Entre les fêtards attachés à leur liberté et les maires qui relaient l'exaspération des habitants, l'Ille-et-Vilaine réfléchit à encadrer les "free parties" qui se tiennent par dizaines chaque année sur le département. Des groupes de travail vont voir le jour pour tenter de trouver un terrain d'entente.
"On ne veut pas être encadré", souffle Pierre, 24 ans, bouc bien taillé, qui a requis l'anonymat. Lampe sur le front, il s'affaire au milieu de la nuit dans un hangar désaffecté à Louvigné-du-Désert, au nord de Rennes, avec une trentaine de comparses pour empiler en deux heures chrono caissons de
basse et décors de plusieurs mètres de haut. C'était le week-end du 6 novembre. Le jeune "teufeur" se dit toutefois ouvert à "des solutions" mais "si on fait tout de A à Z et qu'on n'a pas quelqu'un au-dessus de nous qui nous dit quoi faire". Pierre et son "sound system" organisent bénévolement depuis 2019 en Bretagne des "free parties" ("fêtes gratuites" ou "libres" en anglais), où la musique techno résonne quelques heures, voire jusqu'à deux jours.
Des fêtes clandestines
Clandestines, contrairement aux raves-parties avec lesquelles elles sont parfois confondues, ces fêtes s'installent souvent illégalement dans des champs agricoles, forêts ou autres friches industrielles, réunissant de quelques dizaines à plusieurs milliers de participants. Selon Benjamin Rochefort de la Coordination nationale des sound systems, qui sert d'interface entre organisateurs et pouvoirs publics, "la Bretagne a connu une "explosion du nombre de fêtes", poussant les organisateurs et les autorités à reprendre des discussions sur leur encadrement".
"Ça finira mal"
Si certains maires sont prêts à accueillir des fêtes sur leur commune à certaines conditions, d'autres défendent le "droit à la tranquillité" de leurs administrés. Outre les nuisances sonores et les dégâts occasionnés par ces rassemblements, Pierre-Yves Reboux, maire de la commune rurale de Val d'Anast, au sud de Rennes, dénonce les "intrusions" d'une "horde qui débarque sans autorisation". "Un jour, ça finira mal : les agriculteurs sont outrés de voir cette pénétration sur des biens privés, le saccage de cultures qui sont coûteuses", proteste-t-il.
Malgré la tenue de "jusqu'à huit raves parties" par an à Bovel, son maire José Mercier est lui partisan d'une autre approche. S'il reconnaît que les "populations (sont) excédées", il propose de lister les
lieux susceptibles d'accueillir des fêtes sur le département, afin "d'assurer une rotation des sites" et de "réduire l'impact psychologique" pour les habitants qui seraient "avertis en amont".
Des groupes de travail pour réfléchir ensemble
La préfecture a de son côté annoncé "la création de deux groupes de travail afin de co-construire des solutions concrètes" qui seront restituées "à la fin du premier trimestre 2023" et a indiqué que la proposition du maire "pourra être étudiée" dans ce cadre.
Saluant la "reprise du dialogue" avec les autorités, en particulier les maires, M. Rochefort, le médiateur, fonde dans cette initiative "de gros espoirs". "On verra si M. Mercier réussit à en convaincre suffisamment pour que ça soit un succès", ajoute-t-il. Cette solution locale ne s'appliquerait qu'aux fêtes "dont l'effectif prévisible ne dépasse pas 500 personnes", soit "85%" des fêtes en Bretagne, selon lui.
Au-delà de ce seuil fixé par la loi, les organisateurs sont tenus de demander une autorisation préfectorale. "Il va falloir que tout le monde fasse des sacrifices", ajoute Pierre, qui reconnaît que les solutions proposées "n'iront pas à tous les organisateurs, mais une partie serait prête à jouer le jeu".
"Décompresser"
Forte de ses plusieurs centaines de participants, la free party de Louvigné-du-Désert resterait, elle, soumise à autorisation, à l'opposé des modalités d'organisation actuelle de ces rassemblements.
Pour atteindre l'entrepôt, les fêtards ont suivi en voiture des coordonnées GPS transmises via une application de messagerie cryptée, avant de pouvoir laisser éclater leur joie vers 1H30 quand résonnent les basses. "Je comprends que ça puisse saouler les riverains, mais c'est une soirée de temps en temps, on a tous été jeunes", s'exclame Julie, étudiante infirmière de 21 ans. "C'est mon moment pour décompresser", ajoute-t-elle. "Si on pouvait le faire légalement, on le ferait".