L'école maternelle publique Bugeaud, à Brest, porte le nom d'un maréchal français aux méthodes violentes lors de colonisation de l'Algérie. Des riverains réclament depuis plusieurs années un changement de nom, quand d'autres souhaitent le maintenir. Le débat a trouvé un écho national.
Tout est parti d'un tweet du journaliste Jean-Michel Aphatie, lundi 15 juin. Interpellant le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, il s'étonne qu'une "école maternelle à Brest [soit] baptisée du nom de Thomas Bugeaud, général, « enfumeur » de femmes, d'enfants et de veillards, lors de la conquête de l'Algérie, en 1845."
Bonjour @jmblanquer Une école maternelle à #Brest est baptisée du nom de Thomas #Bugeaud, général, « enfumeur » de femmes, d’enfants et de vieillards lors de la conquête de l’Algérie, en 1845. Scolariser des enfants sous le parrainage d’un massacreur? Étonnant, non?
— jean-michel aphatie (@jmaphatie) June 15, 2020
Faut-il débaptiser cette école au nom controversé ? Le débat est relancé.
Qui était Thomas Bugeaud ?
Dans les années 1830 et 1840, ce maréchal français a tué des centaines d'Algériens par "enfumade", une technique qui consistait à asphyxier des personnes réfugiées ou enfermées dans une grotte, et d'allumer des feux à l'entrée. Le militaire a aussi mené une politique dite de la "terre brûlée", incendiant les villages des combattants arabes pour les priver de leurs biens et les affamer.
Les parents ou grands-parents d'élèves scolarisés dans l'établissement ignoraient pour la plupart les méthodes guerrières de Thomas Bugeaud. Ils se disent surpris de toute cette agitation autour de l'école qui, à sa création en 1908, a tout simplement pris le nom de la rue dans laquelle elle se situe (baptisée elle, en 1869). Et ce, sans une dénomination officielle.
Les riverains plaident un changement de nom
Cette rue Bugeaud est très contestée depuis plusieurs années. Elle choque, même. En 1986, des riverains réunis sous le collectif "Les Amis de la place Guérin" ont écrit au maire de l'époque pour demander à ce qu'elle soit renommée "rue de la Bollardière", symboliquement au nom d'un militaire pacifiste de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie.
La requête est rejetée pour des raisons administratives, changer chaque adresse coûte trop cher, mais elle reste d'actualité.
"Même sous pression d'un certain nombre d'habitants, on n'arrive pas à changer des espaces qui représentent une forme d'agressivité, de violence, et ça c'est grave", déplore Claude Arnal, un habitant de la rue, passionné d'histoire.
Il faut que la ville évolue, s'adoucisse, qu'on apprenne d'autres moeurs que les moeurs guerrières. On a besoin pas simplement de regarder en arrière mais de regarder en avant : quelle vision du monde on propose à nos jeunes ?
Quant à l'école, ces riverains souhaiteraient la voir rebaptisée Kateb Yacine, en hommage à un poète algérien. Une décision qui doit être prise avec la Ville et validée par l'Éducation nationale.
"Ce n'est pas un combat d'historien, c'est une relation à sa ville : d'où l'on vient, où on est et ce qu'on veut y faire", répondra Claude Arnal, sourire aux lèvres, à ses opposants.
Pour l'Histoire ?
Il n'est pas question de défendre de l'action du maréchal Bugeaud. Simplement une volonté de préserver l'Histoire. Bertrand n'est pas favorable à la débaptisation de l'école de son petit-fils.
"Je savais que ce n'était pas un homme tendre, mais comme plein de gens sur notre territoire. Il faut qu'on arrête de juger ce qu'il s'est passé il y a un ou trois siècles avec nos yeux et notre civilisation d'aujourd'hui", tonne-t-il.
L'histoire, c'est l'histoire, on ne la refait pas. Il faut l'admettre telle qu'elle est et c'est comme ça qu'on bâtit ses racines.
Un avis que partage Alain Boulaire, historien brestois. Pour lui cela conduirait à renommer une grande majorité de lieux et nier une partie de l'histoire.
"Il y a des gens qui ont une hostilité farouche à De Gaulle, il y a des gens qui ont une hostilité farouche à Mitterrand, alors pour moi, lorsque le choix d'un nom est guidé par une préoccupation idéalogique, à chaque fois on tombe à côté. Personne n'est tout blanc. Ou alors on appellerait toutes les rues Abbé Pierre ou Mère Teresa. Il faut faire attention à ne pas réécrire l'histoire et à bien tenir compte du contexte."
Il milite pour que chaque nom de rue soit accompagnée d'une plaque explicative, comme pour les statues. "Sinon pour moi c'est la porte ouverte à des risques d'abus."
Débaptiser, dans le sillage du mouvement anti-raciste
Il n'y a pas qu'à Brest que le nom de Bugeaud dérange. Il n'est pas non plus le seul visé. Partout en France, des lieux nommés en l'honneur de personnages au passées esclavagistes sont fortement critiquées tous comme leur statue. C'est le cas par exemple de Jean-Baptiste Colbert dont la statue figure devant l'Assemblée nationale. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, ou encore en Belgique, certaines statues ont été déboulonnées.
Ces actions, menées dans le sillage de la lutte contre le racisme à travers le monde, a pris de l'ampleur suite à la mort de George Floyd, un homme noir américain tué fin mai sous le genou d'un policier blanc.
Dans son allocution télévisée, dimanche 14 juin, Emmanuel Macron s'est montré ferme : "La République n'effacera aucun nom, aucune trace de son histoire. La République ne déboulonnera aucune statue. Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, toutes nos mémoires (...) avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou nier ce que nous sommes."