La coopérative Sodiaal a annoncé mercredi "être entrée en discussion" avec le groupe chinois Synutra, pour étudier la reprise d'une
partie du site de Carhaix (Finistère).
Dans son communiqué, la coopérative laitière, la première de France, avance que "cette acquisition éventuelle lui permettrait d'accélérer son développement sur le marché porteur du lait infantile, en Chine et sur d'autres marchés mondiaux".
"Sodiaal, qui dispose d'une expertise avérée en matière de séchage du lait, se doterait ainsi d'une capacité de production supplémentaire", poursuit le texte.
"Quelle que soit la décision prise par le Conseil d'administration de Sodiaal, celle-ci aura pour objectif de valoriser dans la durée le lait des adhérents de la coopérative", conclut le communiqué.
Une usine chinoise en difficulté
La semaine dernière, la FRSEAO (Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles de l'Ouest) et la Confédération paysanne (CP) avaient exprimé leur inquiétude concernant l'usine de Carhaix du numéro trois de la nutrition infantile en Chine Synutra. Cette unité produit depuis deux ans de la poudre de lait infantile pour le marché chinois.La Confédération avait fait état de "saisies conservatoires" venant "d'être ordonnées à l'usine de Carhaix" en raison des impayés du groupe chinois envers Sodiaal. Elle évoquait une possible "reprise de parts sociales de l'usine" par la coopérative.
Très automatisée, l'usine Synutra de Carhaix, qui a nécessité un investissement de 170 millions d'euros, a constamment connu des difficultés de fonctionnement depuis son inauguration, en septembre 2016.
Inquiétude des éleveurs
Sodiaal devait initialement collecter chaque année quelque 288 millions de litres de lait auprès de 800 producteurs de la région pour alimenter cette usine. Selon la Confédération Paysanne, "il semblerait que les débouchés promis ne soient pas au rendez-vous et que la compétition commerciale sur le marché chinois soit plus rude que prévu. Synutra ne serait peut-être pas le géant salvateur tant loué par nos dirigeants agricoles."Selon le syndicat, seulement 350 producteurs trouvent débouché à Carhaix" actuellement. Ces producteurs de lait auraient ainsi "de nombreuses interrogations quant à la pertinence de cette reprise de l'usine" par Sodiaal. "Les éleveurs vont-ils devoir à nouveau, et au sens propre, payer les pots cassés ? Presque de dix années après les déboires d'Entremont Quimper (le prix du lait était descendu à 20 centimes/litre), les éleveurs bretons ne seront pas en mesure de supporter un nouvel épisode dramatique, ni une nouvelle faillite industrielle" avertit le syndicat agricole.
Pour la Coordination Rurale, "la situation est grave tant pour la coopérative qui, dans une impasse face au contrat non honoré par Synutra, est sur le point de racheter un outil de production sans débouchés pour recouvrer ses créances, que pour ses coopérateurs (prix du lait, parts sociales…), qui lui accordant, pour certains, toute confiance, ont notamment investi fortement pour alimenter cette usine".
Les raisons des difficultés de Synutra
Au-delà d'un problème de liquidités, les difficultés rencontrées à Carhaix par Synutra sont de plusieurs ordres, selon un responsable professionnel du secteur laitier contacté par l'AFP. "La technologie employée dans cette usine est récente, mise en pratique jusqu'à présent à une échelle plus modeste. On savait que le site était mal maîtrisé (...). Synutra, ce sont avant tout des commerçants, et pas des fabricants. Or, il est difficile de s'improviser dans un domaine aussi pointu" que le lait pour bébés qui "est un créneau porteur mais extrêmement exigeant qui s'apparente à la pharmacie", estime-t-il.De plus, "l'ambiance n'a pas toujours été au beau fixe" au sein de l'usine, et "la phase de rodage d'un tel équipement s'accomode mal d'un turn over important (...) Il a pu y avoir un déficit de compétences". "Finalement, Synutra a décidé de se recentrer sur son coeur de métier", commente-t-il.
"La coopérative Sodiaal sait ce qu'elle fait"
Selon des sources proches du dossier, la commercialisation en Chine de ce lait pour enfants n'aurait pas été non plus à la hauteur des attentes des investisseurs. Quant à Sodiaal, "techniquement, ils ont leur idée pour remettre ça en ordre de marche", poursuit ce responsable professionnel. "Contrairement à il y a une dizaine d'années", la coopérative "a la confiance des banques" et "si ça se concrétise, ça veut dire qu'elle a la garantie de débouchés". Enfin, Synutra/Carhaix "ne représente que 3% de la collecte de Sodiaal qui n'a pas tous ses oeufs dans le même panier", relativise-t-il.Avec un chiffre d'affaires de 5,1 milliards d'euros en 2017, en progression de 7% par rapport à 2016, Sodiaal est la troisième coopérative laitière européenne.
La coopérative française a présenté fin 2017 un plan ayant pour objectif de se hisser dans le top 5 des entreprises laitières européennes en terme de rentabilité.