Le scandale du lait contaminé en Chine avait ouvert un boulevard aux producteurs de lait infantile français, jugé rassurant par les consommateurs chinois. Mais pour la première fois en 2020, leurs ventes ont reculé en Chine. Il y a moins de bébés et plus de laits chinois.
Le géant de l'agroalimentaire Nestlé l'a reconnu lors de la publication de ses résultats annuels fin février. Sa division "nutrition infantile", l'une de ses principales activités, a connu une évolution de ses ventes "légèrement négative", d'après le directeur financier François-Xavier Roger. Cela reflète, selon lui, la baisse du chiffre d'affaires de la gamme dédiée à la Chine, Wyeth China Infant Formula.
Idem pour son concurrent français Danone qui a aussi vu ses ventes décliner sur ce terrain. L'ex-patron du groupe Emmanuel Faber l'expliquait par la baisse de la natalité en Chine - qu'il imaginait voir repartir après la crise du Covid-19 - mais aussi par une concurrence locale accrue.
Pour la première fois en 2020, "les importations de lait infantile chinoise ont baissé de 3%, selon les douanes chinoises", explique à l'AFP Jean-Marc Chaumet de l'Institut de l'élevage, un centre de recherche français spécialisé dans l'agriculture. "Avant 2020, ça progressait de manière régulière, à un rythme un peu moins élevé d'année en année mais ça progressait toujours", souligne-t-il.
Premier importateur mondial
La Chine importait effectivement du lait infantile à tour de bras et notamment des usines de Bretagne. L'Empire du milieu en est même devenu en 2011 le premier importateur mondial, trois ans après le scandale du lait contaminé qui avait éclaté en 2008. "C'est un scandale qui a fortement marqué le secteur laitier chinois. Pendant 10 ans, la croissance de la production laitière en Chine a été stoppée. Et depuis, les importations de lait et notamment les produits de lait infantile ont envahi le marché chinois", analyse M. Chaumet.
Résultat, la France et la Bretagne ont investi pour occuper ce marché. En Bretagne, entre 2014 et aujourd’hui, trois tours de séchage ont été construites dans la région, à Carhaix (Synutra), Créhen (Laïta) et Landivisiau (Sill). Pas étonnant car la Bretagne est la première région française pour la production laitière avec 12 900 élevages laitiers et en 2019, 54,4 millions d’hectolitres récoltés, selon la Chambre d'agriculture de Bretagne, soit 23 % du volume national.
Mais la filière a été vite ébranlée. Une première fois à l'été 2018, quand la coopérative bretonne Sodiaal a repris une partie du site Synutra de Carhaix, construit par le groupe chinois. Une autre fois par le problème du lait infantile contaminé à la salmonelle de Lactalis.
Comment expliquer ce coup de frein récent porté aux importations?
Premier élément de réponse: la pandémie de Covid-19 a ralenti les chaînes logistiques et provoqué des pénuries d'approvisionnement, souligne une étude de Dongguan Securities. Elle a aussi engendré, selon l'étude, des inquiétudes chez les consommateurs quant à la sécurité du lait en poudre importé. La baisse de la natalité semble également avoir changé la donne. La Chine a comptabilisé 14,5 millions de naissances en 2019, contre 18 millions en 2016.
"A chaque crise, il y a une baisse de la natalité, ce qui est le cas d'abord en Chine", relève Laurent Grandet, analyste chez Guggenheim Securities. Un "vent contraire" pour le commerce de lait infantile, soulève le spécialiste, qui juge que les effets se feront sentir "surtout (...) dans l'année qui vient".
En parallèle, Pékin souhaite augmenter la production de lait en Chine. L'objectif est de faire monter la part de la production locale à 60 % des ventes des poudres de laits infantiles dans le pays. Le leader national Feihe a ainsi vu sa part de marché croître de façon rapide ces dernières années. En 2019, elle est devenue la deuxième marque de lait en poudre en Chine, avec 13,3% du marché contre 13,5% pour Nestlé, selon Dongguan Securities.
2021 signe-t-il la fin de l'eldorado pour les entreprises étrangères?
"Il y a un gros point d'interrogation pour l'avenir", juge l'expert. La Chine est un "marché plutôt difficile (...) mais il y a des perspectives" pour les acteurs étrangers "s'ils continuent à innover, devenir plus premium", estime pour sa part Laurent Grandet.
Selon Dongguan Securities, au cours des cinq dernières années, le taux de croissance du marché du lait en poudre haut de gamme a en effet été plus rapide que celui du lait en poudre ordinaire: sa part de marché est passée de 22% en 2014 à 38% en 2018. Et ce segment devrait continuer à être le moteur de croissance de l'ensemble de l'industrie du lait en poudre pour nourrissons.
En plus d'une montée en gamme, les exportateurs de lait infantile Bretons misent aussi sur d'autres pays, notamment au Moyen-Orient et en Afrique. Même si dans les pays en développement, les conséquences peuvent être dramatiques, selon certaines ONG, comme Action contre la faim, en raison de difficultés d’accès à une eau propre ou encore du manque d’hygiène des biberons.