Une partie des nombreuses victimes du frère Gabriel Girard, enseignant entre 1941 et 1972, se sont rassemblées, ce samedi 10 juin, à Issé en Loire-Atlantique. À leurs côtés, des religieux, mais également des élus. Parmi ces victimes présentes pour cette cérémonie mémorielle, Michèle et Ghislaine, anciennes écolières à Loctudy (Finistère).

Michèle, Ghislaine, Marie-Pierre et Raymonde, toutes anciennes élèves de l'école Saint-Tudy à Loctudy dans le Finistère participent à la cérémonie, au calvaire d'Issé ce samedi. Une cérémonie en mémoire de toutes les victimes du frère Gabriel Girard. En 1969, elles ont croisé son chemin. Il était leur instituteur et a commis à répétition viols et agressions sexuelles sur plusieurs élèves de la classe.

Lors de cette cérémonie, à Issé, aux côtés des victimes, comme Michèle et Ghislaine, sont rassemblés des religieux, mais également des élus. Une première en France, un an tout juste après que la congrégation des Frères de Saint-Gabriel fut la première des congrégations catholiques à reconnaître publiquement les crimes commis par des membres de sa communauté.

"On a le sentiment de passer enfin de victime à "acteur" de notre propre vie." lâche Michèle, comme soulagée. Les faits étant prescrits, la justice n'est pas passée, puisque le religieux est décédé, la présence de laïcs à cette cérémonie a une résonance toute particulière pour elle.

Enfin, il y a un pont entre laïcs et religieux, des élus qui prennent faits et causes sur cette question. C'est essentiel pour nous car notre plus grande crainte serait que de tels actes se reproduisent.

Ghislaine Magoarou, victime du frère Gabriel Girard

Le collectif des victimes estime aujourd'hui que le frère Gabriel Girard aurait sévi sur près de 170 enfants.

"On a violé notre enfance"

La voix, affirmée, se voile quand elle évoque ses années d'écolière. Michèle, aujourd'hui âgée de 63 ans, n'y a pas connu l'insouciance. Elle se souvient avec précision de l'arrivée du prêtre dans la petite école de Loctudy.

"On nous promettait une année extraordinaire, avec un enseignant aux méthodes révolutionnaires, qui apprenait la grammaire en chantant... Et puis très vite, ça a été l'enfer. Il nous appelait un à un derrière son bureau, sous couvert de devoirs à corriger. Toute la classe avait pour ordre de baisser la tête. Et là, il glissait la main dans notre culotte et nous faisait toucher sa verge."

L'homme d'Eglise joue de son statut pour intimider ses élèves. Il prétexte des séances de prière pour commettre ses méfaits.

"J'avais le choix entre trois sortes de prières" explique Ghislaine, une autre de ses victimes.

"Soit Dieu venait à moi, soit je venais à Dieu, soit nous communions. Si Dieu venait à moi, c'était lui qui me touchait, et inversement... Après la première agression, c'est devenu quotidien."

Ghislaine Magoarou, victime du frère Gabriel Girard

Toutes deux dépeignent un homme violent, hurlant sur ses élèves, leur imposant le silence. Un portrait fidèle à celui dressé par ses nombreuses autres victimes, comme les garçons de l'école d'Issé en Loire Atlantique... Et qui tranche avec l'image que le prêtre renvoyait alors : "il présentait très bien, était très aimé des parents".

Des parents, qui parfois, n'ont pas su entendre le désespoir de leur enfant : Ghislaine explique avoir raconté à sa mère un épisode de viol. Mais ses paroles d'enfant ne font pas le poids face à l'aura de l'enseignant : la fillette se voit répondre qu'elle ment et fait son "intéressante". Elle taira son lourd secret jusqu'en 2022.

Compagnons de misère

Michèle a été la première à parler. À la naissance de sa fille d'abord, plus de vingt ans après les faits. Puis de nouveau en 2016, sans succès. C'est la tenue d'une réunion de la commission reconnaissance et réparation en avril 2022 à Loctudy qui fera la différence. Cette commission a été un point de bascule pour de nombreuses victimes.

"Sans elle, je n'aurais jamais parlé. Toute seule, je ne me serais jamais déclarée" explique Ghislaine."Le fait d'être plusieurs, ça aide ; toute cette souffrance qu'on a portée seule pendant plus de cinquante ans, on la partage. Ça nous donne aussi plus de légitimité, quand on sait qu'on n'a pas été crues enfant."

Désormais, c'est unies que les victimes font front.

"Ils savaient"

Leur réparation débute par la reconnaissance. Celle, en mai 2022, par la congrégation des frères de Saint-Gabriel des crimes d'abus sexuels et de la responsabilité d'anciens religieux de la communauté.

"Depuis 1958, la congrégation connaissait les troubles sexuels du frère Gabriel Girard. Ca m'a mise dans une colère folle. Ils savaient et ils nous ont jetés en pâture."

Michèle Le Reun Gaigné, victime du frère Gabriel Girard

Au terme d'un an, les victimes ont également obtenu une réparation financière. "On a été indemnisées. C'est symbolique mais important. Le silence, c'est dur, mais le pire c'est de ne pas être entendu. Là, enfin, on nous écoute."

Un devoir de mémoire et d'alerte

Ce samedi 10 juin, les participants à la cérémonie mémorielle ont inauguré une plaque commémorative et planté trois oliviers. L'arbre choisi par les victimes est un symbole de force et de victoire. Une image de leur résilience.

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