Relever un compteur, remplir une déclaration d'impôts, veiller sur une personne âgée, tournée rallongée... La sacoche du facteur se garnit de nouveaux services pour pallier la baisse du volume de courrier : une évolution qui divise la profession. Exemple à Plabennec et à Rennes.
À bord de sa camionnette électrique, Emmanuelle Le Fourn entame sa tournée à 9 h 30 sous un ciel "pour une fois pas capricieux" de Plabennec, petite commune du Finistère. Depuis 2014, cette factrice de 48 ans, comme un tiers de ses collègues au plan national, est sous le régime de la pause méridienne. "Volontaire d'office", Emmanuelle débute son service plus tard interrompu par une pause de 45 minutes, non rémunérée. Sa journée s'achève à 15 h 15 contre 13 h 00-14 h 00 jusque-là. Elle travaille 5 jours sur 7, contre 6 jours sur 7 auparavant.
"Jamais évident de changer ses habitudes. Ce qui m'a décidé, c'est le jour de repos en plus, pouvoir déjeuner. Physiquement, je me sens mieux. Pour rien au monde, je ne repasserais à l'ancien régime", affirme cette mère de deux enfants. "Qui peut garder des enfants quand on doit se lever à 5 h 00 ?"
Cette petite révolution dans l'organisation de la Poste qui emploie 73.000 facteurs n'est pas vu d'un bon oeil partout. À Rennes, des postiers ont entamé une grève depuis le 9 janvier. "On donne tout l'effort de travail physique et mental sur une vacation quels que soient les conditions météorologiques. (...) Notre corps ne répond plus pareil après une pause", assure Arnaud Bordier, facteur à Rennes, représentant Sud-PTT, au salaire de 1.400 euros après 17 ans d'activité. Il dénonce "une suppression d'en moyenne 15% des tournées de distribution de courrier" qui se traduit par une charge excessive de travail.
La Poste justifie cette réorganisation par la mécanisation du "tas de courrier". "La plateforme de Rennes trie tout le courrier à destination de la Bretagne (...) Ainsi le postier est amené à prendre son service plus tard", expose Jean-Marc Le Berre, directeur de La Poste de Plabennec. Cette commune de 8.300 habitants n'a plus de secret pour Emmanuelle après 19 ans de tournée. Saluée à chaque passage, elle commente le temps et échanges quelques mots dès qu'elle peut. Trois biquettes se sont échappées de leur enclos... Emmanuelle saisit son téléphone pour prévenir la propriétaire : "J'ai l'habitude."
Un métier réinventé
"C'est l'évolution du métier qui me dérange, la notion de service public", estime la fonctionnaire qui "veille déjà sur les anciens". "J'ai fait un signalement après ne plus avoir eu de nouvelles d'une personne" que la gendarmerie a retrouvé décédée. Pour pallier la baisse de volume de courrier (estimée à 50% entre 2008 et 2020), La Poste a lancé le plan "Conquérir l'avenir". "Si on veut pérenniser le métier de facteur et notre mission de service public, qui est la distribution du courrier 6 jours sur 7, il faut que La Poste se réinvente. On est obligé de revoir le quotidien du facteur", explique le groupe public français (23,294 mds euros de chiffre d'affaires en 2016).
Ainsi, le facteur, en vertu du service "veiller sur mes parents", assure des visites régulières, une téléassistance, le relevage du compteur pour des opérateurs externes ou encore le portage de courses. Depuis février, La Poste étudie aussi la possibilité d'offrir un service payant d'aide à la télédéclaration d'impôts, rémunéré 50 euros pour une prestation de 45 minutes environ, selon le syndicat Sud. "Je ne sais même pas remplir la mienne!, ironise Élodie Guitton, 32 ans, factrice à Janzé (Ille-et-Vilaine). "Tout est calculé par ordinateur mais le côté humain n'est pas pris en compte", regrette la factrice. "Mon portable me dit ta tournée devrait faire tant de temps mais non, c'est pas jouable". La jeune femme "se bat pour des conditions de travail dignes, pas pour 50 euros de plus". "Je ne veux pas finir en rampant", dit-elle.