"Je souhaite que mon corps retourne à la terre", en quoi consiste le compostage humain, ce rite funéraire qui pourrait arriver en France

Elle sera au cœur d'un groupe de travail cet été : l'humusation - qui consiste à laisser le corps se décomposer en humus - pourrait devenir une troisième forme de sépulture en France. Moins polluante, cette pratique n'est pour le moment autorisée que dans quelques États américains et expérimentée en Belgique.

"Je me suis toujours posé des questions sur le sens de la vie, cela m'a conduit à faire des recherches sur la mort, en particulier sur la mort du corps." Dans les Monts-d'Arrée, Joëlle Nicolas milite depuis près de 10 ans pour la légalisation d'une pratique funéraire qui peut sembler quelque peu déroutante : l'humusation. "Il s'agit de laisser le corps se décomposer comme n'importe quel autre organisme vivant, de façon totalement naturelle."

J'estime qu'il est normal de pouvoir disposer de son propre corps quand on s'en va

Joëlle Nicolas

Militante pour la légalisation de l'humusation

La Finistérienne a commencé à étudier le rôle de l'humus dans le cycle du vivant il y a 30 ans, au cours d'une formation à l'école d'agriculture biodynamique de Beaujeu dans le Beaujolais. "Aujourd'hui, j'estime qu'il est normal de pouvoir disposer de son propre corps quand on s'en va, dit-elle. Je souhaite que le mien retourne à la terre, naturellement."

Vers un débat en France

En France, la pratique est pourtant interdite. Les seules modes de sépultures autorisées sont la crémation et l'inhumation, des pratiques polluantes. C'est ce que dénonçaient déjà plusieurs députés il y a un an en déposant une proposition de loi pour expérimenter l'humusation. "La crémation dégage près de 3 % des émissions annuelles de CO2 d'un citoyen, l'inhumation quatre fois plus" constatent-ils dans ce texte.

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La loi n'a jamais été votée, mais les députés semblent avoir été entendus. Le gouvernement s'y est engagé devant le Sénat la semaine dernière : d'ici l'été prochain, un groupe de travail sous l'égide du Conseil d'État devrait s'emparer de cette question.

"On est content que le débat s'ouvre !" s'enthousiasme Isabelle Georges, présidente de la Coopérative funéraire de Rennes, une entreprise de pompes funèbres appartenant à près de 470 familles copropriétaires. "Les pratiques funéraires sont souvent assez peu interrogées ou souvent entre initiés. C'est très bien que les parlementaires en débattent. On espère qu'ils se mettront aussi à la place des familles."

Cela va soulever plein de questionnements, comme au moment de la légalisation de la crémation : que fait-on des restes des dépouilles ? Quel sera leur statut juridique ? Quelle est la place des familles ?"

Isabelle Georges

Présidente de la Coopérative funéraire de Rennes

La crémation est autorisée en France depuis la loi du 15 novembre 1887 relative à la liberté des funérailles et le décret du 27 avril 1889 relatif à l'incinération.

Outre la pollution qu'elle génère, l'inhumation, elle, pose aussi un autre problème : elle ne permet pas toujours une dégradation correcte des dépouilles. "Avec la peur de la mort, on cherche à conserver les corps en utilisant des soins à base de formol, explique Joëlle Nicolas. On place les dépouilles dans des caveaux en béton. Alors, aujourd'hui, les corps ne se décomposent plus, se désole la militante. Nos cimetières sont pleins de dépouilles en état de putréfaction et non de décomposition."

Miser sur l'humusation 

Un constat partagé par Delphine Chenuet. Cette ancienne designeuse est la cofondatrice de Coeo, une jeune start-up destinée à aider les collectivités à trouver de nouvelles solutions de sépultures. "En France, souligne-t-elle, les durées de concession sont censées être suffisamment longues pour qu'à la fin, les corps aient disparu. À ce moment, on est supposé sortir le cercueil et les os, qui sont ensuite rassemblés dans des ossuaires. Mais aujourd'hui, en particulier en ville, on a des fins de concessions où les dépouilles ne sont pas du tout dégradées, note-t-elle. C'est un vrai problème pour les collectivités."

Pour aider les collectivités, avec son associée, cette entrepreneuse mise sur l'humusation. En attendant une éventuelle légalisation de cette pratique en France, les deux quadragénaires ont pris la direction des États-Unis, où cinq États ont été les premiers à l'autoriser.

L'humusation, c'est comme un compost

Delphine Chenuet

Cofondatrice de Coeo

Elles y ont visité les infrastructures de trois opérateurs différents. L'humusation y est réalisée en milieu contrôlé, sous quatre à douze semaines. "Il s'agit d'unités dans lesquelles on va insérer la dépouille avec des feuilles, des copeaux de bois et du liquide sous des conditions précises de température et d'humidité, relate Delphine Chenuet. C'est comme un compost. "

L'ensemble du dispositif est soumis à de lents et réguliers mouvements de rotation afin que la décomposition puisse se réaliser correctement. À la fin du processus, l'humus produit est remis aux familles. "Aux États-Unis, la seule interdiction concerne la revente de cet humus, témoigne la cofondatrice de Coeo. La plupart du temps, les familles le répandent, y plantent un arbre ou en font don à des parcs naturels."

Un processus de deuil "plus doux"

Outre l'aspect écologique, les deux entrepreneuses y voient aussi un processus de deuil plus doux pour les familles. "Lors d'une inhumation, on pose une pierre tombale et c'est terminé, alors qu'on est sur les premiers jours du deuil. La séparation est brutale." Et d'ajouter : "pour ceux qui restent, on estime que c'est une approche moins brutale que l'inhumation ou la crémation. L'humusation nous semble plus en adéquation avec l'état de deuil."

Aux États-Unis, certains humusariums sont ainsi ouverts aux familles qui peuvent visiter régulièrement le défunt.

À l’encontre des rites funéraires occidentaux

Écrivain et spécialiste des rites funéraires en Bretagne, Bernard Rio se dit dubitatif face à ce nouveau mode de sépulture. Il estime que cette pratique va à l'encontre des traditions funéraires occidentales. "Auparavant, le corps était exposé au domicile du défunt, après une cérémonie funèbre, mais il était ensuite inhumé, indique-t-il. Les morts rejoignaient les morts et les vivants se retrouvaient au cours d'un hommage bien vivant, souvent un repas au cours duquel le rire permettait de reprendre le dessus sur la tristesse. Ce qui change vraiment, c'est l'exposition du corps."

Joëlle Nicolas, elle, aspire à pouvoir user de la méthode belge : elle consiste à envelopper le corps du défunt dans un linceul en fibre naturelle puis à le recouvrir d'une couche végétale. Grâce aux microorganismes de l'environnement, la dépouille doit être dégradée en quelques mois. Une méthode en milieu naturel que promeuvent plusieurs associations et testée à deux reprises sur des cadavres de porcs par l'université catholique de Louvain en Belgique. Mais les résultats sont encore trop peu concluants : selon les chercheurs, "les carcasses mettent beaucoup plus de temps que prévu à se décomposer et produisent des composés tel que du savon imputrescible et de l’ammoniaque."

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