Il y a tout juste 50 ans disparaissait le Général de Gaulle. Tout au long de sa vie familiale ou politique, l’homme du 18 juin a tissé une relation particulière avec la Bretagne et les Bretons.
Nous sommes le 2 février 1969 à Quimper. Le Général de Gaulle prononce ce qui sera son dernier grand discours. Tout en majesté, il se met alors à déclamer des vers en breton : «Va c’horf zo dalc’het, med daved hoc’h nij va spered, Vel al labous, a denn askel, Nij da gaout e vreudeur a bell. » (Mon corps est retenu mais mon esprit vole vers vous, comme l’oiseau à tire d’aile vole vers ses frères qui sont au loin.)
De quoi surprendre, ravir autant amuser les 8000 personnes massées place de la Résistance. Certains y verront ce jour là une petite provocation à l'encontre du Front de Libération de la Bretagne qui refait surface à cette époque. D'autres, une déclaration d'amour à une région qui pour le fondateur de la Vème République a toujours été indissociable de l’histoire de France.
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Un oncle bretonnant
Mais ce fut aussi pour l'homme du 18 Juin l'occasion de rendre hommage à une filiation. Car l'auteur du poème n’est autre que son oncle prénommé également Charles. Ce dernier fut une des figures de la vague celtomane qui se développa au cours du XIXème siècle.
Bien qu’originaire du Nord de la France, l’écrivain, handicapé par de graves problèmes de santé apprendra le breton et sera un défenseur acharné de cette langue. Surnommé, le "barde de France", il ira jusqu'à étudier la possibilité d'installer une colonie celte en Patagonie. Il sera également un des initiateurs du congrès celtique organisé à Saint-Brieuc en 1867.
La Bretagne, une histoire familiale
Le premier contact "physique" de Charles de Gaulle avec la terre armoricaine se fera dans les années 30, grâce à sa femme. Yvonne Vendroux avait passé plusieurs séjours de vacances en Bretagne et en avait gardé un excellent souvenir. En 1933, le couple choisit ainsi Bénodet comme lieu de villégiature. Il en restera une photo bouleversante : de Gaulle assis à la plage sur une chaise longue, en costume cravate et chapeauté, portant avec tendresse Anne sa fillette trisomique.
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, retiré des affaires, le Général de Gaulle multipliera les escapades bretonnes. Avec ses coups de cœur : le château de Combourg où vécut Chateaubriand son écrivain préféré ou bien encore les Monts d’Arrée particulièrement appréciés lors d’un tour de Bretagne en 1957.
Le couple de Gaulle viendra aussi à plusieurs reprises à Morgat à titre privé afin de rendre visite à leur fils, Philippe, lieutenant de vaisseau à l'Ecole Navale de Lanvéoc. Entre 1949 et 1952, Charles et Yvonne de Gaulle logent ainsi épisodiquement dans une pension de famille, la villa Ti Huella. Cultivant la discrétion, ils seront apercus à la messe ou dans une ferme voisine achetant leur lait.
Mais c'est la guerre et les heures sombres de la Débacle qui ont vraiment créer un lien indéfectible entre le futur chef de la France libre et la Bretagne. Période où va s’entremêler l’histoire de France et l’histoire de la famille de Gaulle.
En juin 1940, Rennes voit arriver un général de brigade fraîchement nommé sous-secrétaire à la Guerre. Charles de Gaulle vient étudier la faisabilité d'un "réduit breton", une sorte de nouvelle ligne Maginot. Il milite pour que Quimper deviennent la capitale administrative et politique de la France. L’avancée allemande mettra rapidement un terme à ce projet.
Au même moment, la famille du Général a quitté l’Est pour se refugier dans la région. Yvonne et ses trois enfants rejoignent Carantec puis Brest avant de prendre le dernier bateau pour Londres. La mère du futur chef de la France libre, Jeanne de Gaulle, âgée et malade est accueillie par son fils ainé, Xavier, mobilisé comme officier de réserve à l’école militiaire de Coëtquidan .
Dans ses Mémoires de guerre, le Général évoque d'ailleurs son vol au-dessus de Paimpont : "La forêt était toute fumante des dépôts de munitions qui s'y consumaient" écrit-il. Jeanne de Gaulle mourra là-bas le 16 juillet 1940 après avoir eu le temps d’entendre l’appel du 18 juin. Enterrée dans le petit cimetière De Paimpont, sa dépouille rejoindra Sainte-Adresse en 1949.
Sein, l’île gaulliste
C’est aussi en juin 40 qu’un petit bout de terre bretonne va définitivement entrer dans la légende gaullienne. Au large de la pointe du Raz, l’île de Sein va répondre à l'appel de cet officier encore peu connu. Car c’est une tradition là-bas de toujours répondre à un appel de détresse.
Elle va envoyer 124 de ses habitants, certains membres d’une même famille, tous patriotes convaincus, rejoindre en bateau à Londres ce qu’il faut désormais appelé la "France libre". Ainsi, quand de Gaulle passe en revue les premiers résistants encore peu nombreux à l'Olympia Hall, il s'entend répondre si souvent à sa rituelle question " D'où venez-vous ? " : " De l'île de Sein ", il a alors cette phrase, entrée depuis dans la légende : "Sein est donc le quart de la France ? "
En guise de reconnaissance, l'île recevra ainsi le prestigieux titre de Compagnon de la Libération.
Les Sénans incarnaient finalement peut être à merveille ce que le Général appréciait chez les bretons : ce savant mélange d’authenticité, d’insoumission et de loyauté. Une loyauté qui s’exprimera encore en 1958, lorsque le 28 avril, quelques jours avant la fin de la IVème République, deux Sénans apportent en personne à l’Elysée une pétition signée par l’ensemble des habitants de l’île .Une pétition qui réclame le retour du Général au pouvoir.Chose assez étonnante. Quand le Général de Gaulle vient pour la première fois sur l’île en 1946, il se sent à l’aise comme avec des amis. En fait, il y avait quelque chose de grand, de sentimentalement très fort avec ces gens qui s’étaient donnés à la France.
Le président du désenclavement breton
Quand le Général de Gaulle retrouve le pouvoir, la France est en plein conflit algérien. La Bretagne, elle, est encore une région pauvre. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, sa position de "bout du monde" représente un handicap qui ne peut plus contenir un exode rural. Depuis le début des années 50, le CELIB animé par l’ancien ministre René Pleven se donne alors pour objectif de relancer l’économie bretonne et de permettre aux bretons de "vivre et travailler au Pays."
C’est aussi l’époque où le monde agricole se fait entendre avec quelques accès de fièvre. La prise de la sous-préfecture de Morlaix en 1961 ou les affrontements de Quimper en 1967 rappellent au pouvoir gaulliste que la Bretagne reste frondeuse.
De Gaulle y répond à sa manière. Pendant près de 10 ans, il va multiplier les visites officielles dans la région comme s’il agissait de maintenir le lien noué depuis la guerre. Pas moins de neuf voyages entre 1958 et 1969. Il sera même le seul président de la Vème République à avoir parcouru les cinq départements bretons dans le cadre d’un voyage officiel.
Le chef de l'Etat veut montrer que la Bretagne s’inscrit désormais dans la modernité. Très souvent, ses déplacements coincident donc avec l’inauguration de grands équipements : l'usine Citroën de Rennes en 1960, le Centre de télécommunication par satellite (CTS) de Pleumeur-Bodou en 1962, l'usine marémotrice de la Rance en 1966 et l’implantation de la base de sous-marins nucléaires à l'île-Longue à Brest.
"Il ne faut pas oublier que de Gaulle était un militiare et donc un stratège. La Bretagne étant une péninsule, elle avait donc pour lui un intérêt géopolitique. Quand le général revient au pouvoir son obsession est de redonner une puissance à la France sur la plan international. Cela passera donc par un nouvel aménagement du territoire avec un partage des rôles : Paris ville mondiale dédiée au tertiaire où se concentrent les prises de décisions, et les provinces spécialisées dans des fonctions productives. La Bretagne sera donc confortée dans deux vocations : l’agro-alimentaire et les télécommunications. Grâce à cela, la région profitera des Trente Glorieuses et changera durablement son image", explique le géographe Jean Ollivro, président de Bretagne Prospective.
Le Plan routier breton, quand à lui, est concédé à la fin mai 68 au CELIB pour éviter la révolte du monde paysan et une convergence des luttes entre le monde étudiant et ouvrier. La Bretagne se voit octroyer plus de mille kilomètres de voies express sans péage.
De Gaulle, le régionaliste ?
Celui qui incarne depuis 1940 la nation, le retour d’un état fort, n’apparaît pas à priori comme l’avocat des causes régionales.
Je ne vais pas voir les bretons pour parler de la Bretagne mais pour parler de la France.
Concernant la Bretagne, il souffle le chaud et le froid. La question de la réunification, par exemple, reste taboue. Le 2 juin 1960, le décret 60-516 délimitant les nouvelles régions paraît. Il détache en effet deux départements de la région Midi-Pyrénées pour les rattacher à deux autres régions : Pyrénées-Atlantiques à l’Aquitaine et Pyrénées-Orientales au Languedoc. Il assemble aussi les régions Rhône et Alpes en une seule et même entité. Mais il ignore la réunification de la Loire-Atlantique aux quatre autres départements.
L’affaire fut entendue quelques jours auparavant en conseil des ministres. Le Général de Gaulle pourtant partisan de la Bretagne réunie se laisse finalement convaincre par son premier ministre de l’époque Michel Debré qui affirmera : "Laisser Nantes à la Bretagne, mon général, ce serait de la trahison !"
Mais 9 ans plus tard, Mai 68 est passé par là. Le chef de l’Etat va bousculer l’ordre établi, mobiliser contre lui l’ensemble de la classe politique et surprendre jusque dans son propre camp. La réforme du Sénat et la Régionalisation seront la "dernière grande affaire" de son mandat.
Et c'est logiquement pour lui, en Bretagne, à Quimper, qu’il doit annoncer le 2 février 1969 la tenue d’un référendum sur ces deux questions. "Il est de toute justice que ce soit en Bretagne que je l'annonce à la France !", lance-t-il ce jour là. Le général va donc lier en partie son destin politique à la question régionale.
"De Gaulle avait compris avant les autres que le temps de la centralisation et des départements était fini. L’unité nationale étant parachevée, il était persuadé que l’avenir du pays passait par l’échelon régional. Ses successeurs ont été moins convaincus ou alors par calcul. Si de Gaulle avait gagné ce reférendum, nous aurions aujourd’hui des Länder à la française. Que de temps perdu !", fait remarquer Romain Pasquier, politologue et enseignant à Sciences-Po Rennes.
Lassés, les Français diront finalement non à l’homme du 18 Juin. Comme un dernier signe de loyauté mais aussi fidèle à sa réputation d’insoumise, la Bretagne, elle, votera majoritairement oui à 57 %.
Le Général de Gaulle quittera défintivement la scène politique le 28 avril 1969. Quelques jours plus tard, il laissera pour la postérité une dernière image : une grande silhouette noire se promenant sur une plage d’Irlande. La terre de ses ancêtres. Celtes eux aussi.