L'an dernier encore, l'île aux Moutons sur l'archipel des Glénan, était la deuxième colonie française de sternes caugek. Ces oiseaux côtiers migrateurs, qui aimaient traditionnellement s'y reproduire au mois de mai, l'ont quasiment désertée cette année. Plusieurs hypothèses sont avancées pour élucider cette mystérieuse disparition.
Vous les reconnaîtrez par leur bec noir à pointe jaune, la calotte noire également sur leur tête qui s'achève par une huppe sombre et tranche avec la coloration blanche de leur corps. En vol, leurs plongeons vifs et précis à la verticale pour pêcher sont spectaculaires.
Une chute impressionnante de la population sur les Glénan
Ces caractéristiques sont bien connues des naturalistes de l'association "Bretagne vivante". L'an dernier encore, au moment de la nidification qui se déroule généralement dans les dix premiers jours du mois de mai, 2775 couples avaient été comptabilisés sur l'île aux Moutons, cette île des Glénan appréciée par ces oiseaux côtiers. Ils s'y installent généralement dès les mois de mars-avril.
Or cette année, un premier signe inhabituel a alerté les observateurs: certes, la colonie semblait être là, mais il a fallu attendre la fin mai pour identifier les premières pontes, soit dix jours plus tard que les années précédentes. Et en plus, seuls 453 couples sont alors décomptés, soit une chute très impressionnante de 85% de la population de sternes caugek.
Les goélands prédateurs gourmands
Ces œufs moins nombreux ont par ailleurs été rapidement attaqués par des goélands. "Les sternes ont la capacité d'effectuer des pontes de remplacement au cas où des prédateurs aient attaqué leurs oeufs, mais elles peuvent aussi déménager " précise Yann Jacob, chargé de mission à Bretagne Vivante. Et c'est effectivement une des pistes qui pourraient expliquer cette désaffection de l'île aux Moutons, cette année.
D'autres sites choisis par les sternes
D'autres sites ont vu leur population de sternes caugek beaucoup augmenter. La réserve nationale du Platier d'Oye dans le Pas de Calais a compté 3000 couples contre 950 l'année précédente. Et sans aller aussi loin, les réserves de l'île de la Colombière à Saint-Jacut de la mer (22) et de l'île d'Iniz (56) dans la Ria d'Etel ont accueilli aussi un nombre de sternes caugek beaucoup plus important qu'en 2021: par exemple 300 couples à Saint-Jacut de la mer contre 20 habituellement.
Des ressources alimentaires insuffisantes?
Reste la question de savoir pourquoi la ponte a été plus tardive cette année: "C'est une hypothèse, sans preuve scientifique, mais il est possible qu'il y ait eu un problème de ressources alimentaires. Nous le suspectons car si les oiseaux n'ont pas pondu en temps et en heure, ce peut être parce qu'ils n'étaient pas assez robustes pour le faire avant" avance Yann Jacob.
Un défaut de ressources alimentaires qui pourrait aussi expliquer une voracité aussi plus marquée des goélands cette année, contraignant à la fuite une grande partie des couples vers des contrées moins dangereuses. D'autant que contrairement à d'autres variétés de sternes, "la sterne caugek crie et fait du bruit quand elle est attaquée, mais elle se défend moins bien que ces cousines plus agressives." ajoute Yann Jacob.
De retour sur les Glénan en 2023?
Mais alors les sternes caugek reviendront-elles l'an prochain sur les Glenan? L'exemple du Banc d'Arguin, réserve naturelle nationale située en Nouvelle Aquitaine, invite à la prudence pour répondre à cette question. Longtemps première colonie de France des sternes caugek, elle n'en accueille plus aucune. En 2019, les observateurs avaient, comme aux Glénan, noté une chute soudaine et très importante de la population des sternes, trois ans plus tard, elles ont totalement déserté les lieux.
"Ce sont des oiseaux très grégaires qui sont suivi par les scientifiques depuis les années 50 de façon exhaustive. Nous savons que le noyau dur de la population circule. Pendant une trentaine d'années, une colonie s'était installée en baie de Morlaix, puis on les a retrouvé aux Glénan. Certains sites ont aussi été quittés à cause de la pression humaine sur le littoral au moment de la nidification. C'est aussi une nécessité de changer d'endroit régulièrement sinon les prédateurs s'organisent et sont plus efficaces."
C'est donc pour sauvegarder leur espèce que les sternes caugek ont pu décider cette année de se reproduire sur d'autres réserves. "Ce qui montre que nos efforts pour conserver des sites protégés est la bonne stratégie" se félicite Yann Jacob, rassuré que les couples disparus des Glénan aient pu être observés notamment à Saint-Jacut ou en Ria d'Etel... Ils y seront peut être de retour l'an prochain. En attendant, ils ont pour la plupart pris la direction des côtes d'Afrique de l'Ouest. Même s'il est de moins en moins rare d'en observer quelques-uns choisir d'hiverner sur les côtes bretonnes.