Lorsqu'il avait une dizaine d'années, le Quimpérois Pierre-Marie Le Drezen a été violé par un religieux de la congrégation de Saint-Gabriel. L'homme était son instituteur dans une école du Guilvinec. Ce lundi 27 novembre, Pierre-Marie devait être reçu par le Pape François, comme une vingtaine d'autres victimes abusées par des membres de cette congrégation. Souffrant, le Saint-Père n'a pu honorer le rendez-vous.
"J'ai été abusé sexuellement par un frère religieux, Joseph Duclos."
C'est par ces mots que Pierre-Marie Le Drezen entame son histoire, assis au fond d'une classe de l'école privée du Guilvinec. C'est dans cette même école que son instituteur de cours moyen, un frère de la congrégation de Saint-Gabriel lui aura fait subir le pire. C'était il y a 56 ans. Les sévices auront duré deux années, de ses 8 à 10 ans. Ils n'ont jamais cessé de le hanter, au point de le faire plonger dans une profonde dépression.
Dans cette classe, se ravivent les terribles souvenirs avec cet instituteur : un homme "grand" et "vraiment méchant" qui "faisait peur aux élèves" avec ses "coups de règles en acier sur les mains". Pierre-Marie est un élève plutôt sage, "trop sage".
Pour son plus grand malheur, l'élève devient le préféré du religieux : "Il envoyait mon voisin de pupitre au tableau, se souvient Pierre-Marie. Il venait s’assoir à côté de moi. Pendant que l’élève écrivait au tableau, il mettait sa main dans mon slip."
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D'autres camarades de classe seront, eux aussi, abusés et violés en plein cours. Mais pendant la récréation, "quand tous les élèves étaient sur la cour à jouer aux billes", c'est Pierre-Marie qui doit rester en classe pour "effacer le tableau". "Il profitait encore de moi. C’était très souvent."
À l'époque, personne n'ose parler. "Le soir, quand je rentrais à la maison, je faisais des cauchemars. Ma mère appelait le médecin. Il me donnait des petits cachets et c’est tout. J’étais très nerveux, hyper nerveux."
L'été, ses parents l'envoient en colonie de vacances à La Mothe-Achard en Vendée, toujours en compagnie du religieux.
"J’étais avec mes copains sous la tente et il a crevé mon matelas pneumatique bleu et jaune que m’avait acheté ma sœur pour que je couche dans un bâtiment annexe avec lui. Toutes les nuits."
Pierre-Marie Le Drezen
Une nuit, après la prière, il s'enfuit pour se cacher dans le bois. "Toute la colonie est venue me chercher vers minuit. J’avais très peur."
"Un enfant qui a été abusé sexuellement ne sait pas ce que c’est exactement. Il hurle, il crie, il pleure, il a peur de tout."
Pierre-Marie Le Drezen
Malgré tout, Pierre-Marie est resté très croyant. À tel point qu'il a décidé de pardonner à son bourreau, malgré les souffrances et la profonde dépression que ces sévices ont engendrée : "On ne peut pas vivre sans pardonner, c’est la religion. Il faut pardonner les péchés qu’il a commis. Mais c'est difficile parce que c'était une personne d’Église... Moi, j'aurais dû devenir prêtre, je n’ai pas pu."
Le prêtre est décédé en 2020 sans jamais avoir été condamné.
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Près d'un demi-siècle plus tard, l'ancien élève du Guilvinec va être reçu avec le Pape ce lundi 27 novembre avec une vingtaine d'autres victimes des frères de la communauté de Saint-Gabriel pour une audience d'une trentaine de minutes. "Un miracle" que Pierre-Marie attend depuis bien longtemps.
"Je veux que tout le monde le sache, la famille d’abord et puis les gens. Il faut le faire savoir. Il faut que cela soit clair."
Une vingtaine de prêtres pédophiles
Cette prochaine audience intervient un an et demi après une première reconnaissance de la part du clergé. En mai 2022, devant une vingtaine de victimes, le responsable de la congrégation religieuse des Frères de Saint-Gabriel avait reconnu publiquement les faits de pédocriminalité commis par leurs membres.
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Les frères de cette congrégation étaient envoyés en Vendée, en Loire-Atlantique, dans le Maine-et-Loire et le Finistère. Une vingtaine d'agresseurs ont été identifiés, aujourd'hui tous décédés. Les faits qui se sont déroulés de 1950 au milieu des années 70 concernent une cinquantaine d'enfants.
L'un d'eux, le frère Gabriel Girard aurait agressé à lui seul au moins une vingtaine d'enfants, garçons et filles âgés de 8 à 10 ans, entre 1965 et 1972 dans deux écoles, à Issé (Loire-Atlantique) et Loctudy (Finistère), alors que les responsables de l'époque avaient été prévenus de ses agissements.
Ce dimanche 26 novembre, Pierre-Marie Le Drezen a pris l'avion, direction le Vatican où il sera reçu par le Pape François avec une vingtaine d'autres victimes des Frères de Saint-Gabriel.