Les pharmacies du grand Ouest (neuf départements) viennent de faire parvenir une pétition signée par quelque 120 000 personnes au Président de la République. Les pharmaciens s’inquiètent de voir les tiroirs de certains traitements demeurer désespérément vides et demandent à l’État d’agir.
Ces derniers temps, quand un patient pénètre dans son officine, Philippe Ferron a la boule au ventre. "Je me demande si je suis en possession des médicaments qui sont inscrits sur son ordonnance, explique le co-président Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France en Ille-et-Vilaine. Avant, on ne vivait pas cela."
En 2023, 5 000 médicaments ont été déclarés en rupture ou en risque de rupture de stock. Deux fois plus qu'en 2021. Quand il ouvre la porte de son frigidaire, le pharmacien est bien obligé de constater. Il lui reste, en tout et pour tout, une boîte de traitement du diabète. "Il m’en faut 10 à 15 par mois pour les malades. Je n’en reçois que deux ou trois, se désole-t-il. Cela veut dire que des patients vont devoir changer de traitement ou faire des kilomètres pour espérer trouver une boîte. C’est compliqué, constate-t-il. Nous, nous sommes là pour soigner les gens, pas pour gérer les pénuries."
La #FSPF était présente au Comité de pilotage sur les pénuries de médicaments, avec @CaVautrin @RolandLescure et @fredvalletoux . La feuille de route pour assurer la disponibilité des médicaments et la souveraineté industrielle a été présentée. Beaucoup d'intentions 👉🏼… pic.twitter.com/DTOSoMvm1N
— FSPF (@fspfsyndicat) February 21, 2024
"Allô maman bobo"
Dans la semaine, il a pourtant été confronté à plusieurs reprises au manque de remède. La pénurie concerne à la fois des antibiotiques, des médicaments pour le cœur, le cancer. "Quand c’est pour une maladie bénigne, on essaye de trouver des solutions, on téléphone au médecin, (les pharmaciens ne sont pas autorisés à modifier d’eux-mêmes une médication), si c’est le soir ou le week-end, que le médecin est injoignable, nous sommes obligés de renvoyer le patient vers un autre praticien ou vers les urgences… Mais s’il s’agit d’une ordonnance pour une maladie chronique, les personnes sont habituées à leur traitement, elles le connaissent. On ne peut pas tout modifier comme cela."
Cette semaine, pour faire face à ces difficultés, le gouvernement a suggéré que les médecins prescrivent en fonction des stocks. Philippe Ferron s’en étranglerait.
"Quand ils choisissent telle ou telle molécule, c’est en fonction du malade, de sa pathologie ; c’est en suivant les recommandations de la Haute autorité de santé, cela ne peut pas se faire en s’inquiétant seulement de ce que l’on peut avoir dans nos armoires."
Les patients s’impatientent
Depuis le mois d’août dernier, Christiane Aubrée a vu la pénurie s’installer progressivement. Elle souffre d’un diabète de type 2 et a besoin d’un traitement. "Ma pharmacienne m’a dit, je n’en ai pas. Il va falloir aller chercher ailleurs. Elle m’a donné des adresses de confrères, des numéros de téléphone. Mais des fois, il faut faire 25 km autour de Rennes pour aller chercher une boîte."
Et pas question de faire des réserves, le médicament n’est délivré qu’une fois par mois, alors au bout d’une vingtaine de jours, Christiane se met en chasse… "Moi, ça va, dit-elle, j’ai une voiture, je me déplace, mais pour les personnes âgées, cela peut devenir vraiment compliqué."
"Ce traitement est vital pour les diabétiques, rappelle Dominique Lemaire, président de l’Association des diabétiques d'Ille-et-Vilaine. Si une personne ne le prend pas pendant deux mois, il va déséquilibrer son diabète, il lui faudra un an, un an et demi avant de le rééquilibrer. Cela veut dire qu’elle sera en difficulté pendant des mois. Ce traitement, c’est leur vie."
Un problème économique ?
"On essaye de faire tout ce qu’on peut pour trouver des solutions pour les malades, mais quand nos fournisseurs n’ont pas le médicament, nous sommes coincés", constate Philippe Ferron. Il passe désormais au moins deux heures par jour pour suivre les disponibilités. "Avant, je suivais une dizaine de produits que l’on savait en tension, décrit-il. Aujourd’hui, j’en suis 600".
Dérégulation du maillage, libéralisation de la vente en ligne des médicaments, négociations économiques en panne, la coupe est pleine !
— USPO - Pharmaciens d’Officine (@USPO_Pharmacies) February 16, 2024
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"On nous dit qu’il y a pénurie parce que la demande augmente. Si désormais sur la planète tout le monde a accès aux traitements, c’est bien… mais la vraie raison, le pharmacien la pense ailleurs. Ce qui nous pénalise, c’est le prix. En France, on a une politique du médicament pas cher, c’est bien pour les comptes de la Sécurité sociale, mais quand nos fournisseurs passent des commandes, ils passent en dernier face à la demande mondiale ", déplore-t-il.
Il demande donc à l'État d'augmenter le prix des médicaments et de relancer la production de médicaments dans l'hexagone.
Mais le mal est profond et les pharmaciens inquiets. Pour la santé de la population et pour leur profession. "Nous sommes une économie fragile, précise Philippe Ferron. Dans notre pays, une pharmacie ferme ses portes chaque jour."
La pétition signée par 120 000 personnes dans le grand Ouest doit être arrivée sur le bureau du Président de la République. Les pharmaciens demandent des mesures. Vite !