Fin de vie. "Prendre soin du temps qu'il reste". Dans une unité de soins palliatifs près de Brest, la vie jusqu'au bout

Ce 13 septembre, le comité d'éthique a rendu un avis qui ouvre la voie à une aide active à mourir, à condition qu'elle soit encadrée. Dans le même temps, Emmanuel Macron annonce le lancement d'une consultation citoyenne sur la fin de vie. Le Finistère compte trois unités de soins palliatifs, dont celle de Guilers qui nous ouvre ses portes. Reportage dans un service qui accompagne la vie. Jusqu'au bout. (Article initialement publié le 20 mars 2022)

Sur un tableau blanc, écrits au feutre, ces quelques mots : "merci de l’aider à regarder le foot sur sa tablette". Dans son lit, l’homme a les yeux fermés. La porte de la chambre s’ouvre en douceur. Véronique entre à pas feutrés, murmure un "bonjour" et pose, sur une petite table, quelques flacons d’huiles essentielles.

L’infirmière de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Brest est formée à l’aromathérapie et à la réflexologie. "Je vais vous masser tout d’abord les mains, puis les pieds" glisse-t-elle à l’homme qui acquiesce et se détend. "Au début, ça fait mal mais après, ça calme ma douleur" répond-il.  

Humanité  

La porte s’ouvre à nouveau. "Oh mon papa, tu m’as manqué". Un sourire accueille la jeune femme brune qui arrive de Rennes où elle est étudiante. Elle vient rendre visite à son père chaque semaine. Ils s’embrassent, elle pose sa tête sur son épaule, lui caresse les cheveux. "Dans ce service, constate-t-elle, l’écoute est immense. Il y a de la bienveillance, je le vois avec mon père. Il est entre de bonnes mains".

  

"Etre là au bon moment". Ce pourrait être le mantra de cette unité de soins palliatifs de dix lits, installée au deuxième étage du centre de soins et de réadaptation de Guilers.
A l’entrée, on remarque le vase et les fleurs, des tableaux accrochés aux murs, un livre d’or où se mêlent la peine face à la mort d’un proche et la gratitude envers les soignants. "Un grand merci pour votre humanité. Beaucoup de souffrance a été épargnée à notre maman" est-il noté à la bille bleue.

"Un jour après l'autre"

Un peu plus loin dans le couloir, une radio, près du bureau des infirmières, laisse filtrer un air connu. Dans le salon réservé aux familles, Claude est assise sur un canapé confortable, un gobelet de café dans une main.

Elle s’accorde un moment, à l’écart de la chambre où son mari, Dominique, est assoupi. Il souffre d’un double cancer du foie et de la prostate. "On a arrêté les traitements, cela ne sert plus à rien, c'est fini, confie Claude. On sait que ce n'est pas la peine de rêver, lui le sait, je le sais, nos enfants le savent".

Dominique a été admis dans l’unité quelques jours avant. En pleine nuit. « Il n’était pas bien, raconte-t-elle, alors je l’ai emmené aux urgences de la Cavale Blanche et, vu son état, ils ont préféré le transférer tout de suite à Guilers ».  

Il n’est pas simplement considéré comme le malade de la chambre 257, il n’est pas qu’un diagnostic. Il y a une présence attentive des soignants

Claude

Claude évoque l’accueil sur place, se souvient de l'infirmière qui lui demande "vous avez faim ? Vous voulez une tisane ?" tandis que Dominique est pris en charge. "J’étais complètement déboussolée, relate-t-elle, il était 2 h du matin, je ne savais plus où j’étais". Un lit lui est même proposé dans la chambre de son mari. "Je sais que je peux dormir avec lui si je veux. Et puis, il n’est pas simplement considéré comme le malade de la chambre 257, il n’est pas qu’un diagnostic. Il y a une présence attentive des soignants".  

Guilers, plutôt que la maison, pour partager cette fin de vie. Le choix leur a été laissé. "Nous y avons réfléchi, nous en avons discuté, dit Claude. Le savoir dans cette unité me tranquillise. Lui s'y sent bien et moi je suis rassurée"
Les enfants ne sont pas loin. Les amis non plus. Même ceux de l'Est de la France, d'où le couple est originaire, ont fait le voyage jusqu'en Bretagne. Les heures de visite ne sont pas limitées. "Mon mari n'est pas seul et ça, c'est important. Il faut que ses dernières semaines soient festives"

Claude sait aussi que, si elle a besoin de parler, médecins et infirmières de l’unité seront là pour écouter son désarroi et sa tristesse face à l’inéluctable. "Le rythme, dans ce service, n’est pas celui d’un hôpital, il est différent. Le temps ici ne s’arrête pas mais il se conjugue uniquement au présent. Un jour après l’autre. Pour moi, ce qui compte, c’est que les derniers instants de mon mari soient apaisés et qu’il ne souffre pas".    

"Le bout du bout"

Dans une chambre voisine, Alain observe le parc en contrebas depuis sa fenêtre. L’homme, âgé de 70 ans, est atteint d’une leucémie. Il a intégré l’unité de soins palliatifs depuis quinze jours. "On se doute que lorsque l’on arrive ici, c’est un peu le bout du bout" lâche-t-il avant de se reprendre et d'annoncer que son projet, "c’est de rentrer à la maison, requinqué".

Alain est heureux de dire qu’il est à nouveau capable de marcher un peu. "Je suis même allé au restaurant avec ma famille l’autre jour, un restaurant face à la mer. La mer et les livres, ils me sont indispensables ».
La maladie s’est emparée "brutalement" de son corps et a été découverte lors d’un examen de routine l’été dernier. Elle amène "des hauts et des bas. Parfois, c'est la tristesse qui domine" ajoute le septuagénaire.
A Guilers, il aime "l’ambiance familiale, c’est pas l’usine comme à l’hôpital Morvan, sourit-il. C’est plus calme et le personnel est aux petits soins. Pour reprendre des forces, c’est idéal".  

Derrière le ‘j’ai envie de guérir’, il faut entendre ‘je ne veux pas mourir’

Dr Véronique Bellein

Médecin de l'unité de soins palliatifs

La médecin responsable de l’unité de soins palliatifs (USP) remarque les mécanismes de défense, comme le déni, chez certains patients et leur famille. "Ils savent où ils se trouvent mais ne se l’avoueront pas, enfin pas tout de suite, déclare le docteur Véronique Bellein. Ils sont accrochés à l’idée de guérir. Derrière le ‘j’ai envie de guérir’, il faut entendre ‘je ne veux pas mourir’. Qui peut accepter que sa maladie est incurable ? Qui peut accepter sa fin de vie en toute sérénité ? C’est un long processus. Notre travail ne se résume pas à soulager la souffrance physique, il s’agit également de prendre en compte cette souffrance psychique".

"La qualité de vie"

Travailler dans un service de soins palliatifs, "c’est un choix volontaire" précise Pierrick Laot, cadre de santé et secrétaire de la Coordination bretonne de soins palliatifs. Lui-même a fait ce choix, il y a sept ans. A l’origine, il était infirmier en psychiatrie. "Ce qui m’accroche, c’est cette qualité de l’accompagnement, analyse-t-il. Les soins palliatifs traitent du temps qu’il reste à vivre et de ce que l’on va en faire. Nous, nous regardons ce temps et pas que la mort à venir".  

Outre des médecins, une quinzaine d’infirmières et aides-soignantes compose l’USP qui a été créée en 2003. On n’y ressent pas la hiérarchie qui régit habituellement un service hospitalier. "Chaque avis a autant d’importance qu’un autre, observe Pierrick, puisque l’on est dans une approche globale du malade. On n'est plus sur la question du guérir, on est dans soulager sa douleur et préserver son confort de vie".    

Des liens

Des rires fusent de la salle de pause. C’est l’heure du déjeuner pour l’équipe de jour. "Vous savez, c’est un peu les montagnes russes des émotions ici, souffle Céline. On passe de la joie à la tristesse, de la tristesse à la joie"

Céline est infirmière dans l'unité depuis onze ans. "Des liens se nouent avec les malades, on n'est pas dans le 'bonjour, au revoir' ni le 'faire vite'. On devine rien qu'à l'intonation de leur voix, l'expression sur leur visage, comment ils vont. On a aussi de beaux partages, plus joyeux, avec eux. Il y a même eu des mariages ici. On est dans la vie".

Autour de la table, chacun reconnaît qu’il existe "un confort de travail" au sein de l’USP. "On a le temps de prendre soin" glisse Mélanie. La conversation finit toutefois par mettre en lumière le manque d’effectif la nuit. "L’infirmière est seule et doit prioriser les urgences" affirment ces soignants. Alors qu’en journée, c’est en binôme qu’ils travaillent. "C’est paradoxal, en fait. Parce que de nuit comme de jour, être à deux permet de mieux évaluer les situations et de maintenir cette qualité d’accompagnement qui est l’essence même des soins palliatifs".  

Le temps "indéfini"

Même si l’horloge de la salle de pause n’est jamais à l’heure, le temps est une notion prégnante dans le service.
Le temps pour les malades, leurs proches, le temps des discussions à bâtons rompus entre collègues autour d’un café "pour s’épauler" et ce temps face à la vie qui s’effiloche.

Cette question "combien il me reste ?" qui revient sans cesse, "c'est la seule chose que l’on ne maîtrise pas" témoigne Céline. Du temps "indéfini". "Je suis incapable de dire combien de temps il reste quand un patient ou sa famille me le demande, confirme le docteur Bellein. Je réponds : ‘et vous, vous en pensez quoi ?’, ce qui nous permet de mesurer si les gens ont cheminé et comment. Cette mort leur appartient. Notre rôle à nous est de veiller à la dignité du malade et de soutenir son entourage".    

Dans le couloir, en cette fin d'après-midi, les familles se croisent. Se saluent. Avant de rejoindre les chambres. Derrière les portes closes, la vie, jusqu'à son dernier souffle.

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