Le 12 octobre, le Planning Familial de Rennes fête ses 50 ans. Il sensibilise chaque année 25 000 femmes. Créé en 1965, alors que ni la contraception, ni l’IVG n’étaient autorisées, le Planning a accompagné le combat des femmes pour leurs droits. Retour sur les années 65-80.
Pousser la porte du Planning Familial de Rennes (situé 11 Bd Maréchal De Lattre de Tassigny) reste encore pour certaines femmes, un geste difficile. Car si on vient aujourd’hui au Planning pour des actes relativement banals, comme une prescription de pilule, la structure aide aussi les femmes qui veulent interrompre une grossesse non souhaitée, celles qui ont contracté des maladies sexuellement transmissibles et depuis, les années 80, des femmes victimes de violences conjugales ou sexuelles. Pour les écouter, une vingtaine de salariées, médecins, conseillères, psychologues et autant de bénévoles qui interviennent aussi dans les quartiers ou en milieu scolaire.
Depuis 50 ans, le Planning Familial qui se veut « féministe et d’éducation populaire » a accompagné des milliers de femmes dans leurs combats pour leurs droits et son rôle a souvent été déterminant.
Premiers combats
L’association voit le jour à Paris en 1956. Le planning s’appelle alors « la Maternité Heureuse ». Il regroupe des militants qui veulent faire changer la loi de 1920, une loi qui interdit l’avortement et tout recours à un moyen contraceptif. Quatre ans plus tard, l’association prend le nom de Planning Familial.
Des antennes ouvrent partout en France et notamment en Bretagne, à Brest, Quimper, St Brieuc ou Lorient. Curieusement, ce n’est qu’en 1965 que Rennes accueille son premier centre, bd Magenta (mais c’est 9 place de Bretagne qu’il restera le plus longtemps : 24 ans de 1976 à 2000). Le poids important de l’Eglise et des milieux conservateurs aurait à l’époque freiné l’implantation du Planning.
Dans les années 60, la contraception n’est toujours pas autorisée mais le Planning procure néanmoins diaphragmes, pilules et spermicides venus des Etats-Unis. Dès 1966, il va jouer aussi un rôle primordial et pionnier en France pour l’éducation sexuelle des jeunes en lien avec l’Ecole nationale de Santé Publique.
La loi Neuwirth en 1967
En 1967, la loi Neuwirth autorise enfin la contraception mais l’avortement lui, reste interdit et sévèrement réprimé. Chaque année, des centaines de femmes partent à l’étranger pour subir une IVG. C’est le cas de Nicole Kiil-Nielsen une jeune étudiante de 20 ans qui se rend à Londres en 1969 pour avorter. « Là, j’ai découvert que mon problème était celui de beaucoup de femmes puisque nous étions un bon groupe de Françaises ce jour-là et j’ai appris que c’était tous les jours la même chose. Moi qui avais déjà une sensibilité féministe après avoir lu Simone de Beauvoir, j’ai décidé de me battre. »
A Rennes, des membres du Planning Familial se mettent parfois hors-la-loi pour aider les femmes qui veulent partir à l’étranger. En 2006, Monique Poupaud, une ancienne militante du Planning confiait ses souvenirs à France 3 : « Les femmes qui venaient nous voir étaient nombreuses. Toutes les semaines, dans les années 70-72, on avait des réunions au Planning avec des groupes de femmes qui décidaient de partir en Angleterre, tout milieu social confondu. On avait tellement le désir de changer les choses que finalement on n’avait pas peur. On risquait pourtant la fermeture du centre. »
D’autres, moins fortunées ou moins culottées font appel à des « faiseuses d’anges » et prennent des risques considérables pour leur santé.
Avorter au péril de sa vie
A l’époque, Olivier Bernard est étudiant en médecine à Grenoble. Lors d’un stage à l’hôpital, il voit arriver des dizaines de femmes, victimes d’infections et de septicémie liées à un avortement clandestin. « En l’espace de 4 mois, j’en ai vu mourir plusieurs. Leur souffrance m’a impressionnée mais aussi l’hypocrisie et le jugement du corps médical par rapport à elle. Elles étaient considérées comme des femmes qui avaient fauté, des femmes de mauvaise vie et cela a été le déclic. »A Rennes, aussi, une jeune femme meurt après avoir avorté dans la clandestinité. Elle s’appelle Clotilde Vautier, elle a 29 ans, est artiste-peintre, lauréate de nombreux concours. A l’époque, son entourage affirme qu’elle a succombé à une péritonite. C’est sa fille, Mariana Otéro qui en 2003, dans un documentaire « Histoire d’un secret » révélera la vérité. Mais pour une histoire connue, combien de femmes anonymes ont perdu la vie ? Difficile de le savoir car à l’époque, il n’existe aucune statistique. Le Planning parle d’un nombre d’avortements proche des 800 000 annuel.
Des événements déterminants
Trois événements vont précipiter les choses et obliger l’Etat à légiférer en faveur de l’IVG .
- En avril 71, 343 femmes parmi lesquelles Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, l’avocate Gisèle Halimi ou les actrices Catherine Deneuve et Jeanne Moreau affirment publiquement avoir eu recours à l’avortement. Le « Manifeste des 343 » qui parait dans le Nouvel Observateur a été rédigé par Simone de Beauvoir : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »
Un exemple de désobéissance civile qui incitera deux ans plus tard 331 médecins français à signer un manifeste pour la liberté de l’avortement.
- Le deuxième événement est le procès de Bobigny. En octobre 72, Me Gisèle Halimi obtient la relaxe de Marie Claire, une jeune fille de 16 ans qui a avorté suite à un viol, aidée par sa mère et trois autres adultes.
- Enfin troisième événement, l’interpellation à Grenoble en mai 73 du Dr Annie Ferrey-Martin, médecin et militante pro IVG accusée d’avoir aidé une jeune fille de 17 ans à avorter. 10 000 personnes descendent dans la rue pour la soutenir. Elle bénéficiera finalement d’un non-lieu.
Les Bretonnes s’en vont en lutte
En Bretagne, comme partout ailleurs, les femmes s’organisent et se rassemblent pour faire entendre leurs voix. Des groupes se créent comme "Choisir" qui dès le début de l’année 73, organise des avortements illégaux à Rennes. Officiellement, le Planning familial ne veut pas se mettre hors la loi et n’encourage pas ces pratiques mais, en réalité, il fournit une partie du matériel. Le reste est acheté en Angleterre ou volé à l’hôpital grâce à la complicités d’infirmières. Les IVG sont pratiquées selon la méthode Karman du nom du psychologue américain qui l’a mise au point. Elle a été introduite en France, à Grenoble d’abord (où sont pratiqués les premiers avortements illégaux dès 72), par le Dr Bernard qui est allé se former en Angleterre. Au lieu de racler l’utérus, on aspire son contenu à l’aide d’une canule et d’une seringue. Une technique simple pour laquelle la présence d’un médecin n’est pas nécessaire. Seule contrainte, les femmes doivent être à moins de huit semaines de grossesse. La permanence est installée rue St Michel : « Les femmes qui étaient enceintes et voulaient avorter venaient ici se renseigner et elles décidaient collectivement qui pouvait bénéficier d’un avortement sur place avec la méthode Karman ou qui devait partir en Angleterre ou en Hollande », raconte Lydie Porée auteure avec Patricia Godard de « Les femmes s’en vont en lutte, histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965-1985) ».
Nicole Kiil-Nielsen se souvient : « un jour, nous étions en bas de l’ appartement d’une amie. Dans son appartement, des étudiants en médecine pratiquaient une IVG et nous en bas dans la rue, on distribuait des tracts en annonçant avec un mégaphone qu’ici se pratiquait un avortement. »
En 73, une centaine d’avortements sont ainsi réalisés à Rennes.
Vers l'autorisation de l'avortement
En 73 et 74, les pro-IVG, membres de Choisir ou du MLAC, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception descendent dans la rue à plusieurs reprises. Pour soutenir le Dr Ferrey-Martin d’abord ou pour organiser des événements comme les 4 heures pour l’avortement et la contraception en mars 74. A Rennes, ils projettent aussi un documentaire sur l’avortement, « Histoire d’A », qui rassemble, malgré la présence des forces de l’ordre, un millier de personnes mais provoque la colère des mouvements anti-IVG comme « Laissez-les vivre ».
Mais l’histoire est déjà écrite et il n’y aura pas de retour en arrière. En France, les pro-avortements ont été entendus au plus haut niveau de l’Etat : le 14 novembre 74, Simone Veil dépose un projet de loi autorisant la femme à interrompre sa grossesse jusqu’à la 10éme semaine. Mais il subsiste des restrictions : seul un médecin est autorisé à pratiquer l’IVG qui n’est pas remboursé par la sécurité sociale. Des médecins qui peuvent faire jouer la clause de conscience. La loi est votée le 4 décembre 74 mais si les pro-avortements ont gagné une bataille essentielle, ils n’ont pas encore gagné la guerre. Surtout à Rennes !
Les résistances rennaises
Car à Rennes, l’application de la loi Veil va se heurter dès l’année 75, à un certain nombre de résistances. Dans une région conservatrice (seuls 2 parlementaires d’Ille-et-Vilaine ont voté pour la loi Veil, 7 ont voté contre), ou l’Eglise a fait campagne dans les médias contre le projet de loi, une partie des médecins va aussi s’opposer à l’IVG. A leur tête, le Pr Toulouse, l’influent chef du service gynécologie de l’Hôtel-Dieu. Il voit d’un très mauvais œil l’ouverture d’un centre IVG, invoque pour lui-même la clause de conscience et exige que les médecins qui pratiquent les IVG soient des volontaires vacataires. Bien peu de gynécologues oseront provoquer le puissant patron. Seul le Dr Caillet qui exerce dans une clinique privée va pratiquer les IVG début 75.
En mars, des centaines de femmes continuent d’aller avorter à l’étranger aidées par le Planning Familial qui essaye de faire appliquer la loi par tous les moyens, sans grand succès.
Des médecins volontaires pour pratiquer les IVG
Ce sont des médecins non gynécologues, un neurologue, le Dr Sabouraud et un néphrologue, le Dr Chevet, qui vont finalement précipiter les choses en se déclarant volontaires pour pratiquer des IVG. Un centre IVG ouvre finalement le 21 avril 75, dans le pavillon Bernard, un bâtiment vétuste et excentré de l’Hôtel-Dieu où les conditions d’accueil ne sont pas idéales. C’est ce que découvre le Dr Bernard lorsqu’il vient exercer à Rennes en 1976 mais le médecin garde surtout en mémoire la chaleur avec laquelle le personnel soignant recevait les femmes. D’avril à décembre 75, les 9 médecins vont pratiquer 400 IVG.
Le pavillon Bernard fonctionne jusqu’en 1982 date à laquelle, le centre est transféré dans une aile de l’Hôtel-Dieu, un peu mieux adaptée. En 2009, après la fermeture de l’Hôtel-Dieu, c’est l’Hôpital Sud qui est choisi pour accueillir le centre IVG. On y pratique aujourd’hui entre 1800 et 2000 IVG par an.
A Rennes, les dernières manifestations auront lieu en 1982 pour demander le remboursement de l’IVG par la Sécurité Sociale. Le Planning Familial s’investit dans ce nouveau combat qui mobilise plusieurs centaines de personnes dans les rues de Rennes en octobre 82. Le remboursement de l’IVG est finalement voté le 31 décembre 82.
60 après sa naissance, 40 ans après la loi Veil, le Planning familial est toujours là, fidèle au poste et à son engagement auprès des femmes. Si certains droits ne sont plus remis en cause, le Planning se veut toujours vigilant à l’heure ou le droit à l’avortement est remis en cause dans certains pays comme l’Espagne. Mais aujourd’hui, c’est vers l’égalité homme-femme qu’il a recentré son combat.
A lire pour en savoir plus: "Les femmes s'en vont en lutte ! Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965-1985)" de Patricia Godard et Lydie Porée - Editions Goater
Le magazine réalisé par Isabelle Rettig, Karine Hannedouche et Thierry Bouilly
- Nicole Kiil-Nielsen, ancienne militante du MLAC
- Monique Poupaud-Jourden, militante du Planning Familial (4 mars 2006)
- Dr Olivier Bernard, gynécologue
- Maître Gisèle Halimi, avocate (17 décembre 1973)
- Lydie Porée, Co-auteure de "Les femmes s'en vont en lutte, histoire et mémoire du féminisme à Rennes"
images d'archives novembre 1972, mai 1973, novembre 1974