Des navires bariolés d'étranges fresques leur donnant des airs d'arlequins ou de zèbres le Musée national de la Marine de Brest présente une rare exposition sur le "Razzle Dazzle" une technique de camouflage utilisée pendant la Grande Guerre (1914-1918).
Tout est une question d'illusion. Pendant la Première guerre mondiale, une technique appelé Dazzle painting est utilisée sur les navires militaires. S'inspirant du cubisme, elle a été imaginée en 1917 par des peintres mobilisés aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne, et notamment par le
Britannique Norman Wilkinson. L'objectif était de tromper les sous-marins allemands en créant de faux effets de perspective. Le Musée national de la Marine de Brest présente une exposition dédiée jusqu'au 31 décembre 2018.
Flouer l'ennemi
Il ne s'agissait pas ainsi de tenter de masquer les navires, mais plutôt de rendre plus difficile le calcul de leur cap et de leur vitesse des données nécessaires pour déterminer l'endroit où faire feu, ainsi que de cacher certaines parties sensibles, comme la passerelle ou la salle radio. Et ce, alors que les sous-marins à l'époque étaient contraints de remonter à la surface pour obtenir ces informations, mais sans trop s'y attarder au risque de se faire repérer.
Contrairement au camouflage terrestre, né en France en 1915, "il ne s'agit pas de cacher le navire, mais de le repeindre de motifs géométriques qui vont perturber la vision qu'on en donne et donc la perception que pourrait en avoir un assaillant", explique à l'AFP Jean-Yves Besselièvre, commissaire de l'exposition et administrateur du musée installé dans l'enceinte du château de Brest.
En novembre 1917, les premiers convois de troupes américaines débarquent à Brest. Ils seront plus de 100.000 soldats à débarquer dans la cité du Ponant à bord d'étranges navires comme le Mauritania, l'Olympic ou le Leviathan, conçu pour transporter 3.600 passagers, mais qui en acheminera jusqu'à 14.000.
Technique proche du trompe-l'oeil
Au total, quelque 4.000 bateaux ont été ornés à cette époque de triangles, zébrures ou zigzags aux couleurs contrastées et vives. Plus aucun de ces navires n'est désormais visible. La technique du Razzle Dazzle, proche du trompe-l'oeil, sera reprise par les Américains pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par d'autres pays, dont le Japon, bien que de manière partielle.
Après avoir disparu avec l'arrivée du sonar puis du radar, cette technique de maquillage revient aujourd'hui sur un certain nombre de bâtiments de guerre, notamment dans les marines américaine, suédoise et finlandaise, afin de perturber en particulier la vision des navires par rapport au trait de côte.
Une exposition exceptionnelle
Parallèlement, les motifs Razzle Dazzle (tape-à-l'oeil, en français) ont toujours été présents dans l'art, le design ou le prêt-à-porter, ainsi que le montrent les objets présentés à Brest, comme des baskets zébrées d'une célèbre marque de chaussures ou une planche de surf, elle aussi striée de noir et blanc. "Le motif du Razzle Dazzle, que l'on connait tous finalement sans forcément en connaître l'origine, a perduré dans les arts, la mode ou le design", souligne Jean-Yves Besselièvre. L'exposition "Razzle Dazzle, l'art contre-attaque!" présente sur 220 m² une centaine d'oeuvres originales, dont des planches, maquettes et peintures représentant ces étranges navires.
Maquette au 1/18e
Parmi les oeuvres également présentées, une maquette au 1/18e du dispositif inventé par le Français Pierre Gatier afin de tester l'efficacité des camouflages imaginés : placé sur un plateau tournant, un petit modèle bariolé peut être observé au moyen d'un périscope sur différents fonds représentant différentes conditions météorologiques.
L'exposition, dont la scénographie a été confiée au collectif de plasticiens brestois XYZ, propose d'ailleurs d'en faire l'expérience soi-même. Elle présente également différents supports permettant d'appréhender les illusions d'optique et montrant la facilité avec laquelle il est possible de tromper notre perception. "Le sujet du Razzle Dazzle a été traité en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Canada par le biais d'expositions et de publications, mais en France il n'a jamais été traité en tant que tel", souligne le commissaire de l'exposition.