Publié le •Mis à jour le
Sophie a pris du Mediator pendant neuf ans. Neuf ans à s'essouffler sans comprendre ce qui lui arrivait, elle, une sportive accomplie. Aujourd'hui, elle dit survivre, toujours touchée par les conséquences des interventions chirurgicales. "Ce n'est jamais fini."
"J'ai pris du Mediator pendant neuf ans" raconte Sophie (prénom d'emprunt). Le médicament entre dans sa vie, prescrit par un endocrinologue, après l'ablation de sa thyroïde. Trois cachets par jour. "Je supportais très bien" dit-elle. Mais peu à peu, cette sportive se trouve bien essouflée.Elle consulte et reçoit un traitement pour de l'asthme. Les symptômes persistent. Le pneumologue ne comprend pas bien : il a donné un traitement de fond. Sophie change de sport, quelque chose de "plus calme". En vain. Elle décide alors d'aller voir un cardiologue. Celui-ci décèle une fuite aortique mais l'affaire "traîne trois ans".
Sophie sent qu'elle ne va pas bien "je ne pouvais même plus monter des escaliers, j'avais mal à la poitrine".
"Ne prenez pas votre dernière boîte"
En 2009, son état s'aggrave. La même année où le Mediator est interdit. Le médecin traitant de Sophie lui somme d'arrêter de prendre le médicament "il est tout de suite venu me voir et m'a dit de ne pas prendre ma dernière boîte."
Une nuit, elle a une crise de douleur, dans la poitrine. "J'étais toute seule, j'avais peur de mourir." Elle consulte à nouveau, à l'hôpital. Elle y fait un test d'effort. "Je n'ai pas tenu une minute" Le cardiologue qu'elle rencontre lui lâche, surpris : "merde, vous avez deux valves aortiques de fichues." Elle subit des examens complémentaires, très invasifs. Alors que le médecin tablait sur une intervention à coeur ouvert dans un délai de deux mois, il annonce que ce sera sous quinze jours.
"Je ne me suis pas réveillée" dit Sophie. Elle tombe en effet dans le coma et y reste trois semaines. Elle est intubée. Le cartilage de sa trachée, fragile, ne tient plus. "Il était mou, il se fermait." Elle fait à nouveaux trois arrêts cardiaques, dont un où elle se sent vraiment partir. Elle aura une canule pour respirer, pendant dix neuf mois. "C'est mon plus mauvais souvenir je crois."
Sophie porte depuis un pacemaker. En octobre prochain, elle subira sa 32ème intervention chirurgicale. Les nombreuses opérations ont affecté son larynx et ses cordes vocales. Elle chuchote presque désormais. "Pour mon coeur, on ne peut plus rien" lance-t-elle. "Les suites du Mediator ça ne s'arrête jamais."
Pendant les sales périodes, Sophie écrit beaucoup, souvent la nuit, synonyme d'angoisses "J'écrivais : 'demain va sûrement être une journée difficile'. Je m'encourageais" confie-t-elle. Elle sera accompagnée deux ans par un psychologue.
Ce sont eux qui m'ont empoisonnée
"Le plus dur, c'est l'humiliation que l'on subit, personne ne nous croit"
Du procès, Sophie dit ne pas en attendre grand chose mais lance : "il faut se battre jusqu'au bout". Elle relève la difficulté de se faire entendre. "J'avais fait un test d'effort pour un certificat médical quand j'étais sportive. J'ai pu apporter la preuve qu'avant le Mediator je n'étais pas cardiaque. J'ai gagné quelque part, d'avoir prouvé cela."
Le quotidien de cette septuagénaire est désormais rythmé par les consultations et des activités calmes comme le bridge. "Je dirais que je survis". "J'ai quelqu'un qui vient m'aider chez moi, ce que j'ai du mal à accepter." Elle a toujours le souffle court.
Le procès du Mediator doit normalement s'ouvrir le 23 septembre, devant le tribunal de Paris. Il pourrait être reporté. En cause, les questions que pourraient poser aux juges les laboratoires Servier. Sophie ne se leurre pas "ils ont tout utilisé pour repousser le procès."