Plan de lutte contre le mal être en agriculture. "Il faut qu’on brise le silence"

Marie-Hélène Lemonnier fait partie des premières Sentinelles en Bretagne. Productrice de lait, elle a suivi une formation pour repérer, évaluer et intervenir les signes de mal être de ses collègues. En France, selon les données de la MSA, deux agriculteurs se suicident chaque jour en France. Aujourd’hui, on compte 3 000 Sentinelles, l’objectif est d’atteindre le chiffre de 5 000 d’ici la fin de l’année 2023.

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"Tiens, le laitier a trouvé le tank vide chez tel éleveur." Cela veut peut être dire qu’il ne trait plus ses vaches. "Tu as vu ? Untel n’a pas encore semé son maïs… comment il va ?"" Et dans la ferme là-bas, la boite aux lettres déborde "… C’est souvent parce qu'on ne va plus chercher le courrier, de peur de n’y trouver que des factures et des lettres de relance. Marie-Hélène Lemonnier est à l’écoute de chaque petit détail qui peut être annonciateur d’un mal être. Quand elle a suivi la formation pour devenir Sentinelle en 2017, ils étaient une quinzaine dans la salle et "chacun d’entre nous avait vécu un drame dans son entourage", se souvient-elle."On avait tous envie que les choses changent." 

Des Sentinelles pour veiller 24h sur 24 

Pendant trois jours, ils ont appris à repérer les signes de détresse chez les personnes alentours. Des petits gestes, des petites phrases. "Quand une personne voit le suicide comme une solution à un problème, le voyant rouge doit s’allumer ", explique Marie-Hélène. "Quand les gens sont fatigués, qu’ils font des insomnies, qu’ils tiennent des propos dévalorisants, du genre, "j’en peux plus", "bientôt je ne vous embêterai plus ",ou quand les gens se noient dans l’alcool, il faut agir",  continue-t-elle.

Marie-Hèlene veille. Discrètement mais tout le temps. "Quand on est Sentinelle, on l’est 365 jours par an" dit-elle en souriant. "On tombe sur des collègues dans le bourg, on les croise dans les Cuma ou on les retrouve au moment des  ensilages ou lors des Assemblées générales des coopératives." Elle observe, tend l’oreille.

Ecouter et comprendre

Parfois, c’est l’agriculteur lui-même qui appelle ou qui passe voir Marie-Hélène. D’autres fois, elle est prévenue par un parent, un voisin, le vétérinaire, le laitier et elle intervient, comme elle le peut.  Un coup de téléphone, une visite, une approche par quelqu’un qui le connait. Elle s’adapte à la situation et à son urgence.

"Nous ne sommes pas des pros, confie Marie-Hélène, en tant que sentinelle, notre rôle c’est de signaler, de dire que des solutions existent, d’écouter, de comprendre."

 

"On n’est pas des pros, mais on connait le métier. On sait les difficultés, les heures de travail, les caprices de la météo, les galères de la paperasse. On sait tout cela et l’agriculteur face à nous sait que l’on sait. Alors quand on s’assoit à table pour boire un café, on parle de la même chose. Nous, on écoute, et on essaye de faire comprendre à la personne qu’elle a besoin d’être aidée. Il faut que l’on brise le silence autour de ce mal être", répète l'éleveuse.

Elle s’efforce alors d’utiliser les bons mots, les bonnes phrases. "Je t’entends"," je te comprends". "Quand on n’est pas bien on perd l’estime de soi, on se renferme, on ne voit personne et le danger se rapproche. Il faut dire que ça va mal. Ne pas rester seul."

En 2019, selon la MSA, 605 agriculteurs se seraient donné la mort, presque deux par jour.

Deux suicides par jour

Car la démographie agricole n’arrange pas la situation. En 2005, on comptait 35 000 exploitations en Bretagne.En 2021, il n’en restait que 25 000. "Résultat, analyse Marie-Hélène, les fermes sont de plus en plus grosses et exigent donc de plus en plus de travail. Cela engendre des risques d’épuisements physiques, qui peuvent à leur tour créer des soucis au niveau familial… si l’on ajoute à cela des difficultés économiques, un accident de la vie comme un deuil ou une maladie, une crise sanitaire comme la grippe aviaire qui sévit en ce moment, certaines personnes peuvent avoir l’impression de perdre pied. Il suffit alors d'un petit rien, un tracteur qui tombe en panne, une vache malade et..."

Sabrina Le Bihan, est travailleuse sociale à la Mutualité Sociale Agricole des Portes de Bretagne. Elle prend le relais des Sentinelles. "Si la personne qui ne va pas très bien est d’accord pour nous contacter, la Sentinelle donne nos coordonnées. Si elle n’est pas en état de le faire, la Sentinelle lui demande l’autorisation de nous alerter. Ensuite, nous l’orientons en fonction des besoins vers les services médicaux, sociaux ou administratifs ", décrit-elle.

Des maillons de la chaine

"Les Sentinelles ont un rôle capital pour détecter les éventuels problèmes expose Sabrina Le Bihan. Quand nous intervenons, nous sommes des travailleurs sociaux de la MSA. Les Sentinelles, elles, ce sont des voisins, des proches. C’est une autre relation."

"C’est souvent plus facile, mais pas toujours",  tempère-t-elle aussitôt." Vis-à-vis des collègues, ça reste tabou, c’est difficile de dire qu’on ne va pas bien quand on voit que dans la ferme d’à côté ça roule."

"Certains préfèreront se confier à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, qui habite loin. Dans le milieu rural, on a parfois peur que tout se sache, le regard de l’autre peut avoir beaucoup d’importance. Ce qui est important c’est que chacun puisse trouver une oreille attentive."

Les travailleurs sociaux s’efforcent ensuite de leur montrer qu’il existe des choses possibles. Des accompagnements, des aides financières. "On les prévient tout de suite que l’on ne peut pas agir sur les prix de vente du lait ou du porc, mais on peut être là", souligne Sabrina Le Bihan. Quand on est dans le tunnel, on oublie parfois qu’il y a une lumière au bout.

La MSA propose ainsi des sessions de travail sur l’"épuisement professionnel", sur des questions comme "Continuer ou se convertir", ou sur "l’accompagnement aux changements".

"L’avantage, c’est qu’alors, les agriculteurs se retrouvent à plusieurs et s’aperçoivent qu’ils ne sont pas les seuls à vivre telle ou telle difficulté et cela permet de changer de regard sur sa situation, de se dire qu’on n’est pas forcément le seul responsable de la situation et que si on en est là c’est parce qu’on n’a pas su faire."  

 

3 000 Sentinelles en France

Depuis 2017, 160 sentinelles ont été formées en Ille-et-Vilaine et dans le Morbihan. 3 000 en France. Les salariés des entreprises qui interviennent dans les fermes, comme les inséminateurs, les vétérinaires, les contrôleurs laitiers vont eux aussi pouvoir devenir Sentinelles. Marie-Hélène repense souvent à l’appel de la sœur d’un agriculteur. Leur mère venait de mourir, il se noyait dans les soucis. Marie-Hélène est intervenue et se dit parfois qu’elle lui a peut être sauvé la vie."Plus il y aura de gens à être vigilant, plus on sauvera des vies, espère-t-elle. On ne peut pas rester inactif !"

Agri écoute 09 69 39 29 19

 

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