre eux".
Franchir l'étape d'un accueil de jour pour s'accorder du temps à soi s'avère compliqué. D'un côté, la culpabilité. De l'autre, la crainte de déléguer à une tierce personne. "Nous leur expliquons que cette maladie, c'est une course de fond, souligne la psychologue.
Le seul moyen d'accompagner sans qu'ils y laissent des plumes, c'est de prendre soin d'eux. Au bout d'un long travail, ils finissent par lâcher, par accepter qu'ils ont le droit d'être heureux et de faire des choses pour eux
Madeleine reconnaît que l'accueil de jour est bénéfique non seulement pour Jean mais aussi pour elle. "Il y va trois fois par semaine. Ces jours-là, j'en profite pour faire des courses, aller à mes rendez-vous médicaux. Je ne fais rien d'extraordinaire. Je souffle un peu".
Une vie de couple réduite à peau de chagrin. "Avec un déplacement des rôles considérable, ajoute Nathalie Fournier. Vous devenez la mère ou le père d'un enfant qui n'est autre que votre conjoint. Vous devez faire le deuil d'une relation alors que la personne est toujours là, vivante. Ils sont épuisés physiquement et psychologiquement. Demander de l'aide, c'est complexe pour eux car cela veut aussi dire admettre la maladie. Et ça, c'est un long chemin".