Devenir développeur web ou acquérir des compétences numériques, voilà ce que propose depuis la rentrée de septembre 2019, l’institut Marie-Thérèse Solacroup à des jeunes de 18 à 30 ans aux profils atypiques ou en décrochage scolaire.
Constatant que les métiers du numérique avaient besoin de main d’œuvre sur le pays malouin, mais que paradoxalement aucune formation gratuite et ouverte à tous n’existait sur place, l'institut Marie-Thérèse soutenue par la fondation Solacroup Hébert dont la vocation est l’éducation et l’insertion des jeunes, a décidé de combler ce manque. Avec succès !
Les "corsaires"
Entre eux, ils se nomment les "corsaires"… Ils sont 31… Morgane Vergonjeanne était dans la restauration, elle avait envie de changer de vie. Rony Lebailly travaillait chez PSA, mais passionné d’imprimantes 3D, il rêvait de devenir "Fab manager". Quentin Loustau, après un BTS informatique et un échec en licence, n’imaginait pas rester enfermé chez lui pendant des mois avant de trouver un emploi. Pauline Fontaine, elle, avait quitté l’école à 16 ans. Autiste Asperger, elle souhaitait créer ses propres jeux vidéos.
Après huit années d’inactivité, la voilà de nouveau en phase d’apprentissage. "C’est vraiment un grand coup de chance, cela faisait longtemps que je cherchais une formation en informatique, et là ça m’est tombé dessus comme ça" se réjouit la jeune femme qui a retrouvé confiance en elle, en ces quelques premiers mois. Leurs profils sont très divers mais leur envie d’apprendre est la même.
L'éducation et l'insertion, via le numérique
Depuis le mois de septembre, ils ont rejoint le cadre exceptionnel de l’Institut Marie-Thérèse Solacroup à Dinard, un parc de 4,5 ha face à la mer, avec un château du XIXème siècle et une serre remarquable. Ils profitent ainsi de l’héritage d’une femme née en 1892 qui a consacré toute sa vie aux problèmes d’assistance et d’action sociale, notamment en faveur de l’enfance et de la jeunesse et qui a eu à cœur de voir son œuvre se poursuivre. Elle a ainsi légué tous ses biens à une fondation qui porte son nom et qui a été reconnue d’utilité publique en 1970. Une fondation qui a pour vocation l’éducation et l’insertion des jeunes.
Les "corsaires" suivent donc soit une formation diplômante de développeur web, soit le cursus "tremplin vers le numérique", un parcours à la carte adapté aux projets de chacun, à leurs goûts, et leurs capacités. Julia Levavasseur, autiste Asperger âgé de 23 ans venait d’un Bac pro et souhaitait approfondir ses connaissances numériques. Ce jour-là, Grégoire Jalenques, coordinateur pédagogique, lui présente les exercices qu’elle va devoir réaliser en autonomie sur son ordinateur : du codage html.
Les connaissances sont acquises au fil des projets menés chaque semaine, menés collectivement ou individuellement et encadrés par des tuteurs. "On nous explique ce qu’on fait à la semaine, on accède au programme via un serveur, c’est clair, j’ai besoin de clareté" nous précise la jeune étudiante très enthousiaste. Comme Julia, ils sont douze autistes Asperger impliqués dans ce programme qui leur offre un cadre de travail adapté. "On est chacun pris tel qu’on est avec nos difficultés, nos forces, ils aménagent nos emplois du temps, nous laissent prendre des pauses. Quand on a besoin de décompresser, on peut prendre le temps, sortir, face à la mer, souffler" raconte Nicolas Lebé, immédiatement soutenu dans son propos par Julia "on est vraiment chanceux d’être dans ce cadre idyllique". Certains d’entre eux ont même l’opportunité d’y être internes.Il faut que les personnes ne soient pas perdues, qu’elles puissent prendre du plaisir, car c’est vraiment important pour bien apprendre et surtout, il faut qu’elles voient comment elles évoluent, comment elles progressent.
Pendant ce temps, dans le Fab Lab, Kevin Bardoux propose des démonstrations d’utilisation des machines numériques dernier cri, comme l’imprimante laser. Ici pas de théorie, ni de cours magistral, de la pratique avant tout. "C’est en faisant qu’on apprend" nous précise le formateur. "La différence c’est qu’ils sont plus vite autonomes, ils sont aussi plus demandeurs, ils deviennent moteurs de leur formation, ils ne sont pas juste là à attendre qu’on leur transmette un savoir dont ils ont plus ou moins besoin, on leur distille à leur demande les connaissances dont ils ont vraiment besoin. "
Dans la serre à proximité, Gilles Gonon, ingénieur et doctorant en informatique, accompagne les projets des futurs diplômés. "Ils viennent tous comme ils sont, ils étaient parfois loin du milieu de l’informatique, et pour moi, c’est très stimulant intellectuellement de savoir comment leur transmettre ce savoir, leur apprendre aussi à apprendre, car ils devront se mettre à jour toute leur vie professionnelle. En plus, ils s’aident beaucoup entre eux et c’est très sympa." Cet esprit d’entraide, c’est ce qui plaît à Quentin Loustau. "Y’a un partage de connaissance, on est deux groupes mais en fait, c’est plus une grande famille, on travaille ensemble, on échange, on rigole. C’est pas du coup comme dans une école classique, où on serait dans une classe, là on est plutôt en mode entreprise." Rony Lebailly confirme "On apprend beaucoup de chacun, et si on est un peu autodidacte, ça marche super."
Un état d’esprit dont avait rêvé la directrice de l’IMTS Catherine Leguay. En poste depuis un an et demi, c’est elle qui a mis en place cette formation, avec l’idée d’être innovante, mixte et surtout ouverte à tous. "On accueille des profils atypiques, mais pas que. Ça va bien au-delà de l’inclusion, c’est une rencontre et nous vivons une aventure humaine incroyable" se réjouit-elle après quelques mois de pratique. Bien sûr, une formation aussi souple et adaptée exige beaucoup d’énergie, "mais c’est eux qui nous transmettent cette énergie". A la fin du cours de yoga, Etienne Porhel le psychologue nous confirme sa vision des choses.
À l’issue de cette première promotion et des stages des uns et des autres dans les entreprises partenaires, se posera la question de "l’après". Catherine Leguay a encore beaucoup de projets pour ses "corsaires" et surtout une volonté très vive de ne pas abandonner ces étudiants dans une situation incertaine ou sans emploi. "Pour moi, ça passe par la mise en place d’un cadre pour permettre les emplois à temps choisi". Une ambition qui exigera certainement encore beaucoup d’énergie mais qui pourrait permettre à tous ces jeunes atypiques de construire eux même leur parcours professionnel.Toutes les formations devraient être comme ça, pas un moule dans lequel on doit rentrer. Il faut comprendre les jeunes, les accompagner au mieux, être à l’écoute de leurs besoins. C’est un des vrais plus de cette formation.