C'est un jour clef dans l'affaire du Mediator. La décision du procès en appel sera connue ce mercredi 20 décembre pour le laboratoire Servier, jugé pour tromperie aggravée et homicides et blessures involontaires. Quels enseignements tirer de ce scandale sanitaire ? Entretien avec Irène Frachon, la pneumologue à l'origine des révélations sur le médicament.
Les milliers de victimes du Mediator, le médicament du groupe Servier à l'origine de graves lésions cardiaques, attendent ce jugement depuis des années. Le parquet général réclame au laboratoire le paiement de près de 200 millions d'euros.
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Le scandale a été révélé en 2010 par la pneumologue Irène Frachon. La spécialiste brestoise sera présente à l'audience à la cour d'appel de Paris ce mercredi 20 décembre. Elle livre son analyse sur ce que l'affaire nous a appris.
Quel enseignement tirez-vous de l'affaire ?
On pourrait penser que le monde médico-pharmaceutique est un sanctuaire, mais la délinquance y existe. L'affaire du Mediator est un cas d'école caricatural, qui montre l'impact des conflits d'intérêts sur les choix des médicaments, leurs remboursements et les stratégies thérapeutiques. Des décisions sont parfois prises contre l'intérêt de la santé publique. L'influence du laboratoire Servier sur le monde médical a ainsi rendu possible la commercialisation d'un produit très dangereux.
Les conflits d'intérêts existent toujours, et restent la norme, mais on peut en avoir connaissance.
Irène Frachon,pneumologue au CHU de Brest
La transparence s'est-elle améliorée depuis votre enquête ?
Des leçons réglementaires ont été tirées de l'affaire, il y a davantage de transparence, de contrôle d'indépendance des experts de l'Agence nationale de sécurité du médicament et de la Haute autorité de santé. Les conflits d'intérêts existent toujours et restent la norme dans le monde médico-pharmaceutique, mais on peut en avoir connaissance sur la base de données publique Transparences-santé. Les industriels doivent y signaler les avantages qu'ils offrent aux professionnels de santé et aux sociétés savantes. J'ai ainsi vérifié hier, avec consternation, que Servier reste le mécène de l'Académie nationale de médecine !
Faut-il surveiller la prescription de médicaments aux patients ?
Non, la liberté de prescription reste une prérogative très forte dans le monde médical français. J'y suis aussi attachée. Mais cette prescription est souvent influencée par le marketing des industriels.
Lorsque des industriels sont mis en cause pour avoir commis des fautes, ils attaquent au lieu de prendre leurs responsabilités.
Irène Frachon,pneumologue au CHU de Brest
Observez-vous des points communs avec d'autres affaires ?
Nous échangeons des conseils régulièrement avec d'autres lanceurs d'alerte, dans différentes manifestations. Il y a une ressemblance inquiétante entre les affaires. Ce que l'on observe, qu'il s'agisse des victimes du Mediator, de la Dépakine ou de l'Androkur, c'est que lorsque des industriels sont mis en cause, pour avoir commis des fautes, ils attaquent au lieu de prendre leurs responsabilités ! Ils deviennent agresseurs envers les victimes, via des cabinets d'avocats. Ce n'est pas une spécificité de Servier, c'est une politique assumée par de grands laboratoires. C'est inadmissible.
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Qu'en pensent aujourd'hui les victimes ?
Je reçois de très nombreux messages de patients et de victimes. Je suis en lien avec des centaines de victimes et j'ai conseillé des associations et des avocats. Tous attendent une parole de justice pour ce crime hors norme. Les victimes se comptent en milliers de morts.
Vous ne semblez pas très optimiste pour le jugement ?
Depuis 15 ans, je trouve que la Justice est extrêmement frileuse dans cette affaire. La décision de première instance a été décevante, Servier a été relaxé de l'escroquerie. Il faut que chaque laboratoire entende ce message : la tentation de tromper peut-être sévèrement punie ! Des sanctions économiques peuvent tomber et les responsables être condamnés à de la prison. J'espère une mise en garde pour les industriels, un signal très fort.
Rappel des 10 dates clefs du scandale
- 1976. Le Mediator est mis sur le marché. Ce médicament est indiqué dans le traitement d'un diabète, pour les personnes en surpoids. Il est ensuite prescrit comme coupe-faim.
- 1999. Une personne prenant du Mediator souffre d'une lésion cardiaque.
- 2007. L'Agence de sécurité sanitaire (AFSSAPS) recommande de ne plus le
prescrire comme coupe-faim. - 2007. Irène Frachon commence ses recherches sur les effets dangereux du Mediator.
- 2009. Le Mediator est retiré du marché en France.
- 2010. Irène Frachon publie son enquête "Mediator 150 mg, combien de morts ?"
- 2011. Ouverture d'informations judiciaires pour tromperie aggravée, prise illégale d'intérêt et homicides involontaires. Jacques Servier est mis en examen.
- 2019. Premier procès. Le groupe Servier est condamné à une amende de 2,7 millions d'euros pour tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires. Il fait appel. L'ANSM (ex AFSSAPS) est condamnée.
- Janvier-juin 2023. Procès en appel contre le groupe Servier.
- 20 décembre 2023. Jugement.