La page Instagram Balance ton bar a sa version rennaise. #balance_ton_bar_rennes recueille les témoignages, pour sensibiliser aux agressions sexuelles dans les bars et établissements de nuit, avec ou sans drogues, comme le GHB qui est à plusieurs reprises mis en cause.
Un malaise, plus aucun souvenir : depuis quelques semaines, les témoignages de femmes mais aussi d'hommes drogués à leur insu dans des bars ou discothèques se multiplient sur les réseaux sociaux et mettent en cause le GHB, surnommé la "drogue du violeur".
Le mouvement #Balancetonbar est né il y a un mois en Belgique, après plusieurs cas d'agressions rapportés dans les bars d'un quartier étudiant bruxellois.
Les récits abondent aussi depuis en France. A Rennes, la page "Balance ton bar a été créée il y a une semaine. La personne qui l'a lancée ne veut pas en dire plus sur son identité et tient à préserver son anonymat.
"Je connais des personnes qui ont été victimes d'agressions sexuelles, avec ou sans drogue, ça me touche et j'avais envie que cette page soit un relais, pour une prise de conscience. Il y a des établissements qui sont clairement limites quand ce genre de choses arrivent chez eux, qui minimisent ou qui n'ont pas les réactions appropriées", explique notre interlocuteur. Pour l'instant, une dizaine de posts a été publiée, un choix pour ne pas accabler mais aussi pour ne pas que cela fasse un "trop plein" et que le message se noie.
Voir cette publication sur Instagram
200 témoignages auraient déjà été reçus. Des noms de bars ou discothèques reviendraient parfois à plusieurs reprises dans les propos. L'un d'entre eux ressortirait même beaucoup trop, ce qui signifie "qu'il y a un réel problème".
A propos du GHB et contacté à ce sujet, le procureur de la République de Rennes ne donne pas de chiffres qui pourraient faire prendre conscience de l'ampleur du phénomène. "Nous avons eu quelques procédures dans lesquelles une éventuelle absorption de ce produit a été évoqué par des victimes, sans cependant que cela ne puisse être objectivé" déclare-t-il.
Ce qui est nouveau ce sont ces témoignages publics qui sont une invitation à la mobilisation collective et à une réponse collective
Geneviève Letourneux, déléguée aux droits des femmes à la lutte contre les discriminations
A la ville de Rennes, la situation est analysée avec attention. "C’est une inquiétude mais en même temps on a le sentiment d’être dans un mouvement de libération de la parole. Nous, on est train d’objectiver le phénomène, avec la police nationale et les associations de prévention. Pour le moment, nous n’avons pas encore d’éléments significatifs pour en objectiver l’ampleur", rapporte Geneviève Letourneux, déléguée aux droits des femmes et à la lutte contre les discriminations.
Un conseil de la nuit existe et rassemble les acteurs concernés. La ville travaille à des outils efficaces comme des formations, des lieux ressources, "pour accompagner, laisser un espace de parole".
J'ai eu la tête qui tournait très fort et je me suis écroulé
Julien
Julien* (prénom d'emprunt) a 21 ans. Il sait qu'il a été drogué au GHB lors d'une soirée dans un bar rennais. Ce jour-là en mai dernier, il retrouve des amis. Il consomme peu : une bière et un shot de vodka. A un moment, il échange longuement avec un serveur. Ce dernier lui propose de lui offrir un verre. "J'étais seul avec lui, je n'ai pas trop regardé ce qu'il faisait' raconte Julien. Une fois le verre avalé, il se sent alors partir d'un coup. Il a le tournis mais "ce n'était pas la même sensation que l'alcoolémie". Puis il s'écroule par terre. Il n'a aucun souvenir de ce qui arrive ensuite même si sur le moment il répondra quand on lui parle. Ce sont ses proches qui ont reconstitué le fil.
Au départ, ses amis le charrient, le pensent "bourré" mais l'un d'entre eux se rappelle bien que Julien n'a pas exagéré ce soir-là. Ils appellent les pompiers. Ces derniers livrent la même réaction et invoquent un état d'ébriété. C'est finalement la mère de Julien qui vient le chercher vers 3 h du matin, assez peu ravie. "Je me suis réveillé chez mes parents alors que j'ai un appartement, je ne savais pas ce que je faisais là" dit Julien. Sa mère très fâchée lui passe un savon. Mais le jeune homme sait qu'il n'a pas bu à ce point. Il décide d'aller faire une prise de sang rapidement. Ses analyses confirment la présence de GHB et aucun taux d'alcoolémie. Avec du recul, il pense qu'on a pu vouloir le détrousser. Le trou noir total le laisse dans une position inconfortable. "Cela n'était jamais arrivé que je ne me souvienne de rien du tout".
Qu'est-ce que le GHB ?
Le produit incriminé c'est le GHB soit deux molécules, le GHB (gamma-hydroxybutyrate de sodium) et le GBL (gamma-butyrolactone). Le premier est normalement prescrit comme anesthésique et dans le traitement de la narcolepsie. Le second utilisé comme solvant industriel. Euphorie, désinhibition, sentiment de bien-être, intensification des perceptions, leurs effets sont documentés.
Le GHB est classé comme stupéfiant en France depuis 2001 mais pas le GBL, interdit à la vente au grand public depuis 2011. Si leur utilisation à des fins récréatives est fréquente, ces deux substances sont beaucoup plus rarement utilisées à des fins criminelles dans le cadre de tentatives de soumission chimique, dit l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
Les patrons de bars et discothèques mettent en cause la vente sur internet
L'UMIH (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie) a tenu son congrès annuel fin novembre, où la question du GHB a largement été évoquée.
Conscients de la gravité des faits, les patrons de bars ou de discothèques estiment pourtant ne pas être la bonne cible. "Ce mouvement se trompe de cible, au lieu de désigner les professionnels de notre secteur comme responsables, il conviendrait de dénoncer les sites de ventes de GHB, en accès direct et libre sur internet" souligne-t-on.
Des actions envisagées
Face à ce phénomène, Laurent Lutse, président UMIH Cafés, brasseries, établissements de nuit rappelle que des campagnes ont été lancées déjà en 2015 et 2018, sous forme d’affiches à apposer dans les établissements et de flyers d’information à destination de la clientèle. Cette campagne va se renouveler prochainement.
Il souligne aussi que des formations existent à destination des responsables d'établissements et de leurs employés.
D’autres actions de prévention sont menées, comme la mise en place des protocoles pour relever les identités quand une femme visiblement mal en point sort accompagnée. L'UMIH aimerait aussi généraliser le code "Où est Angela ?", dispositif anglo-saxon de lutte contre le harcèlement, qui permet aux femmes se sentant en danger d’alerter le personnel de l’établissement.
Laurent Lutse ajoute que l'usage des couvercles sur les verres va se généraliser.
Dans le code pénal, "l'administration de substances de façon non consentie" constitue une circonstance aggravante pour les auteurs d'agression sexuelle ou de viol.