Le décès d'une femme enceinte et de son bébé du vendredi 17 novembre 2023 près de Fougères a mis un coup de projecteur sur la question de l'accouchement à domicile. Entre les professionnels de santé, le débat est houleux. Que permet la loi en matière d'accouchement à domicile ? Enquête.
"On ne peut jamais prédire qu'un accouchement va bien se passer." Joëlle Belaisch-Allart, gynécologue obstétricienne et présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), est ferme sur le sujet. Pour la docteure, les accouchements à domiciles présentent "bien trop de risques", que ce soit pour la mère, ou pour l'enfant.
Dans la soirée du vendredi 17 novembre 2023, une femme enceinte habitant Le Loroux, en Ille-et-Vilaine, a été victime d'un malaise cardiaque au moment de son accouchement, qu'elle avait organisé à son domicile. Accompagnés par une sage-femme, elle et son bébé n'ont pas survécu, malgré un transfert en urgence à l'hôpital de Fougères.
Les femmes ont le droit de choisir
Isabelle Martelsage-femme
Ce tragique événement est venu rebattre les cartes sur la question des accouchements à domicile. En cas de complication, "l’éloignement de la maternité, le peu de moyens disponibles sur place et la nécessité d’un transport sont des éléments de retard pour une prise en charge efficace", atteste le CNGOF dans un communiqué. "On dit aux patientes qu'il y a des grossesses plus ou moins à risque. Saut qu'une grossesse à bas risque ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de danger au moment de l'accouchement", insiste Joëlle Belaisch-Allart.
Les accouchements à domicile divisent. Pour Isabelle Martel, sage-femme et présidente du conseil départemental de l'Ille-et-Vilaine de l'ordre des sages-femmes, "tous les accouchements à domicile ne sont pas dangereux, et les femmes ont le droit de choisir". En tant que soignants, "on doit respecter leur désir, et c'est à nous de s'adapter. Comment on peut s'opposer aux choix des patientes ?", s'indigne-t-elle. "Le problème avec l'accouchement à domicile, c'est qu'il a été diabolisé. En règles générales, on dit que c'est trop dangereux, et ça ferme le discours", soupire la sage-femme.
Quel encadrement ?
Aujourd'hui, aucune loi stipule qu'une femme est obligée de choisir un lieu pour donner la vie. "On se doit de recueillir les données qui sont nécessaires au dossier médical de la patiente et de lui donner une information éclairée sur les risques qui existent", explique la sage-femme. "Notre rôle à nous en tant que soignant, si la femme n'a pas de facteur de risques, c'est de la guider et de lui montrer comment les choses se font".
Mais pour Joëlle Belaisch-Allart, "on ne peut jamais prédire qu'un accouchement va bien se passer sous prétexte que c'est une grossesse à bas risque." En cas d'hémorragie pour la mère ou de souffrance fœtale pour le bébé, ces accidents sont "imprévisibles". Si la médecin aurait préféré qu'une loi interdise les accouchements à domicile, pour la sage-femme, personne n'a le droit "d'empêcher à une femme et à son corps d'accoucher là où elle a envie".
"Une dame qui veut accoucher à domicile le fera, avec ou sans nous", affirme Isabelle Martel. Pour la elle, "il faut instaurer un cadre qui permette d'accompagner au mieux la patiente dans son parcours".
Une demande en hausse
"Aujourd'hui, aucune organisation n'a été mise en place puisqu'on part du principe que l'on s'oppose", proteste la sage-femme. Selon elle, la mise en place de recommandations qui dicteraient les "bonnes pratiques" à suivre pour assurer au mieux un accouchement à domicile serait la solution. "En Belgique ou aux Pays-Bas, il y a une ambulance qui attend devant la maison s'il y a une femme qui est en cours de travail. On ne peut pas empêcher une femme d'accoucher à domicile, mais on peut essayer de lui garantir de faire au mieux s'il arrive quoi que ce soit".
Si les accouchements à domicile sont de plus en plus dans les discussions, c'est parce qu'ils sont en hausse. Selon un sondage de l'Ifop de janvier 2021, 35% des femmes souhaitent accoucher à domicile accompagnées d'une sage-femme, plutôt qu'en maternité. Joëlle Belaisch-Allart reconnaît qu'il faut "entendre la demande des femmes d’une prise en charge sécurisée mais différente". Pour la gynécologue, "une demande de démédicalisation ne veut pas dire du 'tout à domicile'. Et ça, on l'a entendu dans la majorité des maternités. Il y a de plus en plus d'espaces physiologiques adossés aux maternités, qui permettent une prise en charge directe en cas de complications".
"Une femme qui souhaite accoucher à domicile le fera, avec ou sans nous", promet Isabelle Martel. Si les femmes sont de plus en plus nombreuses à vouloir donner naissance à domicile, "peut-être que c'est révélateur d'une autre problématique, telles que l'exposition aux violences gynécologiques", soulève la sage-femme. "C’est ambivalent de dire qu’on veut écouter les femmes et limiter les violences gynécologiques, et dire qu'on veut interdire ce type d’accouchement par la loi. On ne peut pas vouloir décider pour ces femmes, ça ne va pas dans le sens de l’écoute des femmes".