"C'est un cri d'alarme". Accès aux soins : des maires bretons déboutés par le tribunal administratif

Le tribunal administratif de Rennes a suspendu ce vendredi, en référé, les arrêtés de plusieurs maires des Côtes d'Armor sommant l'État "d'agir pour la santé", sous peine d'une astreinte financière.

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Les 3 et 12 septembre, plusieurs maires des Côtes d'Armor avaient été convoqués au tribunal administratif de Rennes, saisi en référé par la Préfecture qui souhaitait faire annuler ces arrêtés. 
Dans sa décision transmise ce vendredi à l'AFP, le tribunal ordonne que "l'exécution" de l'arrêté "répondant aux troubles à l'ordre public suscités par une offre sanitaire manifestement insuffisante pour garantir l'égalité d'accès aux soins de ses administrés" soit "suspendue".
Le préfet des Côtes d'Armor, Stéphane Rouvé, a réagi dans un communiqué en rappelant que "les maires se sont engagés dans une démarche dont ils ne pouvaient ignorer que, sur le plan juridique, elle était illégale et serait contestée".

"Un geste ultime"

Dans les Côtes d'Armor, ce sont au total 55 communes qui avaient pris, depuis fin mai, le même arrêté contesté par la Préfecture, selon le décompte des services de Guingamp-Paimpol agglomération.
Ces arrêtés enjoignaient l'Etat d'agir pour la santé et de doter les hôpitaux publics du département en "personnels et en moyens", sous peine d'une astreinte de 1.000 euros par jour et par commune.

Le maire de Guinguamp, Philippe Le Goff, avait assumé avoir pris cet "arrêté provocateur", un "geste ultime" face à la surdité de l'Etat en matière d'accès aux soins sur le territoire.
"Les multiples réunions qu'on a pu avoir avec l'Etat soulignant la précarité médicale dans des territoires comme le nôtre n'ont pas abouti", avait ajouté le maire breton.

"C'est un gouffre, ce n'est plus supportable"

"C'est un gouffre. Ce n'est pas supportable pour les finances de la commune, on ne voit pas le bout", se désole Jean-Michel Ogès, adjoint au maire de Plourin-lès-Morlaix, commune de 4.500 habitants du Nord-Finistère, dont l'Ehpad de 60 lits a accusé un déficit de 90.000 euros en 2023.
"L'an dernier, on a augmenté le reste à charge de 1.800 à 2.000 euros par mois. C'est déjà un effort conséquent pour les familles. On ne peut pas toujours leur demander plus", ajoute l'élu, se disant "sans solution".
C'est cette impasse qui a poussé seize communes des Côtes-d'Armor et du Finistère, membres du collectif "Territoires en résistance pour le grand âge", à déposer vendredi des requêtes contre l'État au tribunal administratif de Rennes, réclamant "plus de 7 millions d'euros" d'indemnités au titre des obligations juridiques de la puissance publique. 

"Le préfet ne nie aucunement cette réalité"

"Comme dans d'autres départements, l'offre de soins et le contexte sanitaire dans les Côtes d'Armor ont évolué au cours des dernières années pour de multiples raisons, qui sont connues de tous les acteurs. Le préfet ne nie aucunement cette réalité ni les difficultés qui peuvent en résulter", a indiqué vendredi le préfet.
Le rapporteur public avait qualifié ces arrêtés d'"illégaux", considérant que les édiles étaient "allés au-delà de leur pouvoir de police".

"L'État nous fait les poches"

"Ces derniers jours, on a cru comprendre qu'un ministre disait que les collectivités étaient responsables du déficit public", a ironisé le maire de Plouha (Côtes d'Armor), Xavier Compain, à propos d'une déclaration du ministre de l'Économie Bruno Le Maire. 
"En tant que maire, je reformule: c'est l'État qui nous fait les poches et qui ne redistribue pas les financements publics que nous serions en droit d'attendre", a-t-il lancé.
Le financement des Établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) repose sur trois piliers : le résident pour la partie hébergement, le conseil départemental pour la partie dépendance et l'Agence régionale de santé pour la partie soins.

"Nous sommes arrivés au bout d'un modèle"

Mais les difficultés de recrutement du personnel, l'explosion des factures énergétiques et l'inflation de tous les postes de dépenses ont poussé le modèle au bord de l'asphyxie financière.
"Nous sommes arrivés au bout d'un modèle. Il faut trouver autre chose", a abondé Véronique Cadudal, vice-présidente (divers gauche) du conseil départemental des Côtes d'Armor, qui a assuré que sa collectivité ne pouvait pas "faire plus" pour aider les Ehpad.
Les départements bretons vont ainsi se joindre à la procédure en déposant des conclusions soutenant la démarche des communes.

"Cri d'alarme"

"C'est un cri d'alarme", a expliqué Maël de Calan, le président (divers droite) du département du Finistère. "On a fait des sacrifices extrêmement lourds sur nos propres budgets mais les sommes en jeu sont trop importantes. La solution ne peut venir que d'un financement structurel et durable", a-t-il ajouté, rappelant que la population des plus de 75 ans devait doubler d'ici à 2050 dans le Finistère.
"Si ça n'aboutit pas, on ira jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme", a même promis M. Even, jugeant "inhumain" ce qu'on "nous impose de faire par manque de financements".

"Nous refusons que le marché l'emporte sur l'humain"

Le mouvement "Territoires en résistance pour le grand âge" est né dans les Côtes d'Armor en mai 2023, quand plusieurs maires de communes rurales ont réalisé que leurs Ehpad rencontraient des difficultés similaires. Il a été rejoint par de nombreuses communes bretonnes, région dans laquelle 63% des Ehpad sont publics, 32% privés à but non lucratif et 5% commerciaux, selon l'Agence régionale de santé (ARS). 
"Nous refusons de laisser le marché lucratif mettre la main sur nos établissements. Nous refusons que le marché l'emporte sur l'humain", a expliqué M. Compain.
"Le mouvement a même commencé à prendre une ampleur nationale avec des adhésions de communes de l'Hérault, de Gironde, de Corrèze, et de la petite commune de Paris", a-t-il ajouté. 

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