"Le jardin de Pissarro" sera cédé aux enchères à Paris le 29 mars. L’importance de cette œuvre fait écho au travail du Musée de Pont-Aven où se prépare en ce moment une exposition en partenariat avec le musée d’Orsay.
C’est pour préparer une vente exceptionnelle que la maison Sotheby's France a offert à la presse de faire quelques clichés de l’œuvre de Paul Gauguin baptisée "Le Jardin de Pissarro, Quai du Pothuis". Une toile qui n’a été exposée que deux fois en 140 ans. Une fois aux États-Unis, dans l'Ohio, au Cleveland Museum of Art dans le cadre d'une exposition sur le jardin (Painting the modern garden : Monet to Matisse, 2015-2016) et une autre à Pont-Aven. C’était en 1964.
Une redécouverte
Pour Aurélie Vandevoorde, directrice du département Art Impressionniste et Moderne de Sotheby's France, ce tableau resté dans la même famille depuis les années 1920 est une belle surprise
C'est un tableau qui réapparaît sur le marché, pour nous c'est un vrai événement.
Ce tableau de 1881 est d’un format modeste (65 x 54 cm) mais il est unique à plusieurs égards.
L'hommage de Gauguin à Pissarro
Unique, ce taleau l'est d’abord pour son thème car il date de l'époque où Paul Gauguin, agent de change, décide de devenir peintre à part entière et va souvent à Pontoise voir Camille Pissarro, qu'il considérera comme son maître.
L'œuvre représente la maison et le jardin de Camille Pissarro que l’on devine sous son ombrelle, dans le coin droit, en bas du tableau. C’est ce détail que souligne Mme Vandevoorde : "Dans ce tableau, nous avons un hommage merveilleux de Gauguin à son maître. Ici vous avez Pissarro lui-même, représenté sous son ombrelle. On sait que Pissarro peignait sous une ombrelle fixée au chevalet."
Une oeuvre de jeunesse
Pissarro est alors l’un des maîtres de l’impressionnisme et prône le travail dans la nature plutôt qu’à l’atelier. Et c’est bien ce que montre cette toile : on devine que Pissarro est sorti dans son jardin avec ses tubes de couleurs et il le peint dans son propre style.
Pour Paul Gauguin c’est une œuvre de jeunesse, même s’il a déjà 33 ans. L’autodidacte fut d’abord collectionneur quand il travaillait à la Bourse de Paris et achetait des œuvres de Pissarro avant de s’intéresser à peindre lui-même. À Pontoise, il travaille au pinceau selon la technique des impressionnistes, par petites touches de couleurs qui se fondent dans l’œil du spectateur. Entre les deux hommes se forme une relation de maître à élève et une solide amitié. Pissaro est alors emblématique des années 80 et expose dans les salons impressionnistes.
Ce tableau est très novateur pour 1881 - ajoute Mme Vandevoorde - très différent de ce que font les peintres impressionnistes pendant cette période
En effet si Gauguin lui aussi s’essaye à capter des impressions fugitives et à générer des émotions chez son spectateur, il a déjà un style qui lui est propre. C’est ce que souligne Estelle Guille des Buttes, la conservatrice en chef du musée de Pont-Aven. Elle n’a pas encore vu de ses yeux ce tableau mais elle est attentive à cette vente. Elle sait que ce tableau a été exposé à Pont-Aven avant même la naissance du musée qui a hérité des archives d'anciennes expositions. Sur la famille qui a préservé ce trésor depuis près d’un siècle, elle ne dira rien, discrétion oblige.
Un trésor caché au verso
Comme les spécialistes de Sotheby’s la conservatrice de Pont-Aven explique que l’intérêt de cette toile c’est aussi ce qui se trouve au verso : deux autoportraits de Gauguin. Ce ne sont peut-être que des essais peint au dos de la toile comme souvent pour économiser sur le matériel. Mais ce qu’ils ont de remarquable c’est qu’ils ont déjà une toute autre technique que celle du recto. La conservatrice de Pont-Aven voit dans ce tableau « d’un côté l’impressionnisme et au revers la technique du synthétisme » une technique de couleurs en aplats toute différente de l’imitation des effets de lumière de la nature.
Une vente très attendue
Selon Aurélie Vandevoorde, le tableau est "dans un état absolument impeccable, ce qui arrive rarement, il a été choyé et conservé comme un trésor par la famille qui a eu le privilège de l'avoir pendant presque 100 ans".
La valeur de l’œuvre est estimée entre 600.000 et 900.000 euros. Le tableau sera présenté au public avant la vente, dans les locaux de Sotheby's à Paris, à partir du 23 mars. Le prix de réserve n'a pas encore été fixé, mais selon Sotheby's, d'autres tableaux de la période impressionniste de Gauguin ont été vendus "autour de 2 millions de dollars".
Une grande exposition en préparation à Pont-Aven pour l’été 2019
Actuellement la Conservatrice en chef du Musée de Pont-Aven prépare une nouvelle exposition pour l’été prochain en partenariat avec le musée d’Orsay. Une exposition dans laquelle Gauguin et Pissarro auront justement toute leur place.
Le titre de l'exposition : "L’impressionnisme d’après Pont-Aven", fait double sens puisque c’est à la fois l’impressionnisme selon Pont-Aven, tel qu’il a éclos dans les années 1880, mais aussi l’impressionnisme tel qu’il devient avec la naissance du synthétisme.
La période est riche de mutations. La photographie a pris son essor au milieu du 19ème siècle et la peinture s’éloigne de la figuration réaliste enseignée par les académies d’art depuis la Renaissance. Mais il faudra attendre Kandinsky au tout début du 20ème siècle pour voir la naissance de l’abstraction et la déconstruction de la réalité.
Or, dans les années 1880, Pont-Aven se trouve au cœur de ces mutations progressives de la peinture. Des peintres de tous horizons même au-delà de nos frontières viennent y trouver une nature préservée propices à l’impressionnisme, avec des lumières variées et contrastées et les scènes de vie de nos villages, campagnes et bords de mer.
Lors de son premier passage à Pont-Aven en 1886, Gauguin, l’élève de Camille Pissarro, déjà très exercé aux techniques de l’impressionnisme rencontre Émile Bernard qui peint déjà en privilégiant les aplats de couleurs à la façon des vitraux ou des estampes japonaises. Après son voyage en Amérique, Gauguin revient plus longuement en 1888, dans le Finistère.
Gauguin devient alors le peintre emblématique de l’école de Pont-Aven qui revendique une création qui s’éloigne de la restitution de la nature pour privilégier la création d’émotions plus directes et plus naturelles. Toujours sous l’influence d’Émile Bernard, son style s’inspire plus simplement des lumières et des couleurs qui riment avec ses thèmes. Le mouvement du synthétisme est né.
À partir du 29 juin 2019
L’exposition "L’impressionnisme d’après Pont-Aven" regroupera 80 œuvres de cette périodes, elle sera visible du 29 juin 2019 au 5 janvier 2020.