Poulpes, étoiles de mer, crépidules, oursins. Comment les pêcheurs s'adaptent à l'invasion de ces espèces marines ?

Poulpes, étoiles de mer, crépidules, oursins : plusieurs espèces marines prolifèrent en Bretagne. Ces phénomènes perturbent l'activité des pêcheurs, impactent d'autres crustacés et obligent la profession à modifier ses pratiques. Les scientifiques n'expliquent pas précisément ces changements mais travaillent avec les marins pour valoriser ces intrus, faute de pouvoir les éradiquer.

"Historiquement, c'est la mondialisation des échanges qui favorise l'introduction d'espèces invasives en milieu marin, avant tout autre phénomène. Mais toutes ne sont pas invasives, la plupart sont déjà présentes dans nos eaux et prolifèrent  pour de multiples raisons " explique d'emblée Julien Dubreuil. Plongeur professionnel, biologiste. Il est aussi membre du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Bretagne (CRPMEM). 

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Face à l'invasion de crépidules, les pêcheurs hissent le drapeau noir

En Bretagne, c'est sans doute la crépidule qui sera longtemps restée la bête noire des pécheurs. Il s'agit d'un mollusque particulièrement vorace, qui va s'attaquer massivement aux moules et aux huîtres de la Baie de Cancale, dès les années 50-60. La rade de Brest et une partie du Morbihan seront aussi touchées. Il est ici question d'une espèce invasive car elle nous vient d'Amérique, en transitant par l'Angleterre où elle s'est accrochée aux coques des bateaux alliés, venus préparer le débarquement en Normandie. Depuis les plages normandes, la crépidule va essaimer la Bretagne, en tapissant les fonds marins. Les crépidules se posent sur le sable et la vase, et vont coloniser le milieu, devenant concurrentes des huîtres et des moules pour la nourriture et empêchant également les poissons plats de frayer. Lors de la saison de la coquille Saint-Jacques, les dragues remontent chargées de crépidules. Les producteurs vont se mobiliser pour lutter contre sa prolifération.

Des bateaux vont draguer les fonds pour réduire les populations. Il y aura même des tentatives infructueuses pour en faire un produit culinaire, baptisé "berlingot des mers".

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Et finalement, c'est le temps qui peu à peu va permettre à l'écosystème de se rétablir."Les bancs de crépidules sont aujourd'hui en déclin" constate Julien Dubreuil. Mais cet aléa aura montré la mobilisation des pêcheurs et des industriels pour tenter de mettre au point une filière de valorisation et une réponse économique face aux pertes subies sur les autres productions conchylicoles et ostréicoles.

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La guerre des étoiles

Aujourd'hui, d'autres espèces marines modifient l'écosystème de différentes zones de pêches. Les étoiles de mer, friandes de moules, d'huîtres et de coquilles Saint-Jacques, sont de vraies prédatrices pour ces bivalves. Deux espèces ont colonisé tout le littoral français, des carnivores, des nécrophages même, capables de nettoyer en groupe un site en un temps record. "Une moulière naturelle de 30 000 tonnes peut être mise à mal en une semaine ! Elles sont capables de se déplacer sur de grandes distances pour trouver de la nourriture. Rien ne leur résiste", explique Guillaume Massé, scientifique et chercheur au CNRS, chef de la station maritime de Concarneau dans le Finistère. "Certains éleveurs de moules peuvent perdre entre 40 et 80 % de leur cheptel, détruit par les étoiles de mer. On a pensé à poser des filets dans les parcs mais elles passent entre les mailles !" rajoute le spécialiste. Dans le Morbihan, pour protéger les parcs ostréicoles et les gisements de coquilles, autour de la baie de Quiberon, ou encore au large de Belle-île-en-mer, elles sont pêchées volontairement pour nettoyer les sites. Les producteurs ont même conçu un instrument spécial pour les ramasser.

On a que des hypothèses sur la prolifération des étoiles de mer. C'est très fluctuants, on sait qu'elles se déplacent quand il y a de la nourriture, pour faire des razzias sur certains coquillages.

Guillaume Massé

Chef de la station maritime de Concarneau

L'espèce évoluant à la fois dans des eaux chaudes ou froides, le réchauffement climatique n'est en tout cas pas en cause.

Modifier ses pratiques, chercher des débouchés

Mais qu'en faire ? Ramenées au port, elles sont traitées en usine et transformées en ciment, mais c'est coûteux. Le gasoil pour les collecter, le prix pour les détruire, il fallait trouver un moyen de mieux les valoriser faute d'en venir à bout. En faire non un déchet mais une ressource ! Depuis trois ans, des études ont été lancées. Riches en calcium et en magnésium, les squelettes des étoiles de mer réduit en poudre, pourraient être utilisés comme nutriment pour le bétail mais aussi comme matière filtrante, substance de charge pour des polymères biodégradables. Des pistes sont également étudiées pour l'utiliser en support de greffe, ou comme substrats de culture. Scientifiques et industriels travaillent conjointement pour trouver une filière viable économiquement.

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Le Poulpe : un dévoreur

Frédéric Louedec est propriétaire du "P'tit Emile",  un chalutier langoustier de 12 mètres, immatriculé au port de Concarneau dans le Finistère. Il pêche la langoustine et le poisson en fonction des saisons, mais il doit désormais faire plus de route pour trouver de la ressource et ses activités ont été modifiées. En cause : un prédateur à huit bras, à la force et à l'intelligence hors du commun : le poulpe, dévoreur de coquilles Saint-Jacques.

Le gisement de coquilles Saint-Jacques est fermé depuis deux ans autour des Glénans suite à un appauvrissement de la ressource . Les poulpes ont aussi fait des dégâts dans les eaux de Roscoff, Belle-île et de Quiberon.

Fréderic Louedec

marin-pêcheur

"Les poulpes ont toujours été présents en Bretagne", rappelle Julien Dubreuil, "avec des pics de prolifération dans les années 1920-1950. Seul l'hiver rigoureux de 1962 a mis à mal cette population très sensible au froid. Peu à peu, la population s'est restaurée, jusqu'à une explosion de la biomasse en 2021". En cause : une température des eaux plus clémente, des taux de reproductions en hausse, des juvéniles qui trouvent de la nourriture. Et dans les mets de choix pour les poulpes : coquillages et crustacés, homards, tourteaux, praires et ... coquilles Saint-Jacques. 

Les pêcheurs ont donc dû modifier leurs pratiques, abandonner certaines pêches pour capturer le poulpe au casier, au chalut ou à la drague. Entre 2020 et 2021, le nombre de poulpes pêchés en Bretagne a été multiplié par 30. Un produit rémunérateur, c'est l'avantage, puisque  le poulpe se commercialise entre 7 et 8 euros le kilo contre 3 euros environ pour la coquille Saint-Jacques. Principaux clients : l'Espagne, le Portugal et l'Italie. "Pour certains, le poulpe, ça a été la poule aux œufs d'or. Ils ont adapté leurs bateaux. Beaucoup de langoustiers et de chalutiers ont disparu à Concarneau. Moi, faute de coquilles Saint-Jacques j'ai dû diversifier mes pêches mais on va avoir un retour de bâton, un jour car le milieu est déséquilibré ", souligne Frédéric Louedec.

Méduses : elles piquent c'est tout !

Une température favorable et du plancton disponible, ces deux facteurs permettent la prolifération ponctuelle de méduses. Avec un hiver doux, certains échouages, favorisés par les vents, ont été constatés dès avril sur notre littoral cette année. Mais les espèces natives résidant en Bretagne ne provoquent que des désagréments quand elles piquent. 

Des déserts d'oursins

Entre la presqu'île de Quiberon, Belle-île et l'estuaire de la Vilaine, dans le périmètre des récifs du "Mor Braz", la Grande Mer du golfe du Morbihan, des plongeurs ont observé récemment la disparition de forêts d'algues liminaires, refuge de nombreuses espèces marines comme l'ormeau, l'étrille ou le bar. Le responsable de ce bouleversement : l'oursin vert, appelé aussi oursin grimpeur, herbivore vorace. Ces dernières années, des champs entiers d'algues brunes ont été broutés par cette espèce présente depuis longtemps dans nos eaux" précise  Martin Marzloff, chercheur en écologie marine à l'Ifremer. 

Les fonds marins ne laissent ensuite apparaître que des rochers nus, un désert d'oursins, synonyme de perte d'habitats complexes, de productivité et de biodiversité. Pourquoi cette prolifération ? Des conditions climatiques favorables et l'absence de prédateurs pourraient être responsables de la surpopulation d'oursins.

Les herbiers, les champs d'algues ou les récifs d'huîtres façonnent les paysages sous-marins. Nous étudions comment ces habitats contribuent à la biodiversité.

Martin Marzloff

Chercheur en écologie marine à l'Ifremer. 

Il s'agit de prédire comment les écosystèmes peuvent se restructurer en cas d'invasion d'espèces ou de perte d'habitat.

Agir préventivement

Pour Amélia CURD, également spécialiste en écologie marine à l'Ifremer, il faut avant tout jouer la prévention face aux risques d'invasion ou de prolifération. "Une fois qu'une espèce est introduite, il est trop tard", et le réchauffement climatique est loin d'être la cause majeure de ces bouleversements. Pour elle : "c'est le rythme accéléré des changements dus aux activités humaines qui menace le fragile équilibre du milieu marin". C'est un monde en mouvement, où la mondialisation du trafic maritime favorise l'introduction d'espèces non indigènes. Les déchets plastiques, eux, servent de radeaux sur lesquels s'accrochent certains organismes. La pollution des rejets des eaux de ballast non traités est un fléau."Personne ne sait ce que va donner un nouvel assemblage d'espèces suite à une introduction, même si la nature démontre souvent une certaine résilience face aux changements," ajoute la scientifique. Le réchauffement climatique n'est qu'un coup de pouce qui va favoriser certains phénomènes de prolifération. "On pourrait voir des changements abrupts avec des espèces en remplaçant d'autres et modifiant les écosystèmes," s'alarme-t-elle pour conclure.

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