Il y a 38 ans, Bérurier noir chantait "La jeunesse emmerde le Front National". Entretien avec Loran Béru.

"Nous sommes blancs, nous sommes noirs, nous sommes jaunes. Ensemble, nous sommes de la dynamite. La jeunesse emmerde le Front National." Sur la vidéo enregistrée à l’Olympia, en 1989, les Béru sont déchainés. "Plus jamais 20 %", hurlent-ils. Loran, le guitariste joue maintenant avec les Ramoneurs de Menhirs. Il se demande si la jeunesse de 2022 "emmerde toujours le Front National."

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"Nous serons toujours contre, c’est ça, le mouvement de la jeunesse, alors à toutes les manifs nazies, soyez là, soyez présents et empêchez les !" Les guitares vrombissent et tout l’Olympia lève un doigt quand le refrain se répète 10, 20 fois, "la jeunesse emmerde le Front National."

Loran Béru se souvient de la création de la chanson. "C’était en 1984, pour la première fois dans l’histoire, il y avait un parti d’extrême droite qui faisait un score à deux chiffres, ça a été un choc. Le Front National de Jean-Marie Le Pen était à 11 %. C’était une action directe, on ne pouvait pas laisser passer. Je tolère tout, sauf l’intolérance."

Mais hier, sa fille Marine Le Pen a rassemblé 13 millions de voix, 5 millions de plus qu’en 2017. Et Loran a peur que la jeunesse n’emmerde plus vraiment le Front National, devenu Rassemblement National.

"Il y a beaucoup de désinformation, de banalisation remarque le guitariste. C’est un peu comme dans le conte de Grimm. L’histoire du loup qui pénètre dans la bergerie en mettant de la farine sur sa patte. Ce n’est pas parce qu’il fait moins peur qu’il est moins dangereux."

Ordina tueur

"Ça ne doit pas être facile d’être jeune, constate Loran, les espaces de liberté ont fondu comme la banquise. Est-ce que les Béru auraient existé à l’époque d’internet s’interroge-t-il ? On était à contre-courant, on aurait été hachés, découpés en morceaux. J’ai l’impression qu’on régresse énormément. La différence est prohibée. Sur les réseaux sociaux, il y a des gens qui se prennent la tête. Il y a de la méchanceté, de l’agressivité, mais pas de débat. On ne peut pas construire des choses comme ça."

La chanson Porcherie avait été écrite en référence au film du même nom de Pasolini. Au départ, comme le cinéaste italien, Bérurier noir parlait du monde et de ses travers. "Les hommes se comportent comm'des porcs  (...) Nous sommes à l'heure des fanatiques (...) Le Tiers-Monde crève les porcs s'empiffrent "

"Malheureusement, soupire Loran, les choses n’ont pas changé. L’extrême droite grossit, prend des forces et ça nous pend au nez qu’elle arrive au pouvoir Pour un pays qui est fier d’être le pays des droits de l’homme, on a un peu de mal à accueillir les migrants. "

En novembre 1989, lors des trois derniers concerts des Béru avant la séparation  du groupe le 11 novembre, la salle martelait : "Jeunesse française, jeunesse immigrée, solidarité ! "

"Tous les morceaux des Béru, c’est une histoire qui nous a marqués, comme un tatouage" explique Loran et depuis 38 ans, cette chanson est de toutes les manifestations contre l’extrême droite. Ce week-end, Porcherie a tourné en boucle sur les réseaux sociaux… il y a encore bien des jeunes et des moins jeunes qui emmerdent le Front National.

"Mais aujourd’hui, on fait de l’élevage d’artistes en batterie déplore le guitariste. Le problème c’est que la culture est domptée. On offre aux jeunes groupes des locaux de répet, et il y a un type qui passe qui leur dit, c’est bien ce que vous faites, et on leur propose un coach qui leur apprend une attitude, et on leur fait un plan de carrière. Et ça, ça tue la musique, un artiste doit être libre ! Dans les dictatures, les premiers qu’on enferme ce sont toujours les écrivains, les poètes … "

Loran n'a pas changé ses convictions. Depuis 16 ans maintenant, il joue avec les Ramoneurs de menhir avec lesquels il reprend La Blanche hermine de Gilles Servat. 

  Basique, simple

Ce 24 avril, Loran a évidemment suivi les résultats de ce second tour de la présidentielle. "Maintenant, espère-t-il, les gens commencent à réfléchir. Il va falloir changer les choses, et sans doute prendre en compte le vote blanc. Si les gens ne sont pas contents du choix qu’on leur propose, ils votent blanc et on va chercher d’autres candidats, ça donnerait de l’espoir."

"Les dictatures s’affirment, les rapports de force sont constants remarque l’artiste, mais je n’ai pas envie de fermer les yeux. Je souffre de voir la réalité et de voir qu’il ne se passe rien. Tu vois que ça s’écroule devant toi… heureusement qu’il y a les concerts ! "

Ca fait plus de 40 ans que Loran joue sur scène, "si notre rôle est quelque part, il est là, fédérer la tribu."

Je suis un Yes Future

Loran Béru, guitariste

Le punk rockeur ne la joue pas gros dur, ce n’est pas le genre de la maison. "On ne peut pas accepter un système où l’argent est plus important que nos enfants. La solution pour l’écologie, ce n’est pas compliqué, c’est la décroissance, il faut qu’on consomme moins, ou alors c’est qu’on n’en a rien à foutre de nos gosses. Comment on va leur dire qu’on n’a rien fait ? "

"Je ne prône pas la révolution parce que ça tue les gens, mais je prône l’évolution, comme ça, on commence à réfléchir. Pour les enfants, il faut rester positif. On se battra jusqu’au bout, et tant pis si on finit en lambeaux. Tant qu’il y a de bonnes personnes, tant que je respire, tant qu’il y a des fleurs, des papillons, tant qu’on vit et tant qu’il y a la musique et des riffs de guitare. Je suis un Yes Future !"    

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