Mauvais traitements dans les élevages. Pour la procureur de Brest, ce n’est ni tout blanc, ni tout noir

Sur les images diffusées par l’association L 214, en octobre 2019, on voit des veaux malmenés à coups de pieds et de poings, des animaux dans des cases souillées de déjections. Ce 1er avril, le parquet de Brest a requis jusqu’à 50 000 euros d’amendes à l'encontre de trois sociétés de la filière veau du Finistère. Le parquet demande également la condamnation de L 214 à une amende de 10 000 euros pour s’être introduit dans les élevages et avoir diffusé les vidéos.

Un coup de pied dans la tête des animaux, un animal maintenu par le coup pour le forcer à boire. Comme à l'accoutumée, les images publiées en ce mois d'octobre 2019 par L214 sont choquantes. 

Ce 1er avril 2022, l'association et les élevages mis en cause étaient convoqués devant le tribunal de Brest. 

"Le problème c’est que l'association voudrait une autre société. C’est un combat tout à fait respectable, mais qui n’a pas sa place dans un prétoire commence Christian Bergot, défenseur d’un des élevages mis en cause. Le tribunal est là pour dire le droit, pour dire si une infraction a été commise ou pas, mais il n’est pas là pour changer le mode de société. "

Reconnaissant la difficulté "d'éviter un débat de société" dans cette affaire, la procureure de la République de Brest Isabelle Johanny a rappelé que la filière veau existait "parce qu'il y a une demande".

Des images choc

L’association L 214 a mené son enquête sur les veaux dans le Finistère de juillet à octobre 2019. Sébastien Arsac, co –fondateur et directeur des enquêtes L 214 explique : "Pour nous, ce qui est important c’est de montrer comment sont élevés et transportés les animaux. Si personne ne tourne les images, détaille Sébastien Arsac, nous avons une image complètement tronquée de la réalité."

"Pour nous, c’est compliqué de travailler, nous n’avons pas accès à ces lieux, il faut qu’on trouve des moyens pour y entrer. Ce moyen, en l’occurrence, ce sont des gens qui travaillent dans la filière qui ont été choqués. Ils ont collecté ces images et nous les ont fournies. Nous avons vérifié, comparé la situation avec la réglementation et nous les avons diffusées. Ensuite, c’est à chacun, en son âme et conscience de se faire une opinion sur les conditions d’élevage de ces animaux."

Le directeur des enquêtes évoque un "travail d’intérêt général" effectué par l’association. "Si on n’a pas ces photos, nous n’avons que les communiqués de grands groupes agro industriels qui font plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaire et qui maîtrisent totalement leur communication. Pour nous, les dés sont pipés dès le départ et il faut qu’il y ait des lanceurs d’alerte qui aient le courage de collecter ces vidéos très représentatives de ce qui se passe tous les jours."

Des images manipulées ? 

"La fin ne justifie jamais les moyens", répond Dominique Leyer, avocat d’un agriculteur. "Les conditions d’élevage sont encadrées par la législation européenne qui fixe des normes que mon client respecte scrupuleusement. Il fait l’objet de contrôles réguliers de la part des services de l’état et jamais il n’a été sanctionné pour un comportement inadapté vis-à-vis de ses animaux."

Valérie Le Gall, éleveuse s’agace : "Sur les 432 veaux présents dans l’exploitation,  il y en avait un qui avait de l’arthrite, il est arrivé comme cela, on le soignait. Quand ils sont entrés dans l’élevage, ils n’ont filmé que lui et dans la case voisine, ils ont filmé une lame de caillebotis qui était cassée. Elle ne l’était pas le soir, et elle a été changée le lendemain."

Elle accuse l'association de manipuler les images, "ils ont dit que nos veaux n’avaient pas d’eau, ils en ont, qu’ils n’avaient pas la lumière du jour, ils l’ont. Ils veulent dénoncer un système, nous on élève des veaux, c’est notre métier. On ne peut pas mal les traiter, c’est notre revenu."

Le bien-être animal en question

"Les élevages sont soumis à des contraintes économiques et leur intérêt économique c’est aussi le bien-être animal parce qu’un animal qui vit bien qui n’est pas stressé prend davantage de poids qu’un animal qui est mal élevé" confirme maitre Leyer.  

"L214 a un objectif louable mais peut être une vision de l’activité de l’élevage qui n’est pas correcte. Un élevage de veaux, ça se passe dans un élevage et pas sur le carrelage d’une maison. On ne nettoie pas les caillebotis comme le carrelage de son domicile ! Il est normal qu’il y ait des déjections, en quantité limitée, précise l’avocat, il y a des normes, mais il ne faut pas tout confondre."

"Il est important de réprimer les éleveurs qui se comportent mal, mais venir dire que les conditions d’élevage ne sont pas normales chez mon client, cela me parait excessif."  

"L’association dénonce des pratiques, pas des personnes en particulier" plaide Hélène Thouy, avocate de Sébastien Arsac et de L 214. "L’objectif de l’association c’est d’interroger notre rapport aux animaux et la façon dont on les traite dans ces élevages. La qualité d’être vivant doté de sensibilité est complètement niée et les seuls objectifs qui vaillent, ce sont les critères économiques et de rentabilité qui justifient toutes les règles de production."

"Il faut qu'il y ait quelques fois des gens qui donnent des coups de pieds dans la fourmilière pour que les choses bougent" admet la procureur de la République. Avant de tempérer, de chaque côté, "c'est ni tout blanc ni tout noir !"

Des amendes requises pour les deux parties 

Le parquet a requis à l'encontre de Sébastien Arsac, directeur des enquêtes de L214, poursuivi pour "violation de domicile" et "atteinte à l'intimité de la vie privée", une amende de 3.000 euros, et 10.000 euros à l'encontre de l'association qu'il a cofondée pour avoir diffusé la vidéo.  

A l'encontre du centre de tri de veaux, la représentante du ministère public a requis une amende de 50.000 euros, estimant qu'elle ne pouvait "pas ne pas savoir" que les animaux étaient victimes de mauvais traitements et 750 euros d’amende contre le salarié filmé en train de donner des coups de pied à un veau.

A l'encontre des  deux élevages dont les représentants ne reconnaissent pas  les faits, le parquet a requis pour chacun une amende de 20.000 euros, dont 10.000 avec sursis.  

Le délibéré sera rendu le 3 juin.      

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