L'aquaponie est une technologie vertueuse, qui mêle aquaculture et culture hors-sol. Deux jeunes ingénieurs agronomes rennais ont trouvé la solution pour que cette technologie devienne rentable. Une première ferme aquacole devrait voir le jour en 2022 et produire 20 tonnes de gambas par an.
Jérémie Cognard et Romain Vandame sont deux ingénieurs agronomes qui se connaissent de longue date.
Tous les deux sont diplômés de l'Agrocampus Ouest à Rennes (anciennement Insa).
Romain s'est spécialisé dans la production aquacole et la valorisation des produits de la mer. Jérémie qui nous a accordé cet entretien s'est lui tourné vers la production et la protection des plantes.
Nous étions tous les deux passionnés par les nouvelles méthodes de production et l'agriculture urbaine. Grâce à l'aquaponie nous avons réuni nos deux domaines de compétences
Jérémie Cognard directeur général Agriloops
En quoi consiste l'aquaponie?
En quelques mots, l'aquaponie est la fusion de deux techniques, l'aquaculture et l'hydroponie (la culture de plantes réalisée sur un substrat neutre) qui permet de faire vivre ensemble des plantes et des animaux aquatiques dans un système fermé.
"Dans notre cas, cette technique agricole consiste à élever simultanément des gambas dans des bassins et à faire pousser des plantes hors-sols", nous confie Jérémie Cognard
Concrètement l’eau qui sert à élever les gambas, et les déjections que produisent ces crustacés, servent à fertiliser les fruits et les légumes au sein d’un circuit fermé. Ce processus est dit vertueux car il évite l’usage d’intrants et permet d'économiser 80 à 90% d’eau.
Pourquoi avoir choisi les gambas ?
D'une manière générale "l’aquaponie est utilisée pour faire pousser des légumes plus que pour vendre des poissons, car ce sont le plus souvent des poissons d'eau douce. Avec un souci majeur, ce procédé n'est pas rentable économiquement. Nous, nous nous sommes intéressés aux gambas..."
Les gambas, c'est la première espèce aquacole marine élevée au monde. En France on en consomme 100 000 tonnes et 90 % sont importées. Majoritairement d' Asie du sud-est, d'Amérique centrale et de Madagascar. Et cette espèce représente des enjeux environnementaux énormes
Jérémie Cognard Agriloops
"Les élevages de crevettes favorisent la déforestation. Or la mangrove, c'est l'un des écosystèmes qui stocke le plus de carbone, il faut la préserver. Dans les élevages, ils utilisent beaucoup d'antibiotiques et ces crustacés font des milliers de kilomètres avant d'être consommés", explique Jérémie Cognard
Leur secret, le recyclage de l'eau salée et de ses effluents
Le problème majeur sur lequel nos deux ingénieurs ont dû plancher au sein d'Agriloops était le recyclage de l'eau salée.
"La réutilisation des effluents produits par l'élevage de gambas ne posait pas vraiment de soucis, mais le fait que les effluents soient mélangés à de l'eau salée, posait un sérieux problème. L'eau salée ne convient pas vraiment à la culture des fruits et légumes", remarque Jérémie.
Il fallait également que leur ferme aquacole soit rentable et vertueuse. Les deux jeunes entrepreneurs ont donc travaillé sur un process, qui permette de réutiliser cette eau salée et ses effluents.
Nous avons réalisé de nombreuses expériences, beaucoup de recherche et nous avons fini par développer une petite ferme pilote sur l'Agrocampus de Rennes Ouest. Cela nous a permis de mettre au point ce process que nous gardons secret et de finaliser la technologie.
Jérémie Cognard Agriloops
L'eau contenue dans les bassins est un milieu totalement artificiel, dont nos deux ingénieurs contrôlent la salinité. Cette eau souillée par les déjections des crustacés est ensuite filtré de nombreuses fois par des bactéries pour pouvoir être utilisée comme intrants pour les fruits et légumes.
Pour la première fois en Europe une entreprise, Agriloops, réussit à faire pousser des légumes en aquaponie dans de l'eau salée.
La première ferme européenne en eau salée, "Mangrove 1" devrait voir le jour en 2022
Après avoir commercialisé, de manière confidentielle, ses premières gambas et ses premiers légumes en 2020, Agriloops prépare désormais la construction de « Mangrove 1 », une première ferme aquacole qui devrait produire 20 tonnes de gambas et 40 tonnes de légumes par an.
Aujourd'hui, selon Jérémie Cognard, leurs produits sont sur la table de quelques chefs étoilés. Agriloops travaille également avec quelques grossistes. Les retours gustatifs sont bons, toujours selon leur directeur général. La start-up n’utilise aucun pesticide ni antibiotique. Les prix des gambas, roquette, mesclun ou encore tomates cerises sont proches de ceux de l'agriculture biologique. Des prix qui devraient baisser si les volumes produits augmentent.
Des fonds pour poursuivre les recherches et développer la ferme pilote
En 2019, Agriloops a procédé à une levée de fonds de 1,6 millions d’euros auprès de banques, de la BPI et du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. Cela a permis à l'entreprise de développer sa ferme pilote et d'embaucher une dizaine de personnes. La ferme se situe dans le pays de Brocéliande à l'ouest de Rennes
Agriloops vient de décrocher 3 millions d'euros d'aide publique. à nouveau plusieurs millions d'euros.
L'Etat apporte 1 Millions d'euros dans le cadre la relocalisation aquacole.
La banque publique verse une aide deeptech de 2 millions d'euros pour permettre à Agriloops de poursuivre ses recherches.
La start-up est actuellement présente au Salon de l'Agriculture à Paris dans le Hall 4 au niveau de la ferme digitale.